Le jeune Kobi Mandell a été horriblement assassiné en Israël avec un de ses amis, en mai 2002.

On m’a demandé d’écrire un article intitulé «Pourim sans Kobi». Mais je ne peux pas écrire à propos de Pourim sans Kobi parce que, même si Kobi est décédé, je ne célèbre ni Pourim ni rien d’autre – sans Kobi. Dans un article paru dans le New York Times, Steven Flatow écrivait que même si sa fille Aliza avait été assassinée par des terroristes, il restait le père d’Aliza. Moi je suis toujours la maman de Kobi, je ne cesserai jamais de l’être.
Tenter d’expliquer ma relation actuelle avec Kobi est comme tenter d’expliquer les couleurs à un aveugle. Je parle maintenant différemment. C’est comme se trouver dans une maison hantée. Il y a des moments où je ressens une terrible douleur et j’ai l’impression que je serai toujours hantée. Je remarque parfois comment les gens me regardent et je me souviens de la maison hantée devant laquelle je passais quand j’étais enfant. Contrairement à nos maisons modernes, celle-ci était vieille, faite en briques sombres, avec des fenêtres arrondies. Peut-être que maintenant je la trouverais étrange, intéressante ou même jolie. Ce qui est hanté peut aussi être auréolé, sanctifié car se perdant dans quelque chose de plus grand et s’attachant à D.ieu. Tout dépend de la façon dont vous traduisez votre expérience.
Pourim nous raconte que la signification véritable de ce monde est cachée. Le nom d’Esther, l’héroïne de l’histoire de Pourim, vient du mot hébraïque qui signifie « se cacher ». Dans la Méguila de Pourim, le nom de D.ieu n’est jamais mentionné même si Son influence est perceptible à chaque instant.
Pour rencontrer D.ieu, nous devons abandonner notre position orgueilleuse et adopter une certaine humilité, comme pour nous cacher. Ce n’est qu’alors que nous ressemblerons à la reine Esther : elle aurait pu rester dans ce palais royal où elle vivait dans le luxe, avec massages, parfums et maquillages mais elle choisit au contraire de ressentir la souffrance de son peuple. Esther n’a pas laissé son statut de reine lui monter à la tête.
C’est peut-être notre rôle dans ce monde : être davantage en phase avec d’autres gens, ressentir leur douleur et leurs problèmes, agir en osmose avec eux. Peut-être est-ce cela que nous devons célébrer : notre capacité à nous aider les uns les autres à progresser vers la guérison, notre propension à l’égoïsme qui se transforme en empathie avec les gens autour de nous. Une telle unité peut mener vers la guérison.
Moins d’un an après l’assassinat de notre fils, mon mari et moi-même avons marqué notre anniversaire de mariage par un dîner au restaurant. Je ne peux pas dire «célébrer» parce que nous étions trop tristes. Quand nous sommes entrés dans l’établissement, une serveuse souriante nous a accueillis : elle avait des cheveux noirs brillants et se montrait dynamique et souriante. Je l’admirai pour son enthousiasme et pensai : «Elle n’a aucune idée de la douleur qui m’accompagne, du poids de ce que je porte».
Tandis que nous mangions, nous avons apprécié le décor et avons pensé que ce restaurant serait l’endroit parfait pour marquer prochainement ce qui aurait dû être le quinzième anniversaire de Kobi. Nous avons décidé alors d’inviter quinze personnes pauvres ou handicapées au restaurant pour marquer ce jour important – pour se souvenir des défunts en apportant un peu de joie aux vivants.
Nous avons parlé au directeur de l’établissement. Il mentionna qu’il travaillait bénévolement dans un centre de réhabilitation non loin de là, il aidait les adolescents issus de familles pauvres, de foyers désunis et il nous suggéra d’inviter ces jeunes à se joindre à nous : ils apprécieraient certainement cette sortie. L’idée prenait forme presque d’elle-même. Nous n’avions pas pensé inviter des adolescents mais il y avait là une certaine logique : Kobi lui-même en était un. Nous avons remercié le directeur pour sa suggestion. Avant de partir, mon mari lui demanda : «Au fait, connaissez-vous les Goodman ? Ils habitent non loin d’ici. Ils ont perdu leur fils de seize ans, Tami, cette année, dans un accident. Nous leur avons présenté nos condoléances durant la semaine de deuil, je voudrais savoir comment ils vont».
- «Vous pouvez le demander vous-même : votre serveuse est leur fille !»
Je la regardai, si belle et si gaie et je me dis : «On ne sait jamais ce qui se passe à l’intérieur d’une personne !» Je l’avais mal jugée. Quand elle vint à notre table, je lui racontai notre deuil et elle nous raconta sobrement le sien.
Au cours de notre conversation, je réalisai combien des pans entiers de notre vie sont cachés. Nous ne voyons pas les peines et les soucis des autres.
Alors que nous échangions nos impressions, mon mari et moi-même nous sentions moins isolés. La douleur s’était estompée pendant un moment. La guérison peut se produire quand nous choisissons de révéler ce qui est caché en nous. Alors la douleur ne nous hante plus mais nous rapproche les uns des autres.
Si nous ne parvenons même pas à voir ce qui est à l’intérieur des gens, imaginez combien il est difficile de voir D.ieu dans ce monde. Mais Pourim nous enseigne que même quand nous ne pouvons pas voir D.ieu, Il est avec nous. Même si nous ne le ressentons pas, même si tout semble signifier le contraire, D.ieu ne nous abandonne pas dans notre chagrin.
Et viendra le jour où nous serons tous à nouveau réunis.

Sherri Mandell
Kosher Spirit Magazine – Le’haïm
www.kobimandell.org
traduit par Feiga Lubecki