Né en Ukraine en 1930, Rav Aaron Zakon y reçut une solide éducation ‘hassidique. Après avoir survécu aux horreurs de la guerre et du communisme, il arriva aux Etats-Unis en 1948 ; il s’y maria et fonda une grande famille.
En 1962, il devint professeur de « Talmud Torah », c’est-à-dire qu’il donnait des « cours de religion » aux enfants juifs qui fréquentaient l’école publique. Ces cours avaient lieu à la fin de la journée d’étude et, bien entendu à cette heure-là, les enfants étaient loin d’être motivés et intéressés. Pour eux, le judaïsme ne représentait pas grand-chose puisqu’il n’en voyait que peu de pratique dans leurs maisons.
Après plusieurs années, il se sentit si découragé qu’il écrivit au Rabbi : il décrivait sa frustration, combien il avait l’impression de perdre son temps (à ses proches, Rav Zakon disait : « J’ai l’impression de parler aux murs ! »)
Le Rabbi répondit : « Continuez ce travail et vous verrez les fruits des fruits de votre labeur ! »
Et c’est ainsi que pendant plus de dix ans, Rav Zakon continua ce travail ingrat. Parfois il invitait ses élèves à passer Chabbat chez lui : son épouse s’efforçait de les accueillir le mieux possible, préparait d’excellents repas, des histoires, des jeux etc… mais, après leur départ, elle aussi ressentait cette frustration : « Le judaïsme ne les intéresse absolument pas ! » En effet, quand les garçons arrivaient, ils acceptaient de mettre une Kippa sur la tête mais on sentait combien ils ridiculisaient cette pratique (les filles étaient plus respectueuses des usages de la maison).
En 1972, la population du quartier avait changé et le « Talmud Torah » ferma ses portes. Rav Zakon, qui n’avait presque plus de voix à force d’enseigner, devint un de ces commerçants typiques de Kingston Avenue, dans le quartier Loubavitch de Crown-Heights à Brooklyn.
Un jeudi soir, alors qu’il fermait son magasin, sa voisine, Mme ‘Hannie Hecht qui tenait un magasin de vêtements non loin de là, lui dit qu’elle avait un message important pour lui.
‘Hannie se fournissait depuis plusieurs années chez une grossiste, Renée Ripinski à Manhattan. Jusqu’à présent, leurs relations avaient été strictement commerciales mais ce jour-là, Renée avait ouvert son cœur : « J’avais un ami que je fréquentais depuis longtemps. Il voulait m’épouser, mais j’ai refusé : je ne pouvais pas l’épouser parce qu’il n’était pas Juif. Nous avons rompu ».
Curieuse, ‘Hannie lui demanda : « Et qu’est-ce qui vous empêche de l’épouser ? »
Renée expliqua alors que, trente ans plus tôt, elle avait étudié au Talmud Torah ; le professeur était un ‘Hassid de Loubavitch et il avait expliqué qu’un Juif reste toujours un Juif et ne doit se marier qu’avec un Juif pour que la nation survive et ne s’assimile pas. Il était intransigeant dès qu’il s’agissait d’assimilation. Pour lui, l’identité juive était très importante : « Vous devez savoir qui vous êtes » disait-il souvent.
« Et comment s’appelait-il ? »
« Oh, il n’est sûrement plus vivant aujourd’hui ! Il avait déjà une barbe blanche, il y a trente ans ! Il s’appelait Rav Aaron Zakon ! »
(De fait, les cheveux et la barbe de Rav Zakon avaient blanchi quand il avait vingt ans).
Bien que Renée n’ait plus eu aucun contact avec Rav Zakon ou d’autres rabbins, ces mots s’étaient gravés dans son cœur et elle n’avait pas pu oublier qu’elle faisait partie du peuple juif, au point de refuser une offre de mariage ! Et tout cela alors que Rav Zakon était persuadé qu’il parlait aux murs !
‘Hannie rassura Renée : Rav Zakon était bien vivant et, de plus, il était son voisin ! Renée en fut bien sûr très contente et la pria de transmettre à son ancien professeur son plus chaleureux souvenir. Ce qu’elle fit le jour même.
Rav Zakon rentra chez lui sur un nuage. Il se souvenait de la promesse du Rabbi, qu’il verrait les fruits de son labeur, un labeur qui lui avait semblé si inutile durant toutes ces années. Maintenant il voyait la réalisation de cette promesse : une de ses élèves avait bel et bien retenu son enseignement et l’avait appliqué concrètement des années plus tard !
Durant tout le Chabbat, il répéta à sa femme, ses enfants, ses petits-enfants, ses amis à la synagogue : « Vous voyez ! Le Rabbi a promis et cela s’est réalisé ! »
Ce devait sans doute être ses derniers mots. Le lendemain, il fut victime d’une crise cardiaque et rendit son âme à son Créateur à l’âge de soixante-douze ans.
Par la suite, ‘Hannie informa Renée qu’elle, Renée, avait contribué à faire passer un magnifique dernier Chabbat à Rav Zakon qui avait quitté ce monde avec une joie et une satisfaction toute ‘hassidiques. Renée décida alors d’écrire à Mme Zakon pour lui adresser ses condoléances. Une longue correspondance s’ensuivit.
Un jour elle raconta à madame Zakon qu’elle avait rencontré la mère de deux garçons qui avaient fréquenté le même Talmud Torah qu’elle. Bien entendu, Renée avait demandé des nouvelles de ses deux camarades : « Figurez-vous qu’ils sont devenus pratiquants, orthodoxes mêmes ! Leurs enfants fréquentent les Yechivot (instituts talmudiques) bien qu’eux-mêmes n’aient pas été élevés dans une famille pratiquante. Vous vous souvenez de votre professeur à l’époque, Rav Zakon ? C’est lui qui a éveillé l’intérêt de mes enfants pour le judaïsme. Ils avaient passé un Chabbat dans sa maison et ils avaient apprécié cette atmosphère. En grandissant, ils ont adopté cette façon de vivre. Et ils sont heureux ! »
Comme le dit Renée à Mme Zakon : « Non seulement vous voyez aujourd’hui les fruits de votre labeur, mais vous les verrez pendant des générations et des générations ! »

Braindy Naparstek – Rishe Deitsch
(N’shei Chabad Newsletter)
traduites par Feiga Lubecki