Le 24 Tévet est la Hiloula (l'anniversaire du décès en 1812) de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, l'auteur du Tanya et du Choul'hane Arou'h Harav.

Au début du 19ème siècle, quiconque désirait établir une imprimerie en Russie devait soumettre sa requête devant divers bureaux afin d'obtenir pour cela la permission des autorités. Il fallait donc se rendre à St-Pétersbourg, la capitale, avant d'entreprendre des démarches longues et fastidieuses qui devaient aboutir sur le bureau du Ministre de l'Intérieur, responsable de l'imprimerie et de la censure. Une fois la signature du ministre obtenue, il fallait attendre que les papiers passent à nouveau par tous les bureaux avant de pouvoir ouvrir son entreprise.
Reb Moché, le fils de Rabbi Pin'has de Koritz, habitait à Slovita. Avant de devenir celui qui eut le mérite d'imprimer pour la première fois le Tanya, il dut se rendre à Pétersbourg pour obtenir les permis nécessaires. En route, il décida de faire un détour par Lyozna, là où habitait Rabbi Chnéour Zalman, qui n'était à l'époque connu que comme étant le Magguid, le Prédicateur de Lyozna, pour recevoir sa bénédiction.
Après avoir écouté attentivement Reb Moché, Rabbi Chnéour Zalman déclara : " Si vous voulez bien écouter mon conseil, n'allez pas à Pétersbourg mais à Moghilev ! "
- " A Moghilev ? "
- " Oui ! Là-bas, vous trouverez un vieux professeur, un certain Reb Israël. Demandez-lui de vous accompagner à Vilna ! "
" A Vilna ? " Reb Moché était de plus en plus étonné.
" Faites comme je vous ai dit et D.ieu vous enverra la réussite " conclut le Rabbi devant Reb Moché abasourdi.
Celui-ci ne savait plus que faire : où était la logique dans ce nouveau plan de voyage ? Mais, par ailleurs, il était conscient de la sainteté de Rabbi Chnéour Zalman. Finalement sa confiance dans la parole du Tsadik surmonta son esprit rationnel et il se mit en route pour Moghilev, tout en se demandant comment un instituteur d'école juive pourrait l'aider à obtenir ses papiers.
En arrivant dans cette ville, il se dirigea bien évidemment vers la petite synagogue locale où on l'accueillit chaleureusement. Mais nul ne connaissait Reb Israël le Melamed. Finalement quelqu'un se souvint qu'un certain Reb Israël, âgé d'une soixantaine d'années, habitait au bout de la ville… Reb Moché se hâta de le retrouver et lui expliqua tout de go le but de sa visite. Le Melamed n'était pas un 'Hassid et dévisagea son interlocuteur avec suspicion : " D'où votre Rabbi me connaîtrait-il ? Peut-être pensait-il à quelqu'un d'autre ! "
Reb Moché (qui n'était lui-même pas très convaincu) déploya cependant des trésors de persuasion pour que Reb Israël accepte de l'accompagner à Vilna.
" Au fait, que sommes-nous supposés faire à Vilna ? " demanda celui-ci ironiquement.
" Euh… balbutia Reb Moché, en vérité je ne le sais pas moi-même… Mais c'est ce que le Rabbi a demandé… "
Ce n'est qu'après avoir offert une somme conséquente au Melamed que celui-ci daigna l'accompagner. A Vilna, ils s'installèrent dans la maison toujours ouverte aux invités de Reb Meïr Rephoels : celui-ci, informé de la requête étrange du Rabbi, ne voyait pas non plus ce que cela signifiait. Il ne restait plus qu'à attendre un signe du ciel…
Chabbat après-midi, Reb Meïr, Reb Moché et Reb Israël partirent se promener dans un parc. Un homme élégant, vêtu d'un uniforme officiel, s'arrêta brusquement devant eux et s'écria :
" Reb Israël ! Reb Israël ! "
Le " Melamed " regarda l'homme sans comprendre. D'où cet inconnu connaissait-il son nom ?
" Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis Bérélé ! J'étais votre élève il y a vingt ans ou plus ! "
Il ajouta encore quelques détails et Reb Israël se souvint alors de cet élève qu'il toisa de haut en bas, sans cacher sa déception. En effet, l'homme ne semblait pas avoir absorbé l'éducation que le Melamed lui avait prodiguée : de fait, il s'était complètement assimilé et ressemblait aux non-Juifs alentour.
" Jusqu'à aujourd'hui, je me souviens de vous, Reb Israël ", dit l'homme pour tenter de rendre un ton positif à leur conversation.
" J'en suis très heureux, dit Reb Israël, mais pourquoi ? "
L'homme rappela alors un épisode pénible : un jour, il s'était conduit de façon assez sauvage à l'école et le directeur l'avait condamné à plusieurs coups de fouet : " Je n'oublierai jamais ces instants horribles. Je tremblais de peur et de honte tandis que mes camarades étaient assemblés tout autour. J'avais envie d'être englouti par la terre. C'est alors que vous êtes venu, Reb Israël, vous avez repris le fouet et vous m'avez épargné cette douleur et cette honte. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien je vous en ai été reconnaissant. Jusqu'à aujourd'hui, je ressens que j'ai une dette envers vous ! "
" Qu'avez-vous fait depuis ? " demanda Reb Israël.
" A ce moment-là, j'ai pris la décision de quitter l'école juive. Je me suis inscrit à l'université et me voilà ! "
Il prononça ces derniers mots avec un mélange de fierté et de gène.
" Que veux-tu dire par là ? Que fais-tu maintenant ? "
" De fait, je suis devenu le ministre chargé de la censure et de l'imprimerie. Il y a une semaine, j'ai quitté mon bureau de Pétersbourg pour me reposer un peu ici, à Vilna ".

* * *

Le lendemain, Reb Moché recevait des mains de son ancien élève son permis flambant neuf pour ouvrir une imprimerie qui devint célèbre dans le monde juif pour la qualité des livres et des commentaires qu'il édita durant une longue période.
Quand il retourna à Lyozna pour remercier Rabbi Chnéour Zalman de son conseil, Reb Moché n'était plus seul. Il était accompagné d'un nouveau 'Hassid : Reb Israël le Melamed.

" Sihat Hachavoua "
Traduit par Feiga Lubecki