Mon père était rabbin et Cho’het (sacrificateur rituel). Dans sa synagogue de Newark (New Jersey), il avait un ami qui était un ‘Hassid du précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn. Grâce à cet ami, j’eus le privilège d’obtenir une entrevue avec le Rabbi la veille de mon incorporation dans l’armée américaine pendant la Seconde Guerre Mondiale.
On me fit entrer dans le bureau du Rabbi : celui-ci était assis devant sa table mais tournait le dos à ses visiteurs. Son secrétaire me demanda la lettre dans laquelle j’avais écrit la bénédiction que je souhaitais recevoir du Rabbi. Nul n’avait le droit de voir le visage du Rabbi, je ne voyais que son dos mais je ressentais comme si je me tenais en présence de D.ieu.
Après que j’ai donné mon papier, on me fit patienter dans une antichambre et on me dit d’attendre. Dix minutes plus tard, un secrétaire me tendit une enveloppe fermée avec la recommandation du Rabbi de ne l’ouvrir qu’une fois que je serais rentré à la maison. Bien que dévoré de curiosité, je n’ouvris l’enveloppe qu’à mon arrivée chez moi.
Le message du Rabbi était écrit clairement, en yiddish. A partir du moment où j’embarquerais pour l’Europe, je devais chaque jour prier avec mon Talit et mes Téfilines et les protéger durant toute ma carrière militaire. Le Rabbi m’assurait que le Talit et les Téfilines me protégeraient et me permettraient de rentrer sain et sauf chez moi.
Mon Talit et mes Téfilines étaient enveloppés dans un simple sac de velours noir, avec une étoile de David brodée en fil d’or dans le coin supérieur gauche. Mon prénom hébraïque, Eliézer Ben Arié Leib était écrit en fil d’or dans le coin droit. Quand je ne l’utilisais pas, le sac en velours était introduit dans un sac en cuir, imperméable à l’eau, suspendu à un crochet à l’intérieur d’un tank.
Chaque matin, je me levais encore plus tôt que mes camarades G.I. pour prier. Les jours de pluie, je priai à l’intérieur du tank. Nul autre que moi n’avait le droit de toucher le sac en velours.
J’étais opérateur radio sur un tank M10 attaché à la 45ème division Oklahoma en Allemagne. Les Nazis devaient se rendre dans les douze à quinze jours à venir. Mon tank était parqué au repos et le soleil se couchait. Tout allait bien, le calme régnait quand le camion de ravitaillement d’essence se plaça derrière le tank. Nous avions commencé à décharger l’essence du camion tandis que nos camarades chargeaient les munitions et la nourriture.
Ces activités produisaient beaucoup de bruit, ce qui explique que nous n’avons pas entendu le mortier qui explosa à la gauche des deux véhicules. Un soldat fut tué sur le coup tandis que des éclats métalliques pénétrèrent dans mon corps. Le bruit qui avait alors été assourdissant fit place à un silence mortel, un silence tel que je crus que j’étais devenu sourd. Tandis que je gisais dans la boue, perdant abondamment mon sang, j’entendis un oiseau qui chantait non loin de là.
«Ce son si agréable sera-t-il le dernier que j’entendrai de ma vie ?» eus-je le temps de penser. «Quelle ironie ! Je suis un ‘Hazane (cantor) professionnel et j’aurais entendu de la musique au dernier moment de ma vie !»
Très vite les activités reprirent : des hommes couraient en aboyant des ordres tandis que des soldats gémissaient et suppliaient qu’on les aide. Un incendie se déclara, menaçant de faire exploser le stock de munitions et l’essence qui venaient d’être chargés.
Voyant que j’étais encore vivant, les médecins ordonnèrent qu’on me transporte à l’hôpital de campagne non loin de là. Tandis qu’on m’installait sur la civière, je criai à mon sergent juif : «Apporte-moi mon Talit et mes Téfilines, mon Talit et mes Téfilines, c’est vital !». Le médecin ordonna mon départ mais je continuais de crier, de plus en plus fort jusqu’à ce que mon Talit et mes Téfilines fussent posés à mes côtés et que je puisse les serrer fermement contre moi.
Le personnel médical procéda immédiatement à l’opération. Malheureusement, ma montre, mon sac personnel et mon porte-monnaie me furent dérobés mais pas mon sac à Téfilines qui avait été caché sous ma couverture. Il est resté avec moi. Durant l’opération, je l’avais confié à une infirmière qui me le rendit trois jours après, quand je finis enfin par me réveiller. Elle avait remarqué l’étoile de David brodée sur le sac et en avait pris soin. Elle avait reconnu instinctivement le pouvoir du Talit et des Téfilines.
La bénédiction du Rabbi s’était réalisée. Je retournai chez mes parents, sain et sauf même si j’étais blessé. J’avais emporté et protégé mon Talit et mes Téfilines comme le Rabbi me l’avait recommandé et eux m’avaient protégé.

* * *

Bien que mes fils m’aient, par la suite, acheté d’autres Talitots avec des broderies plus fines et plus fraîches, je préfère continuer d’utiliser ce Talit pour la prière quotidienne.

Eliezer Schelman
Jérusalem Post
Traduit par Feiga Lubecki