C’était il y a un peu plus de dix ans. L’émissaire du Rabbi à Ittica (état de New York), Rav Eliahou Silberstein reçut un coup de téléphone bouleversant : un père, rescapé de la Shoah, exposait son problème :
« Je suis né à Lodz et toute ma famille a péri dans la Shoah. Par une suite incroyable de miracles, j’ai survécu et, après la guerre, je me suis installé aux Etats-Unis. Je me suis marié et nous avons eu deux fils. Comme nous sommes pratiquants, nous avons envoyé nos fils étudier à la Yechiva University. L’aîné s’est marié sans problème. Le second s’était fiancé avec une jeune fille également pratiquante mais, peu de temps avant le mariage, elle s’est subitement rétractée et tous les projets ont été annulés : bien sûr, mon fils en a été profondément choqué et, petit à petit, s’est éloigné de la communauté et de la pratique religieuse. A l’époque il terminait ses études de médecine.
« Un jour il nous expliqua tout de go qu’il avait fait la connaissance d’une jeune fille chrétienne qu’il souhaitait épouser ! Nous avons été atterrés par cette nouvelle, nous avons tenté de l’en dissuader par des pleurs, des arguments logiques, des supplications même mais la pression qu’il subissait chez nous était telle qu’il préféra nous quitter en claquant la porte.
« Cela fait presque douze ans que nous n’avons plus aucune nouvelle directe de notre fils. Inutile de décrire notre peine. Au début, nous ne savions vraiment rien de lui puis nous avons fait appel à un détective privé qui, après enquête, nous informa que notre fils avait terminé brillamment ses études et qu’il était devenu un médecin très réputé dans le domaine de l’ORL ».
Le père marquait une pause. Il respirait difficilement, encore sous le coup de l’amertume.
« Et que puis-je faire pour vous ? » demanda Rav Silberstein, intrigué.
« Dernièrement, nous avons appris que notre fils s’est installé à Ittica et nous avons pensé que vous pourriez peut-être nous aider à renouer le contact avec lui », dit le père d’une voix étranglée.
« S’il s’est éloigné à ce point de son judaïsme et de sa famille, pourquoi accepterait-il de discuter avec moi ? » remarqua, fort justement, Rav Silberstein.
« C’est vrai, ce n’est pas évident, mais je suis persuadé que d’une manière ou d’une autre, vous trouverez le moyen de parler à son cœur ».
Rav Silberstein en parla à son épouse qui suggéra qu’il prenne pour elle un rendez-vous chez ce médecin pour d’(imaginaires) problèmes de santé : le Rav l’accompagnerait pour la consultation et aurait donc l’occasion de discuter avec lui.
Mais ce n’était pas si simple. Il fallait d’abord obtenir une lettre d’un médecin de famille puis attendre trois mois pour un rendez-vous. Quand, enfin, les Silberstein se présentèrent, on leur expliqua que ce médecin s’était justement fait remplacer ! Inutile de décrire leur déception.
Entre temps, il y eut le 3 Tamouz 1994, le jour où le monde juif apprit avec stupeur la Histalkout du Rabbi de Loubavitch (son départ physique de ce monde).
A l’approche des Chlochim (le 30ème jour de deuil), Rav Silberstein décida d’organiser un grand rassemblement dans sa communauté, avec discours, vidéos, expositions etc... Pour cela, il fit imprimer des invitations avec la photo du Rabbi, une brève biographie et quelques mots sur l’influence bénéfique que le Tsadik continue d’exercer, une fois dans le Monde de Vérité, sur ceux qui s’attachent à lui. Au moment d’envoyer ces invitations, il eut l’idée d’ajouter le nom du docteur à son mailing : que risquait-il ? Au meilleur des cas, celui-ci viendrait et le Rav pourrait alors lui parler. Au pire des cas, sa secrétaire téléphonerait pour exiger qu’on enlève son nom de la liste.
Le médecin ne vint pas.
Quelques jours plus tard, le père téléphona : « Rav Silberstein, je ne sais comment vous remercier ! »
- « Je ne vous comprends pas ! Je n’ai pas réussi à rencontrer votre fils ! »
- « Alors moi aussi je ne comprends pas ! Sachez que, hier, on a sonné à notre porte : c’était notre fils. Je ne peux vous décrire combien nous avons été surpris et heureux. Nous n’avons pas osé lui demander ce qui l’avait poussé à venir enfin chez nous mais j’étais persuadé que c’était grâce à vous ! »
Rav Silberstein réfléchit puis suggéra : « Peut-être est-ce parce que je lui ai envoyé une invitation... »
« Sûrement ! s’écria le père. Ecoutez : quand les enfants étaient petits, nous les avons envoyés dans les colonies de vacances Gan Israël du mouvement Loubavitch. Je suis sûr que l’image du Rabbi est gravée profondément dans l’esprit de notre fils. Je ne vois pas d’autre explication ! »
Quelques semaines plus tard, le père téléphona à nouveau : « Il y a quelques minutes, notre fils a téléphoné et a demandé que nous lui envoyions ses Téfilines ! Apparemment, il se passe quelque chose dans sa tête et son cœur ! »
Et un mois plus tard, le père rappela ; cette fois, il pleurait et avait du mal à parler. « Notre fils nous a annoncé qu’il s’était séparé de sa compagne. Nous avons l’impression que notre fils nous a été rendu ! »

* * *

Depuis le premier coup de téléphone, il s’est passé, comme nous l’avons dit, plus de dix ans.
Rav Silberstein aura très bientôt l’occasion d’assister au mariage du docteur avec une jeune femme juive respectueuse des lois de la Torah avec laquelle il établira un foyer cachère et harmonieux.

Si’hat Hachavoua
traduit par Feiga Lubecki