Rav Mena’hem Manis Wasserman, bien versé dans l’étude de la Torah, était un fidèle d’une des petites synagogues du quartier Beth Israël à Jérusalem. Il avait perdu sa femme et ses enfants durant la Shoa et, après avoir survécu à l’enfer des camps, il avait fait son Alyah. Il s’était installé en Israël en 1949 et s’était remarié avec une femme de la famille Munk : elle aussi était une rescapée.
Quelques années plus tard, ils eurent la joie de mettre au monde un enfant. Un enfant unique peut être gâté par ses parents ; mais dans le cas de parents qui avaient perdu toutes leurs familles en Europe, cet enfant unique était plus que gâté. Le fils de Rav Mena’hem ne s’était jamais rien vu refuser ; malheureusement il abusa de sa liberté, se mit à avoir de mauvaises fréquentations et, bien vite, il abandonna toute pratique religieuse.
À l’âge de seize ans, le fils de Rav Mena’hem s’enfuit de la maison et disparut complètement. Au début, ses parents pensèrent qu’il ne s’agissait que d’une fugue passagère et qu’il reviendrait bien vite. Mais les jours passèrent, les semaines et les mois sans aucun signe de vie. Les parents avertirent enfin la police, mais toutes les recherches étaient vaines. On interrogea tous les amis, toutes les connaissances du jeune homme, sans succès.
Trois mois après sa disparition, les Wasserman reçurent soudain une lettre en provenance des Etats-Unis. Elle émanait de leur fils qui leur écrivait de ne pas s’inquiéter : «Ne perdez pas votre temps à me rechercher, vous ne me retrouverez pas ! Je me débrouille très bien et je ne manque de rien. Je vous écrirai de temps en temps !…»
D’un côté, les parents étaient soulagés d’avoir enfin reçu un signe de vie mais, bien entendu, ils restaient inquiets quant à son style de vie et son avenir. Il était absolument impossible de le retrouver.
Au bout de deux ans d’une attente infructueuse, Rav Mena’hem décida de se rendre aux Etats-Unis pour le chercher ; mais il n’avait pas la moindre idée par où commencer. Comme c’était la saison des fêtes, Tichri 1971, il décida d’aller passer les fêtes auprès du Rabbi et des responsables communautaires au 770 Eastern Parkway à Brooklyn. Là, il rencontrerait sans doute des émissaires du Rabbi qui proviennent du monde entier : peut-être l’un l’entre eux pourrait l’aider à localiser son fils.
Durant l’un des dix jours de Techouva, Rav Mena’hem eut le privilège de pouvoir entrer en Ye’hidout, en entretien privé avec le Rabbi. Il expliqua le but de son voyage aux Etats-Unis et demanda bénédiction et conseils pour la réussite de son initiative. Le Rabbi le bénit et lui suggéra : «Vous allez certainement être le ‘Hazane, l’officiant pour Kol Nidré (le soir de Yom Kippour) dans le New Jersey. Puissiez-vous avoir du succès et annoncer de bonnes nouvelles !»
Rav Mena’hem Manis était certain que le Rabbi l’avait confondu avec quelqu’un d’autre. Il expliqua qu’il n’avait pas l’intention de prier dans le New Jersey puisqu’il avait prévu de passer Yom Kippour à Crown Heights, à New York. Cependant, le Rabbi continua, comme s’il n’avait pas entendu son objection : «Ne vous excusez pas de ne pas passer Yom Kippour ici ! C’est une très grande Mitsva que de permettre aux Juifs du New Jersey de profiter d’une belle prière. Vous seul serez capable de chanter «Avinou Malkénou», «notre Père, notre Roi», comme il convient en ce jour si particulier. Et annoncez-nous de bonnes nouvelles !»
Rav Mena’hem n’avait plus le choix. Il se renseigna auprès des secrétaires du Rabbi qui découvrirent justement une communauté de New Jersey qui avait demandé qu’on lui envoie un bon officiant. Qui, mieux qu’un rescapé de la Shoa, pourrait communiquer un élan vers le judaïsme pendant cette journée solennelle ? Rav Mena’hem contacta alors le regretté Rav Pin’has Teitz, l’ancien rabbin d’Elizabeth dans le New Jersey.
Quand il entra dans la synagogue pour commencer la prière de Kol Nidré, il remarqua dans l’assistance un jeune Hippie aux cheveux aussi longs que notre exil. À l’évidence, il s’agissait d’un fidèle présent seulement une fois par an.
Le jeune homme regarda ce vieux Rav à l’aspect majestueux, au visage creusé par les épreuves et les soucis… Soudain, le jeune Hippie pâlit et faillit s’évanouir. Il se ressaisit et se précipita vers son père : «Papa ! Comme je suis content de te revoir ! Tu m’as tellement manqué ! Je veux revenir !»

Rav Benzion Gruzman – Kfar Chabad
Traduit par Feiga Lubecki