Dans deux semaines, ce serait Pessa’h. Mes filles coloraient leur ‘Haggadah et ma femme allait bientôt accoucher. Une semaine plus tôt, le 27 Adar 1994, le Rabbi avait subi une seconde attaque cérébrale.
Je devais écrire au Rabbi, demander sa bénédiction pour que la naissance se passe bien mais j’étais gêné de demander aussi… un peu plus de moyens financiers. J’envoyai néanmoins cette lettre au bureau du Rabbi, 770 Eastern Parkway à Brooklyn, NY.
Quelques jours plus tard, Roz Durkin, responsable du personnel, me téléphona à mon bureau du laboratoire pharmaceutique Smithkline Beecham : «M. Jacobs ! L’année dernière, vous nous avez envoyé votre candidature. Nous pensons avoir trouvé pour vous exactement l’emploi qu’il vous faut».
Il s’agissait d’un poste administratif, en intérim, dans le bureau des Bio-statistiques de la firme pharmaceutique Sandoz, maintenant appelée Novartis. J’y avais déjà occupé un poste temporaire l’année d’avant : il s’était agi de répondre aux lettres de réclamation des clients. Ce n’était pas vraiment passionnant et j’avais donc préféré quitté Sandoz pour Smithkline : j’y rédigeais des rapports qui, éventuellement, me mèneraient à écrire pour les sciences ou la médecine : «Madame Durkin ! Je ne veux pas reculer dans ma carrière !»
Madame Durkin ne désarma pas : «D’accord, c’est un travail de bureau mais vous travaillerez avec des statisticiens. De plus, au vu de votre ancienneté, nous les avons persuadés de vous payer un tarif horaire décent».
Quand elle m’en dévoila le montant, je me sentis défaillir. «C’est ce que je gagnais avant ma dernière augmentation de salaire ! J’aurais besoin d’au moins 25% de plus !»
«Je vais voir s’il est possible de discuter de ce point avec eux» me dit-elle, apparemment décidée à ce que j’accepte ce poste.
Le lendemain, elle me rappela : «Tsvi, ils veulent vous fixer un rendez-vous. Etes-vous d’accord pour mercredi ?»
Le calendrier hébraïque posé fièrement sur mon bureau était formel : le mercredi suivant était le 11 Nissan, l’anniversaire du Rabbi ! A toute vitesse, je me voyais déjà faire d’une pierre deux coups : après le rendez-vous chez Sandoz, je pourrais rendre visite à mes anciens collègues et leur distribuer de la Matsa Chmourah, faite à la main. S’assurer que chaque Juif puisse consommer de la Matsa Chmourah était une des campagnes initiées par le Rabbi : quel meilleur cadeau lui offrir pour son anniversaire ?
La nuit suivante, samedi soir, juste après minuit, j’amenai Esther à la maternité : à 3h 30 du matin, Hanna, notre adorable petite princesse était née.
Le mercredi, je me présentai au rendez-vous chez Sandoz. Le docteur John Lambert, chef du département des Biostatistiques, me déclara qu’il travaillait avec son équipe sur un nouveau médicament, une version améliorée du Sandimmune, la molécule qui freinait les phénomènes de rejet lors des transplantations d’organes.
«Le nom de cette molécule est la cyclosporine, n’est-ce pas ?» demandai-je.
«Exactement, répondit, surpris, le Dr Lambert, je suis surpris que vous en connaissiez le nom !»
«Justement ! Je viens d’écrire une histoire dans laquelle ce médicament était évoqué.»
«Vraiment ?»
«Oui ! Un ami de mes parents a subi une greffe du rein. Le chirurgien a mentionné qu’avant l’utilisation de Sandimmune, la majorité des transplants étaient rejetés par les malades.»
«Je voudrais bien lire cette histoire ! C’est incroyable que vous veniez de l’écrire.»
«C’est ma mère qui m’a poussé à la rédiger !»
Après avoir rencontré le chef des statistiques, le docteur Dar Shong Wong et d’autres responsables, nous avons abordé la question du salaire. Le docteur Lambert me proposa une somme un peu supérieure au salaire que je percevais alors.
«C’est déjà mieux, dis-je d’un air faussement détaché. Mais franchement, un travail de ce genre mérite bien deux dollars de plus par heure ! Il me faudra payer ma propre assurance maladie etc…»
Il allait réfléchir lui aussi. En sortant de là, je rendis visite à une douzaine de mes anciens collègues juifs et leur distribuai le magazine «Le’haïm» (édition spéciale en l’honneur de l’anniversaire du Rabbi !) et de la Matsa Chmourah. Joe, un expert en marketing, m’accueillit les bras ouverts : «Tsvi ! Cette Matsa que tu m’as donnée l’année dernière a été le clou de notre Séder de Pessa’h. Chacun voulait la goûter. Il n’en est pas resté une miette !»
Dans l’après-midi, de retour à mon bureau, je reçus un nouveau coup de téléphone : «Tsvi ! C’est Roz Durkin. J’ai une bonne nouvelle pour vous : vous êtes engagé. Et de plus, ils sont d’accord de vous payer ce que avez demandé !»
«Super ! D.ieu merci !»
«Vous devez réaliser que c’est le double du salaire qu’ils étaient prêts à proposer. Vous avez sans doute un ange spécial qui prie pour vous !»
«Non, pas un ange, Roz. C’est un Rabbi spécial, un Rabbi vraiment extraordinaire !»

Tsvi Jacobs
Traduit par Feiga Lubecki