L’aéroport international de Lod. Une fois que les voyageurs ont enregistré leurs bagages et passé les contrôles de sécurité, ils ont souvent du temps à perdre et aiment flâner autour du stand Loubavitch: là, depuis tôt le matin jusqu’à tard le soir, ils peuvent prendre un café, étudier, mettre les Téfilines, discuter avec les responsables, s’informer des horaires de Chabbat partout dans le monde, faire provision de brochures dans toutes les langues mais aussi d’adresses utiles de restaurants cachères, synagogues etc…
Rav Moché Marinovski et un autre Loubavitch étaient ce jour-là particulièrement occupés : les passagers faisaient la queue pour mettre les Téfilines juste avant de prendre l’avion. C’est justement à ce moment qu’apparut un homme âgé d’environ soixante-dix ans, avec toute l’apparence d’un Juif religieux: observant avec admiration l’agitation autour du stand, il s’approcha de Rav Moché et lui dit : “J’aimerais vous raconter une histoire que vous n’avez jamais entendue à propos du Rabbi”. Tout en continuant à aider les voyageurs à mettre les Téfilines, Rav Moché et son compagnon l’écoutèrent attentivement :
“J’étais encore un adolescent quand les Nazis envahirent la Pologne. Déporté avec tous les Juifs de la région, je suis passé par toutes les étapes de l’enfer et j’ai perdu presque toute ma famille. Ce n’est que grâce à des miracles constants que j’ai survécu. Après la guerre, je me suis retrouvé avec de nombreuses autres “personnes déplacées” dans un camp à Chypre. Là-bas, je me suis lié d’amitié avec d’autres jeunes qui avaient traversé les mêmes épreuves et nous avons décidé de toujours garder le contact entre nous. C’est effectivement ce qui s’est passé: je me suis installé dans la Palestine d’alors, un autre est parti aux Etats-Unis et un troisième au Brésil. Au début, nous nous écrivions souvent, nous téléphonions et j’eus même droit à quelques visites de leur part. Mais l’éloignement géographique eut vite raison de cette belle amitié et, au bout d’un certain temps, nous nous contentions d’une carte de bonne année avant les fêtes. Cela aurait pu durer ainsi si le Rabbi de Loubavitch n’en avait décidé autrement…
Durant l’hiver 1988, je partis en voyage d’affaires à New York. D.ieu avait décidé que je devais rester là-bas plus longtemps que prévu. Comme j’avais souvent eu le désir de voir le Rabbi de Loubavitch, j’en profitai pour me rendre au 770 Eastern Parkway un dimanche matin. Là je fis la queue, patiemment, jusqu’à ce que j’arrive devant le Rabbi qui accordait ses bénédictions à tous ceux qui passaient devant lui, tout en leur confiant un billet d’un dollar à remettre à la Tsédaka (charité). Le Rabbi m’accueillit avec un visage rayonnant et me dit avec un grand sourire, comme à tout le monde: “Bénédiction et Réussite”. Je signalai alors au Rabbi que je m’apprêtais à retourner la semaine suivante en Terre Sainte. Le Rabbi me tendit alors un dollar supplémentaire en me disant, à ma grande surprise: “A remettre à la Tsédaka… au Brésil !” Bien entendu, je voulus faire remarquer au Rabbi que je désirais retourner en Israël et non ailleurs mais déjà on m’avait fait avancer vers la sortie et je ne pouvais plus rien lui demander. Je me retrouvai à l’extérieur, stupéfait, persuadé que j’avais mal compris. Mais en réfléchissant bien, je réalisai que certainement, il n’y avait pas d’erreur car j’avais entendu tant d’histoires sur le Rabbi que, malgré mes doutes, je devais me conformer à ses paroles. J’appelai mon agence de voyages, annulai mon vol direct vers Israël et pris un billet avec une escale au Brésil.
Quand l’avion se posa au Brésil, je ne pus m’empêcher de m’inquiéter: “Que suis-je supposé faire dans ce pays où je ne connais personne ?”. C’est alors que je me souvins de mon ami “d’enfance”: dès que je récupérai mes valises, je téléphonai en Israël pour obtenir les coordonnées de mon ami que j’appelai bien sûr immédiatement. Celui-ci fut très heureux de m’accueillir même à l’improviste et après les premiers instants d’émotion, nous avons pris des nouvelles l’un de l’autre. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre qu’il était très soucieux: je l’avais connu plus jeune, doué d’un humour à toute épreuve, mais, là je lui demandai quel était son problème. Il ne put retenir ses larmes: son fils unique, la prunelle de ses yeux, s’était éloigné de la voie de la Torah, petit à petit et en était arrivé au point de vouloir se marier avec une non-Juive !
Mon ami ne trouvait plus le sommeil, il n’arrêtait pas de prier silencieusement le Maître du monde pour que son fils ne franchise pas cette ligne rouge. Mais rien n’y faisait et il ajouta: “Pourquoi ai-je tant résisté dans les camps, pourquoi ai-je supporté tant de souffrances si, à la fin, l’enfant qui dira le “Kaddich” pour moi ne me donne pas des petits-enfants juifs ?”
Accablé par sa douleur, je ne savais que dire. Puis, pour changer un peu l’atmosphère, je lui racontai comment j’avais décidé, après la bénédiction du Rabbi, de me rendre tout à coup au Brésil. C’est alors que moi-même je réalisai: “Je sais maintenant pourquoi le Rabbi m’a envoyé ici !”
Je demandai à mon ami l’adresse de son fils et me rendis chez lui. Au début, il me reçut avec froideur mais, quand je lui racontai que le Rabbi m’avait envoyé en mission, il accepta de m’écouter. Petit à petit, il s’intéressa à ce que je disais: je lui racontai dans quelles circonstances j’avais connu son père, combien nous avions souffert ensemble du fait d’être Juifs, combien son père avait été heureux au moment de sa naissance et combien il était malheureux maintenant. Je lui expliquai pourquoi un mariage mixte représentait l’antithèse de toutes les valeurs pour lesquelles son père avait fourni tant d’efforts. Je lui rappelai que le peuple juif est seul parmi les nations et que cette situation est un fait que rien ne pourra changer.
Il m’écoutait maintenant attentivement et nous avons parlé toute la nuit.
Le lendemain, il insista pour m’amener lui-même à l’aéroport. Il m’embrassa affectueusement et chuchota à mon oreille qu’il avait bien réfléchi et que, malgré les difficultés que cela impliquait, il avait décidé de ne plus se marier avec une non-Juive. Son père qui nous regardait de loin, comprit ce qui s’était passé et embrassa à son tour longuement son fils en pleurant mais cette fois-ci, de joie !
Je compris alors que la mission que m’avait confiée le Rabbi avait été pleinement accomplie… J’avais donné la Tsédaka au Brésil…

Arié Samit
traduit par Feiga Lubecki