Le petit Chlomo était le dernier-né d'une famille de neuf enfants. Il avait le sourire facile et des yeux pétillants d'intelligence. Ce qu'il préférait, c'était le vendredi après midi, quand sa mère allumait les bougies de Chabbat. Les flammes dansant sur les chandeliers d'argent soigneusement frottés le fascinaient.
Mais un vendredi soir, alors que sa mère couvrait ses yeux de ses mains pour réciter la bénédiction, une des bougies tomba sur le bras de Chlomo qui fut sérieusement brûlé. On l'amena à l'hôpital, il fut soigné et se remit au bout de quelques jours. Mais il garda une vilaine cicatrice sur le bras, en quelque sorte un souvenir indélébile de l'incident.
Puis la seconde guerre mondiale éclata. La Pologne fut conquise par les Allemands. Dans le cadre de la "solution finale", tous les Juifs de la ville furent rassemblés et emmenés dans des camps d'extermination.
Reb Avraham, le père de Chlomo, fut séparé de force de sa famille et conduit dans un camp de travaux forcés. Malgré de terribles épreuves, il survécut et se retrouva, sans l'avoir voulu, en Union Soviétique. Il était maintenant seul au monde.
Physiquement marqué et épuisé, il tenta néanmoins de surmonter son chagrin. Il se jeta dans l'étude de la Torah, la prière et l'enseignement du judaïsme à des enfants qui n'en avaient aucune notion. Non content de diriger secrètement une école juive, il était également "Mohel" (circonciseur). La petite synagogue était presque devenue sa demeure.
Bien entendu, toutes ces activités étaient tout à fait illégales. Mais Reb Avraham considérait qu'il n'avait rien à perdre après tout ce qu'il avait enduré.
Finalement il décida de présenter aux autorités de l'OVIR une demande de visa pour quitter l'U.R.S.S. Contre toute attente, celui-ci lui fut accordé facilement. Bien qu'il fût très heureux de pouvoir quitter le pays, il ressentait néanmoins une sourde inquiétude au su jet des Juifs qu'il laisserait désormais sans instituteur, sans "Mohel", sans éducation juive...
Maintenant que l'heure du départ pour la Terre Sainte approchait, il prenait moins de précautions. Un jour, alors qu'il était resté seul dans la synagogue, il alluma des bougies pour le souvenir de sa femme et de ses enfants décimés par la Shoah; emporté par l'émotion, il se mit à lire les Psaumes, avec toujours plus de ferveur, jusqu'à ce que le son de sa voix s'entende dans la rue...
A cet instant, Natichka, un jeune agent du K.G.B. passait justement par là. Intrigué, il entra dans la synagogue et à la vue du vieux rabbin chantant sa douleur, il fut pris d'une rage folle, retroussa ses manches et s'apprêta à le frapper sérieusement pour qu'il cesse ses activités "bigotes et moyenâgeuses".
Reb Avraham ne s'émut pas outre mesure. Il avait déjà été si souvent battu! Et il s'écria: "Chema Israël..." Car il se savait au seuil de la mort.
C'est alors qu'il remarqua que l'avant-bras de Natichka portait une cicatrice inhabituelle... "Chlomo, mon fils!" s'écria-t-il...
Le visage du jeune communiste devint pâle tandis que sa main levée s'immobilisait dans l'air. Inexplicablement, il se sentait attiré par les flammes des bougies... comme si des souvenirs longtemps refoulés réapparaissaient... La gorge serrée, il sentit les larmes couler de ses yeux et embrassa le vieux rabbin en pleurant comme un enfant.
" Papa! Papa!" disait-il inlassablement, "Pardonne-moi, je t'en prie!"
Père et fils tombèrent dans les bras l'un de l'autre, trop heureux de cette extraordinaire rencontre.
Peu de temps après, ils émigrèrent tous deux vers Israël. Depuis lors, chaque semaine, ils contemplèrent les flammes des bougies de Chabbat, en revivant cette émotion intense qui les avait enfin réunis.