Rabbi Chaoul Wahl fut le seul Juif de toute l’histoire qui devint non seulement ministre mais même roi de Pologne, en 1686, quand il fut nommé roi “de transition” en attendant la nomination d’un autre souverain.
Rabbi Chaoul avait un fils, Meïr, particulièrement vif et attachant. Quand il l’emmenait à la cour du roi, tous les courtisans se précipitaient pour entendre ses remarques brillantes et intelligentes.
Même le roi avait remarqué combien Meïr était doué et, en secret, décida d’en faire son gendre. Pour cela, il envoya une lettre au pape lui demandant une “permission” spéciale de faire épouser à sa fille un Juif qu’on se hâterait, bien entendu, de convertir à la foi chrétienne.
En apprenant par hasard la nouvelle, qui avait pourtant été gardée secrète, Rabbi Chaoul fut effondré : il se doutait bien qu’“exceptionnellement”, le pape serait trop heureux d’accepter la proposition. Il n’y avait plus qu’une solution pour échapper à ce danger: arranger au plus vite un mariage juif pour son fils. Mais quelle jeune fille accepterait-elle de se marier si vite, autant dire le jour-même ? C’est alors que Rabbi Chaoul eut une idée géniale : faire épouser à son fils une femme juive malade, sur le point de mourir de sorte qu’après sa mort, Meïr puisse épouser la jeune fille qui lui conviendrait vraiment.
En discutant avec des médecins juifs de Varsovie, Rabbi Chaoul découvrit ce qu’il recherchait : une femme d’âge mûr, atteinte d’une grave maladie et que les docteurs ne savaient plus comment soigner. La femme, mise au courant, accepta et, le jour même, le jeune Meïr, l’enfant prodige promis à un brillant avenir, épousa une femme déjà âgée et sur le point de mourir.
Quelques jours plus tard, le roi reçut la lettre tant attendue du pape. Comme prévu, celui-ci avait accordé une “permission” exceptionnelle, mais quand le roi fit venir Rabbi Chaoul pour lui exposer la bonne nouvelle, celui-ci expliqua qu’il regrettait de ne pouvoir accepter cette aubaine parce que son fils était déjà marié, comme le prouvait le document qu’il avait apporté.

* * *

Trois années plus tard, une femme inconnue frappa à la porte de Rabbi Chaoul : “Bonjour, je suis votre bru!”
Rabbi Chaoul resta cloué sur place de stupeur. Comment aurait-il pu imaginer que se tiendrait devant lui, trois ans plus tard, une femme que tous les médecins avaient condamnée ?
“Effectivement, les médecins ne peuvent expliquer le miracle de ma guérison, continua la femme, mais moi j’en connais la raison. Lorsque j’étais dans mon lit, agonisante, je n’avais plus aucun goût à la vie. Je n’avais aucune raison de combattre la maladie qui menaçait de m’emporter. Le fait de me marier avec votre fils m’a redonné courage et c’est ainsi que j’ai trouvé la force de me battre contre la fatalité”.
Rabbi Chaoul était atterré. Dans ses cauchemars les plus noirs, il n’aurait pu imaginer que son fils, la prunelle de ses yeux, un érudit aussi parfait, soit le mari d’une femme âgée que nul ne connaissait. Tout le but de ce mariage avait été d’éloigner la perspective d’un incident diplomatique grave, peut-être même d’un pogrome ; et voilà qu’un autre problème surgissait !
Cachant très mal ses sentiments, Rabbi Chaoul exposa très courtoisement à “sa belle-fille” qu’effectivement, selon la Torah, elle était l’épouse de son fils mais qu’il lui conseillait d’accepter le divorce, proposant même de la dédommager très correctement avec dix mille pièces d’or.
La femme qui était intelligente et de noble caractère, accepta.
On réunit rapidement, en secret, trois rabbins pour écrire l’acte de divorce. Juste avant la cérémonie, la femme demanda l’autorisation de parler quelques minutes à Meïr, son mari. Seule avec lui, elle lui-dit : “Ecoutez, je sais que les plus grands rabbins vont frapper à votre porte pour vous proposer leurs filles en mariage. Avant que nos chemins ne se séparent, je voudrais moi aussi, vous faire une proposition : épousez donc une jeune fille juive de bonne famille, pieuse, érudite et riche ! ”
“De qui s’agit-il ?” demanda Meïr, étonné.
“De moi-même! répondit-elle. Je suis riche puisque je posséderai dix mille pièces d’or et je viens d’une bonne famille puisque je suis la fille de Rabbi Pin’has, le beau-père du célèbre Rabbi Ramo de Cracovie”.
Meïr était stupéfait, mais elle continua : “Après la mort de mon père, je suis tombée très malade, au bord de la mort. Soudain, vous êtes apparu dans ma vie, comme un ange venu du ciel, et vous m’avez épousée selon la loi juive : c’est alors que je me suis sentie revivre, une sève nouvelle a coulé dans mes veines. Vous m’avez donné la vie, ne me la reprenez pas. Tout dépend de vous… ”
Ces derniers mots touchèrent Meïr au plus profond de son cœur. Après avoir réfléchi en silence quelques minutes, il retourna dans la pièce où se trouvaient les trois rabbins : non, il ne désirait plus divorcer : “ Cette femme est une orpheline, de bonne famille et je ne veux pas lui faire de peine. Je veux vivre avec elle et ensoleiller tous les jours de sa vie ! ”
Tous les arguments de son père et des rabbins n’y firent rien. Meïr resta ferme dans sa décision.
L’affaire arriva jusque sur le bureau du célèbre “Ramo”.
Rabbi Chaoul plaida: “Cette femme ne pourra sans doute plus avoir d’enfants ! Ce mariage était une erreur !”
Pensif, le “Ramo” décida finalement que, si Meïr tenait vraiment à ne pas divorcer, il pouvait vivre avec elle. “Quant à son âge, continua le “Ramo”, avec l’aide de D.ieu elle pourra avoir des enfants”.
Tout le monde se rangea à son opinion. Un an plus tard, la femme de Meïr mit au monde une fille qui s’appela Beïla. Par la suite, Beïla épousa le célèbre Rabbi Yona Temim, qui devait devenir le chef du tribunal rabbinique de Metz et Nicholsbourg et qui rédigea le livre “Kikayone Deyona”.