C’était un élève remarquable. Les directeurs des Yechivot (instituts talmudiques) qu’il fréquentait voyaient en lui un jeune homme assidu : il était capable de rester assis durant des heures et d’étudier sans s’interrompre les textes sacrés.
Mais par ailleurs, il lui arrivait de passer de longs moments, la nuit, dans des endroits peu fréquentables, indignes d’un jeune étudiant en Yechiva… Jamais ses professeurs ne soupçonnèrent cette double vie : comment celui qui étudiait si sérieusement les commentaires le jour pouvait-il, la nuit, apprécier des plaisirs vulgaires ? C’est pourtant ce qui se passait et cette conduite schizophrène aurait pu se poursuivre longtemps mais le studieux élève de Yechiva rencontra une jeune fille non-juive. Et quelques semaines plus tard, devant un tribunal civil américain, ils se retrouvèrent tous les deux, munis d’un certificat de mariage…
Bien entendu, il savait que ses parents ne seraient pas du tout heureux de cette situation : ils étaient des Juifs pratiquants qui s’étaient beaucoup investis dans l’éducation religieuse de leurs enfants et espéraient que ceux-ci se marieraient, comme eux-mêmes, dans de bonnes familles…
Au lieu d’avouer la vérité à ses parents, il monta un plan : il expliqua à ses parents qu’il avait subi un accident de voiture. D.ieu merci, il n’avait pas été blessé mais la voiture appartenant à son ami avait été complètement endommagée. Bien qu’il n’y soit pas obligé de par la loi, il se sentait responsable et voulait rembourser son ami. Comme il savait que ses parents n’étaient pas très fortunés, il estimait qu’il devait sacrifier ses études à la Yechiva et travailler pendant un an pour gagner de quoi réparer les dégâts.
Son père l’écouta attentivement : bien entendu, il fallait dédommager l’ami pour la voiture mais il n’était pas question que l’élève prometteur qu’était son fils abandonne ses études : «Tu as d’énormes capacités, tu peux devenir un «Gaon», un véritable érudit ! Je m’engage à couvrir toutes les dépenses !».
Ennuyé, le jeune homme eut alors une idée. Il décida de demander au Rabbi de Loubavitch ce qu’il convenait de faire : après tout, le Rabbi était reconnu comme une autorité dans le monde juif orthodoxe et lui-même avait suivi des études à la Sorbonne ! Certainement, c’était une personnalité moderne, il était «ouvert», capable de comprendre la «pureté» de ses intentions. Si le Rabbi lui permettait de quitter la Yechiva pour aller travailler, son père s’inclinerait devant sa décision.
Le père accepta et demanda à son fils aîné d’accompagner son autre fils au 770 Eastern Parkway.
Tous deux espéraient avoir le privilège d’une entrevue privée, mais le secrétaire du Rabbi leur fit comprendre que c’était hors de question. Tout ce qu’ils pouvaient faire était d’écrire une lettre en exposant leur problème.
Le jeune fils entreprit donc d’écrire l’histoire qu’il avait inventée de toutes pièces et dont il connaissait maintenant tous les détails et terminait avec sa question : rester ou non à la Yechiva ?
Quelques instants après avoir transmis la lettre, le jeune homme retourna au secrétariat pour savoir s’il avait déjà une réponse. Comme il en avait l’habitude, le Rabbi avait répondu sur la lettre elle-même. Et la réponse n’était pas du tout celle qu’il attendait : le Rabbi n’avait retenu aucune des deux options proposées et avait simplement écrit : «Retournez à la maison !»
C’était bien la dernière chose qu’il désirait ! Il réfléchit rapidement : après tout, personne n’avait vu la réponse du Rabbi, pas même le secrétaire ! Il pouvait donc prétendre que le Rabbi lui avait conseillé de se mettre au travail et c’est ce qu’il fit.
Quand il retrouva son frère dans la rue, celui-ci se souvint qu’il avait des amis dans la Yechiva du 770 et qu’il voudrait bien les revoir. Il retourna donc dans la synagogue et c’est là qu’il rencontra Rav Hadakov (de mémoire bénie), le secrétaire du Rabbi : «Le Rabbi m’a demandé de vous chercher car il voudrait vous parler après la prière de Maariv !»
Incapable de s’imaginer ce qui l’attendait, le frère aîné entra donc, après Maariv, dans le bureau du Rabbi. Très directement, le Rabbi lui dit : «Ramenez votre frère à la maison et surveillez-le afin qu’il ne vous échappe pas !»
«Je ne comprends pas, dit le frère. N’avez-vous pas conseillé auparavant qu’il aille travailler ?»
«Peu importe ce que j’ai dit auparavant ! répondit le Rabbi de façon diplomate. Maintenant ramenez votre frère à la maison!»

* * *

Le frère aîné rapporta les paroles du Rabbi au jeune homme. Celui-ci trembla de tout son corps tandis que les pensées s’entremêlaient dans son esprit. C’était la première fois depuis des mois qu’il devait affronter la réalité. Il comprit soudain à quel niveau il était tombé, en essayant - de plus – de régulariser une situation impossible. Mais il était marié civilement…
Il sentit que le Rabbi avait tout compris mais avait eu l’élégance de ne pas le mettre dans l’embarras… Cette fois, ce fut lui qui demanda à son frère de l’attendre : il écrivit une nouvelle lettre au Rabbi. Maintenant, il révélait franchement sa situation et demandait sincèrement de l’aide.
Le Rabbi lui conseilla de rentrer à la maison et de tout avouer à son père. Bien sûr, celui-ci ressentirait un choc énorme mais il serait judicieux, par la suite, que le père se mette en contact avec le Rabbi qui lui recommanderait un avocat pour procéder à l’annulation du mariage.
Cette fois-ci, le jeune homme suivit le conseil du Rabbi et regretta sincèrement ses actes passés. Après un premier moment de choc, le père se mit en contact avec l’avocat proposé par le Rabbi et la procédure réussit. Le jeune homme se remit sérieusement à l’étude dans la Yechiva et se promit de devenir effectivement l’érudit qu’il pouvait être.

«The inner vision»
Michpa’ha ‘hassidit
Traduit par Feiga Lubecki