Nous ne connaissons pas grand-chose de la Rabbanit ‘Haya Mouchka Schneerson, la défunte épouse du Rabbi de Loubavitch. Elle tenait par dessus tout à ne pas se faire remarquer : quand elle allait au 770 Eastern Parkway, le quartier général du mouvement Loubavitch à Brooklyn, pour rendre visite à sa mère et sa sœur, elle veillait à ce que ce soit un moment où nul ne se trouvait alentour.
Pour elle, la discrétion était innée. C’est le propre de la fondation d’une maison : peu importe les apparences (d’ailleurs on ne les voit pas) mais sur elle repose tout le bâtiment…

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En 1950, à la mort du précédent Rabbi de Loubavitch, les ‘Hassidim supplièrent Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, son gendre, de lui succéder. Mais il refusa de prendre la tête du mouvement. Ce fut son épouse, la Rabbanit ‘Haya Mouchka qui le persuada d’accepter cette charge écrasante quand elle déclara : «Je ne peux permettre au sacrifice personnel de mon père durant trente ans de s’arrêter ainsi !». Elle savait mieux que quiconque ce que cela signifiait pour sa vie privée mais elle fit don de son mari et de sa propre vie au peuple juif.

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La Rabbanit se rendait souvent dans une bibliothèque à Manhattan. Un jour, alors qu’elle présentait sa carte de membre, l’employée remarqua son nom et lui demanda :
«Etes-vous de la famille du célèbre Rabbi, à Brooklyn ?»
«Oui».
«Comment ?» insista la jeune femme.
«C’est mon mari» avoua la Rabbanit.
L’employée se mit alors à se plaindre du Rabbi. Elle expliqua que, mariée depuis plusieurs années, elle n’avait pas d’enfant : «Sur le conseil de mes amis, j’ai fait l’effort d’aller voir le Rabbi ; il m’a bénie et m’a conseillé de m’engager à accomplir une Mitsva supplémentaire. En effet, me dit-il, la bénédiction agit comme la pluie qui peut rendre fertile un champ préparé et labouré. Je m’engageai à allumer les bougies de Chabbat le vendredi soir. Cela fait deux ans et nous n’avons toujours pas d’enfant !»
La Rabbanit tenta de la calmer : «Moi non plus !»
Mais la bibliothécaire éclata en sanglots : «Je suis désolée pour vous mais moi, je suis une rescapée de la Shoa. J’ai survécu aux camps d’extermination et je suis la seule survivante de toute ma famille. C’est pourquoi il est si important pour moi d’avoir des enfants, afin que notre famille ne soit pas effacée !».
La Rabbanit demanda : «Qu’est-ce que mon mari vous a dit, exactement ?»
- Il m’a dit d’allumer les bougies de Chabbat !
- C’est bien ce que vous faites ?
- Oui !
- Et comment le faites-vous ? continua la Rabbanit.
- Chaque vendredi, quand mon mari revient du travail, j’allume les bougies vers 19h ou 20h.
Patiemment, la Rabbanit expliqua qu’il fallait allumer les bougies avant le coucher du soleil, en accord avec les horaires imprimés sur les calendriers hébraïques.
La bibliothécaire avait écouté attentivement : elle s’engagea à allumer les bougies à l’heure voulue.
Dix mois plus tard, elle serrait son fils dans ses bras… Elle garda contact avec la Rabbanit et lui rendit même visite plusieurs fois.

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Un jeune couple de Chlou’him (émissaires du Rabbi) eut le privilège de rendre visite à la Rabbanit avant son mariage.
Elle demanda au fiancé : «Etes-vous le petit-fils du ‘Hassid, Reb… ?»
Il répondit par l’affirmative. Elle hocha la tête, joyeusement : «Dans ce cas, je suis sûre que vos enfants parleront le yiddish !»
De nombreuses années passèrent. Le jeune couple n’avait toujours pas d’enfants mais ne désespérait pas : «Nous n’étions pas inquiets puisque la Rabbanit nous avait dit de parler yiddish à nos enfants : pour cela, il fallait bien que nous ayons des enfants ! Et nous étions sûrs que nous aurions plus qu’un enfant puisqu’elle avait parlé au pluriel : «Vos enfants». Pas un instant nous n’avons perdu espoir puisque nous avions la bénédiction de la Rabbanit !»
Après 14 ans de mariage, ce couple de Chlou’him mit au monde des jumeaux, un garçon et une fille. Ils les nommèrent Mena’hem Mendel et ‘Haya Mouchka.

Rav Shmuel Lew
«Le’haïm»
traduit par Feiga Lubecki