Reb Yaakov était désespéré. Il était riche, connu pour sa piété et son érudition, mais maintenant, il se tenait devant le Baal Chem Tov et lui annonçait, bouleversé : «Je ne comprends pas ! J’ai le sens des affaires mais on dirait que tout ce que j’entreprends en ce moment ne réussit pas ! Est-il possible que quelqu’un m’ait maudit ?»
Le Baal Chem Tov ne répondait pas. Reb Yaakov attendit mais le silence devenait insupportable : «A chaque fois que je flaire une bonne affaire, continua-t-il, elle échoue lamentablement ! Que dois-je faire ?»
Le Baal Chem Tov le regarda tristement et finit par répondre : «Votre boîte à tabac !»
- Ma boîte à tabac ? Reb Yaakov sortit l’objet de sa poche : une boîte en or, finement ciselée de laquelle exhalait une odeur forte comme on l’aimait à cette époque. Mais le Baal Chem Tov n’y prêta pas attention.
- Il y a environ six mois, vous étiez assis avec vos amis à la synagogue et vous avez offert à chacun le privilège de sentir votre tabac : vous vous souvenez ?
- Oui, bien sûr, j’agis ainsi pratiquement chaque jour !
- Mais cette fois-là, un des mendiants présents dans la synagogue s’est approché de vous pour sentir lui aussi cette odeur et en retirer un certain réconfort ; vous avez brutalement fermé votre boîte, lui refusant ainsi ce petit plaisir…
- Oui maintenant je m’en souviens. Mais, comprenez-moi Rabbi, cet homme était vraiment mal habillé et repoussant… De plus, j’étais en pleine conversation et je ne voulais pas que mes amis soient gênés par son odeur à lui si vous me comprenez…
- Cela n’avait pas d’importance pour vous à ce moment-là parce que votre bonne fortune avait endurci votre cœur. Le fait est que vous avez profondément outragé cet homme et il en a ressenti une peine immense. Il a donc été décidé là-haut que votre fortune passerait aux mains de cet homme !
- Comment ? A cause d’une pincée de tabac ? Rabbi ! Comment puis-je rattraper la situation ? 
- La seule façon de récupérer votre fortune serait de provoquer le processus inverse : si vous lui demandiez une bouffée de tabac et qu’il vous la refusait…
Bouleversé, Reb Yaakov rentra chez lui. Ses affaires continuèrent de péricliter et, au bout de quelques semaines, il avait tout perdu : il fut même obligé de vendre sa maison pour rembourser une partie de ses dettes. Par ailleurs, il découvrit qu’effectivement le mendiant dont lui avait parlé le Baal Chem Tov s’était considérablement enrichi et procédait à des investissements audacieux qui réussissaient à merveille. Peut-être était-ce le moment d’aller lui demander une bouffée de tabac ? 
Mais il décida d’attendre une meilleure opportunité… Par exemple quand l’homme serait très occupé et le renverrait certainement sans ménagement… Cette occasion se présenta rapidement. Un jour, Reb Yaakov remarqua, sur le mur de la synagogue, un carton d’invitation : la fille de cet ancien mendiant allait se marier dans deux semaines !
Pendant la cérémonie, alors que le jeune couple se tenait sous la ‘Houpa et que les parents des mariés essuyaient leurs larmes de joie, Reb Yaakov tira avec insistance la manche du père et lui demanda : «De grâce, accordez-moi une bouffée de tabac !»
Le père de la mariée le regarda, étonné d’un tel manque de tact mais, sans hésiter, fouilla dans la poche de son beau costume et ouvrit sa boîte à tabac devant un Reb Yaakov qui sentit sa tête tourner : son plan machiavélique avait donc échoué, l’homme lui offrait sans problème la bouffée de tabac fatidique malgré l’intensité du moment ! Reb Yaakov resterait donc pauvre toute sa vie ! Il s’évanouit ! 
On appela un médecin pour le ranimer. Il reprit ses esprits et, se souvenant de ce qui était arrivé, il se mit à pleurer. 
- Mais pourquoi pleurez-vous ? demanda le père de la mariée qui avait abandonné tous ses invités pour s’enquérir de l’état du malade. 
- Je vais vous expliquer, répondit Reb Yaakov. Vous vous souvenez de moi ? C’est moi qui vous avais gravement offensé en vous refusant une bouffée de tabac il y a quelques mois à la synagogue. J’ai été bien puni pour cela ! Le Baal Chem Tov m’a fait comprendre que j’avais tout perdu mais que vous aviez gagné toute ma fortune ! Et comme vous n’avez pas agi avec la même insouciance envers moi, j’ai perdu toutes mes chances de redevenir riche !
En entendant cela, le père de la mariée calma Reb Yaakov : «Venez ! Je vous invite au repas de mariage de ma fille ! Si le Baal Chem Tov affirme que vous êtes la cause de ma soudaine richesse, le moins que je puisse faire, c’est de vous remercier en vous procurant une maison et un moyen de subsistance pour le reste de votre vie !» 
Et c’est ce qu’il fit !

(Le 18 Elloul est l’anniversaire de la naissance du Baal Chem Tov)