Il y a environ deux cents ans vivait un grand "Tsaddik", Rabbi Naftali de Ropshitz. C'était non seulement un grand érudit qui maîtrisait tous les ouvrages talmudiques et ésotériques, mais également un personnage entièrement dévoué à la Mitsva de Tsédaka (charité).
Et voici comment il procédait: chaque matin, en rentrant de la synagogue, il déposait à la maison son Talit et ses Téfilines et ressortait immédiatement pour taper à la porte de chaque Juif de la ville pour demander de l'argent pour les pauvres. Ce n'est qu'après avoir distribué le produit de sa quête aux pauvres qui l'attendaient chez lui, qu'il consentait à s'asseoir et à manger un peu.

Tout ceci n'était pas facile: certes les pauvres étaient contents de recevoir, mais les riches avaient du mal à se défaire de leur argent et ceux qui étaient moins riches n'avaient pas grand chose à donner. Cependant il était heureux de pouvoir servir D.ieu en aidant d'autres Juifs à donner.
Un jour, alors que Rabbi Naftali venait de terminer sa tournée, qu'il avait tout distribué et s'apprêtait à se laver les mains pour manger un peu de pain, il entendit frapper à la porte. C'était encore un pauvre! Rabbi Naftali ouvrit et lui dit: "Je suis désolé. Vous devez revenir demain. J'ai beaucoup de Torah à étudier aujourd'hui et j'ai déjà distribué tout l'argent qu'on m'a confié".

Mais l'homme avait l'air si malheureux que Rabbi Naftali posa la serviette, remit son manteau et repartit demander de l'argent.
Cependant, cette fois-ci, ce ne serait pas aussi simple, si tant est que cela puisse être simple. A chaque maison où il se rendait, il était accueilli par un visage renfrogné, ou même franchement en colère: "Comment? Vous passez toute la journée à mendier? Vous êtes déjà passé ce matin! J'ai déjà donné! Dites-moi, allez-vous dans toutes les maisons ou juste chez moi?"

Bref, il ne récolta cette fois vraiment pas grand chose; néanmoins il rentra chez lui satisfait et tendit à l'homme le peu qu'il avait réussi à obtenir. Il lui dit "au revoir" et reprit sa serviette pour se laver les mains.
Mais alors qu'il s'apprêtait à verser l'eau du récipient sur ses mains, il entendit... mais oui! Quelqu'un qui se tenait derrière lui et qui toussait pour s'éclaircir la gorge... C'était encore un autre pauvre: "Je sais, Rabbi, je sais, je suis en retard, n'est-ce pas? Je sais que vous êtes occupé, je ne veux pas vous déranger. Je voulais juste pouvoir parler à quelqu'un; cela ne prendra pas longtemps, je vous assure".
Le Rabbi fit signe qu'il l'écoutait.
"Voilà, ma femme ne va pas bien du tout. Les médecins disent que bientôt sa vie sera en danger. Ma fille prend de l'âge et je n'ai pas un kopeck pour l'aider à se marier. Et de plus, ma maison s'est écroulée hier..."
Le pauvre homme ne pouvait plus se retenir: il éclata en sanglots. Et Rabbi Naftali posa encore une fois sa serviette, remit son manteau et ressortit faire une troisième tournée.
Mais cette fois-ci, tout se passa autrement. Quand le propriétaire acceptait d'ouvrir sa porte (pour la troisième fois ce matin!) au lieu de crier contre Rabbi Naftali, il le faisait entrer avec beaucoup de respect et l'accueillait avec un grand sourire: "Je suis si confus de vous avoir réprimandé tout à l'heure! Vous êtes certainement un grand Tsaddik si vous revenez chez moi après l'accueil peu aimable que je vous ai fait tout à l'heure. Je vois que vous ne pensez qu'aux pauvres et pas à vous-même. Au lieu de ne vous donner qu'un rouble, je vous en donnerai 10!"

Et c'est ce qui arrivait chez le voisin, et encore chez un autre Juif et dans toutes les maisons où il se rendait! Cependant, cette fois-ci, quand Rabbi Naftali arriva à la maison, il n'était pas très content. Il donna à l'homme la somme considérable qu'il avait obtenue et lui dit: "Voilà! L'argent est à vous! Je ne le reprendrai pas, je vous le promets. Mais dites-moi la vérité: vous avez menti, n'est-ce pas? Votre femme n'est pas si malade, votre fille et votre maison, ce n'est pas vrai non plus, j'imagine?
L'homme hésita, soupira et avoua en détournant les yeux: "Non, je ne mentais pas vraiment, Rabbi. Disons que j'ai un peu exagéré: ma femme est enceinte et il est dit dans les livres que quand une femme va accoucher, elle est en danger et on peut transgresser le Chabbat pour elle!"
- "Et le mariage de votre fille?"
- "Il est vrai que ma fille n'a que cinq ans mais je me dis toujours: pourquoi attendre jusqu'à la dernière minute, on ne sait jamais ce qui peut arriver, n'est-ce pas Rabbi? Et ma maison: pour dire vrai, Rabbi, ce n'est pas vraiment toute la maison qui s'est effondrée. Mais le fauteuil que j'avais récupéré le mois dernier dans les poubelles s'est affaissé complètement et j'en souffre terriblement".

Puis le "pauvre" homme réfléchit: "Dites-moi, Rabbi, comment le savez-vous? Comme saviez-vous que je ne disais pas vraiment la vérité? Et si vous le saviez, pourquoi êtes-vous parti demander de l'argent pour moi?"
Rabbi Naftali répondit simplement: "Chaque fois que je vais demander de l'argent, c'est toujours avec difficulté parce qu'il y a toujours des obstacles quand on veut faire une Mitsva. Mais cette fois-ci, quand je suis parti demander de l'argent pour vous, tout s'est si bien passé, si facilement... Je me suis dit: il y a quelque chose qui ne va pas, apparemment je ne fais pas vraiment une Mitsva!"

Rav Touvia Bolton
traduit par Feiga Lubecki