Durant deux ans, dans les années 50, j’ai eu la chance d’être éduqué dans les écoles du mouvement Loubavitch à Kfar ‘Habad. J’étais présent dans la synagogue quand des Fedayines ont pénétré et ont tiré dans tous les sens. Un des élèves eut la présence d’esprit d’éteindre la lumière, ce qui permit à plusieurs étudiants de s’enfuir en sautant par la fenêtre sans constituer une cible pour les terroristes. Quand ceux-ci estimèrent avoir terminé leur horrible travail, ils s’enfuirent par les vergers attenant au village, laissant derrière eux un spectacle effroyable : je fus l’un des premiers à sortir de ma cachette pour découvrir les corps de cinq de mes camarades et de leur professeur, le jeune Sim’ha Zilberstraum, que leur sang soit vengé !
Cette vision ne s’effacera jamais de ma mémoire.
J’ai gardé un bon contact avec mon ancienne école et ne manque pas de participer à toutes les réunions d’anciens élèves.
Il y a un peu plus de dix ans, le village dont j’étais le Président du Conseil, Bné Ayich, a eu la chance d’accueillir un émissaire fixe du Rabbi, Rav Aharon Karniel. J’assiste régulièrement à ses cours et je l’aide chaque fois que possible.
En 1987, plusieurs familles de ma ville, originaires du Yémen, vinrent me demander mon aide : ces immigrants étaient eux-mêmes parvenus à quitter leur pays en passant par le Soudan en 1961 mais leurs proches étaient restés sur place. Depuis l’opération «Paix en Galilée» en 1982, on recevait des nouvelles inquiétantes des Juifs habitant encore au Yémen : des synagogues avaient été transformées en mosquées et les autorités gouvernementales opprimaient les petites communautés de toutes les manières possibles. Le gouvernement israélien ne voulait rien entreprendre en leur faveur.
Nous avons alors fondé un Comité pour le sauvetage des Juifs du Yémen ; on me choisit pour le présider. Nous avons contacté des touristes en leur confiant des objets de culte pour ces Juifs en danger qui nous firent aussi connaître leurs besoins. Par leurs lettres, nous avons compris que le seul moyen d’obtenir leur émigration serait d’exercer des pressions par l’intermédiaire du gouvernement américain. Pour cela, il fut décidé que je me rendrai aux Etats-Unis afin de contacter personnellement des hauts fonctionnaires du Département d’Etat. Pour des raisons que je ne peux pas expliquer ici, on me demanda de me laisser pousser la barbe. C’est ainsi que je suis arrivé en hiver 1987, le visage orné d’une barbe touffue à New York. Bien entendu, fidèle à l’éducation que j’avais reçue à Kfar ‘Habad, je tenais à recevoir au plus vite la bénédiction du Rabbi : comment aurait-il pu en être autrement ?
Je fis la queue durant de longues heures mais quand j’arrivai devant le Rabbi, je lui expliquai que j’étais en mission pour aider au sauvetage des Juifs du Yémen. Les secrétaires voulurent m’empêcher de parler trop longtemps mais, sur un signe du Rabbi, ils me laissèrent finalement lui parler pendant près de quarante minutes. Le Rabbi m’écouta avec attention tout en me regardant intensément puis me dit quelque chose que je ne compris pas et termina en me confiant un dollar : «C’est pour la bénédiction et la réussite des Juifs du Yémen».
Je suis resté plusieurs mois aux Etats-Unis et j’ai réussi à établir des contacts importants avec diverses personnalités. D.ieu merci, ces initiatives ont porté leurs fruits. Je suis rentré en Israël et, quelques années plus tard, grâce à un travail intensif de notre organisation, nous avons obtenu des permis d’émigration pour de nombreuses familles du Yémen. Cela marqua l’apothéose de mon travail en leur faveur. Les habitants yéménites de Bné Ayich étaient fous de joie : ils allaient revoir des parents, des frères et sœurs qu’ils n’avaient pas vus depuis trente ans ! Un avion spécial emmena ces Israéliens en 1992 aux Etats-Unis, là où devaient atterrir leurs proches.
Il est impossible de décrire ces retrouvailles à l’aéroport de New York : celui qui n’a pas vu des parents embrasser leurs enfants ne sait pas ce que signifie le mot émotion. Les larmes de joie coulaient des yeux de tous, comme des fleuves impossibles à arrêter : elles auraient pu faire fondre la neige qui s’amassait dans les rues de New York !
Comme tout ‘Hassid qui se respecte – bien que je n’en ai pas l’aspect extérieur – j’avais prévu de me rendre chez le Rabbi. A ‘Hanouccah, près de cinq ans après ma première visite, je ne portais plus la barbe et j’avais bien entendu un peu vieilli.
Quand j’arrivais devant le Rabbi après avoir fait la queue plusieurs heures, il se tourna vers moi et m’adressa un grand sourire. Avant que j’ai pu prononcer un mot, le Rabbi me demanda : «Comment vont les Juifs du Yémen ?»
Que puis-je rajouter ? Combien de Juifs étaient passés durant ces cinq ans devant le Rabbi, combien de sujets l’avaient préoccupé mais, en une seconde, il m’avait reconnu, s’était souvenu du problème que j’avais évoqué… et tout cela alors que mon aspect extérieur avait bien changé ! Je n’ai aucun doute qu’il s’agit là de «Roua’h Hakodech», d’inspiration divine. Le Rabbi est vraiment le berger fidèle qui conduit son peuple, qui s’inquiète de la situation des Juifs du Yémen.
J’ai raconté au Rabbi comment nous avons réussi à réunir toutes ces familles et j’ai ajouté avec une émotion que je ne cherchais pas à cacher : «Rabbi ! ces jours-ci, les premières «étincelles» sont arrivées ! (en allusion aux étincelles de sainteté répandues de par le monde lors de la Création)». Le visage du Rabbi exprima une profonde satisfaction et il adressa de nombreuses bénédictions envers mes nouveaux compatriotes.
Ce fut un des épisodes les plus marquants de ma vie : rencontrer face-à-face le chef du peuple juif !

David Suker
(propos recueillir par Arie Samit – Kfar Chabad)
traduit par Feiga Lubecki