Cette année là (était-ce1756 ou1757 ?), les préparatifs de Pessa’h, la Pâque, n’avaient pas été accomplis avec cette joie débordante, célébration de la délivrance passée et anticipation de la délivrance à venir. Le Baal Chem Tov montrait un visage grave, des signes d’amertume.



A la veille de la fête, après la recherche rituelle du ‘hamets dont la consommation est interdite pendant les huit jours de la fête, il avait demandé à dix de ses disciples de réciter les lamentations nocturnes sur la destruction du Temple. Et, pendant cette lecture, on avait appris que le Maître s’était évanoui, qu’il gisait sans connaissance sur le sol de sa chambre ! Alors tous avaient compris que le Baal Chem Tov tentait d’annuler un décret, prononcé à l’encontre d’une communauté, par le Tribunal céleste.



Le lendemain, vint l’heure de cuire les matsot, les pains azymes destinés au Séder, pendant lequel on les consommerait en souvenir de la Sortie d’Egypte. Alors le Rabbi fut joyeux. Mais il recommanda pourtant qu’à la prière de l’après-midi, les disciples aient en tête les méditations de Roch Hachana, temps de repentir et de jugement. La menace pesait donc encore.



Après la prière du soir, empreinte d’une particulière ferveur, les disciples prirent place autour de leur Maître à la table du Séder. Mais il se contenta de lire, sans la commenter, la Hagadah sur une mélodie inhabituelle. Puis il se tut, fut comme absent, perdu dans d’insondables univers.



Jusqu'à ce que… « Mazal tov, s’écria le Rabbi, béni et loué soit le grand Nom ». A leur tour les disciples se réjouirent donc. Et ils écoutèrent le récit du Baal Chem Tov :



« Un décret, sévère, en-Haut, a été pris. Les juifs d’un village des alentours… Un pogrome, le premier jour de la fête… J’ai invoqué la miséricorde divine. Je vous ai demandé vos prières et votre ferveur. Rien de tout cela n’a eu d’effet. Ensemble, nous nous sommes assis pour le Séder : le moment fatidique approchait et je ne pouvais plus que placer ma confiance en D.ieu.



Et brusquement la situation fut changée du tout au tout. Dans le village menacé, un vieux couple sans enfants célébrait lui aussi le Séder. Le mari est un ‘hassid droit et généreux même si son savoir est mesuré et l’épouse lui ressemble. Il lisait la Haggadah et la commentait pour elle, lui disait les souffrances d’Israël suivant les commentaires du Midrach. Quand il évoqua le décret de Pharaon suivant lequel tous les enfants mâles devaient être jetés au Nil, son épouse éclata en sanglots.



-« Pourquoi pleure-tu, lui dit-il, les enfants d’Israël ont été finalement sauvés ! Ils ont quitté l’Egypte !

-Peut-être, mais si moi j’avais eu un fils je n’aurai pas permis qu’on lui fasse le moindre mal. Je n’aurais pas eu la même attitude que D.ieu !

-Comment peux-tu dire une chose pareille ? Nous devons croire qu’Il est juste en tout ce qu’il accomplit.

-Mais où est alors la Miséricorde divine ? Est-ce que nous ne sommes pas Ses enfants même si nous commettons des fautes ? »



Le dialogue se poursuivit sur le même ton : le mari justifiait les actions divines et l’épouse affirmait qu’Il devait être miséricordieux. Au même moment, le même dialogue pouvait s’entendre dans les sphères célestes. Quand la femme parlait, les anges défenseurs d’Israël s’exprimaient devant le Tribunal. Et, dès que le mari ouvrait la bouche, les anges accusateurs prenaient la parole. Je ne savais pas qui l’emporterait des uns ou des autres.



On en arriva à la quatrième coupe de vin du Séder. Après l’avoir bue, le mari, à bout d’arguments, concéda : « Tu as raison, D.ieu devrait prendre Son peuple davantage en pitié ». Et, tous les deux, sous l’effet du vin qu’ils avaient bu se levèrent et dansèrent avec une joie immense pour célébrer la délivrance d’Israël. Quand ces deux-là dansèrent leur joie gagna tous les mondes supérieurs dans une explosion sans pareille. Et j’y ai participé. Le décret a été annulé. »