Il y a dix ans, par une chaude journée de printemps, je rendais visite à mon père en Israël. Il avait quatre-vingt-dix ans et était sérieusement malade.
Il avait vécu à Kfar ‘Habad ces dernières années et devait maintenant subir une opération qu’il appréhendait. Mais comme c’était sa dernière chance, je l’avais encouragé et accompagné à l’hôpital.
Assis à ses côtés dans la salle précédant le bloc opératoire, je récitai avec lui des Téhilim (Psaumes) et le Vidouï (confession finale). La pièce était silencieuse, nous étions seuls tous les deux à échanger souvenirs et recommandations.
Soudain – et ceci ne peut arriver qu’en Israël – quelqu’un ouvrit la porte avec fracas et jeta un coup d’œil dans la pièce. C’était un officier de haut rang – un colonel ou même un général – de l’Armée de l’air israélienne. Je lui demandai ce qu’il cherchait.
- «Un de mes amis», répondit-il.
- «Pourriez-vous donner à mon père une Bra’ha, une bénédiction ?» lui demandai-je.
Il trouva que la plaisanterie était très drôle et il éclata de rire.
«Ce n’est pas une plaisanterie ! Je voudrais vraiment que vous bénissiez mon père !»
Il redevint sérieux et semblait surpris.
«Vous servez dans l’Armée de l’air, n’est-ce pas ? Vous êtes prêt, vingt-quatre heures par jour, à donner votre vie pour défendre les Juifs de ce pays…»
«C’est exact» reconnut-il sèchement.
«Alors, je vous en prie, donnez une bénédiction à mon père ! Vous avez un pouvoir spécial. Le Rabbi avait beaucoup de considération pour les soldats de Tsahal. Il a dit que vous avez une capacité spéciale à bénir les autres Juifs car vous êtes prêt à vous sacrifier pour défendre le peuple d’Israël».
Surpris, il tira le béret qui était posé sur son épaulette et le posa sur sa tête. Je lui fis répéter, mot à mot, la bénédiction que prononcent les Cohanim :
«Que D.ieu te bénisse et te protège ! Que D.ieu fasse briller Sa face vers toi et t’accorde Sa grâce ! Que D.ieu élève Sa face vers toi et t’accorde la paix ! »
Il pleurait.
Je lui demandai : «Avez-vous eu l’occasion de mettre les Téfilines aujourd’hui ?»
«Non».
Alors je lui mis les Téfilines.
J’emporte toujours mes Téfilines avec moi, où que j’aille. J’ai adopté le slogan de la carte American Express : «Ne partez pas sans elle !» On ne sait jamais qui on va rencontrer – et on ne peut imaginer le pouvoir d’une Mitsva accomplie par un Juif : qui aurait pu s’imaginer mettre les Téfilines à un autre Juif dans une pièce préposée aux anesthésies ?
Couronné de ses Téfilines, l’homme répéta docilement les bénédictions et le Chema, tout en s’essuyant discrètement les yeux pour réprimer l’émotion qui le gagnait. Mon père le regardait gentiment, pensivement, fier de son fils, fier de ce soldat qui prenait le temps de le bénir et d’accomplir une Mitsva en son mérite.
Mon père fut amené sur la table d’opération. Il ne se réveilla pas.
Mais le dernier spectacle que mon père put contempler dans ce monde fut son fils qui mettait les Téfilines à un officier de Tsahal, le symbole de la force physique d’Israël allié à la force spirituelle, mais surtout à un frère juif. Imaginez la satisfaction d’un père !
Il est vrai que mon père n’a pas survécu. Mais une chose est sûre : les bénédictions et la Mitsva des Téfilines de cet officier possèdent une puissance infinie. Je suis sûr qu’elles ont aidé quelqu’un, quelque part en Israël et qui sait : peut-être – et sûrement – l’officier lui-même.

Rav Moshe Feller, Minnesota (Etats-Unis)
Traduit par Feiga Lubecki