Lors d’un de ses voyages, Rabbi Zouché d’Anipoli arriva dans la ville de Datchiwill et fut invité chez le Rav. Bien entendu, dès que la nouvelle fut connue, de nombreux Juifs de la région se pressèrent pour aller le voir et recevoir sa bénédiction.
Tout en parlant avec le Rav, Rabbi Zouché mentionna le nom d’un certain Juif riche de la ville. Le Rav comprit que Rabbi Zouché désirait le rencontrer et il l’envoya chercher. Cependant celui-ci refusa l’invitation : ce n’était pourtant pas un homme orgueilleux ou mal élevé ; c’était un Juif très simple, peu au fait de l’importance d’un Tsasdik, d’un Juste.
Par la suite, Rabbi Zouché parla encore de cet homme et le Rav ne pouvait plus cacher au Rabbi que l’homme en question n‘avait pas voulu venir. En entendant cela, Rabbi Zouché devint très pâle et il dit : « Si c’est ainsi, je devrai le faire venir ici d’une autre façon ». Nul ne comprit ses paroles.
Le lendemain, Rabbi Zouché se mit à la fenêtre à l’heure où les élèves sortaient de la Yechiva, l’école talmudique. Parmi eux se trouvait le fils de cet homme ; il tenait une pièce dans la main. Rabbi Zouché l’interpella : « Comment un garçon qui étudie la Torah peut-il transgresser le commandement : « Tu ne voleras point ? »
Le pauvre garçon, stupéfait, rougit de honte. La pièce lui avait été donnée par son père et n’avait pas été volée. Mais Rabbi Zouché continua : « La pièce qui est dans ta main a été volée ! »
Bien évidemment, l’homme riche n’avait plus le choix : il devait défendre son honneur et, malgré sa colère, il se présenta devant le Tsaddik, comme si de rien n’était. En entrant dans le bureau, il posa sur la table un papier où étaient inscrits son nom et le nom de sa mère, comme c‘était la coutume, et même quelques pièces d’argent. Le Rabbi regarda l’argent d’un air dégoûté et dit : « Qui a demandé que soit introduit ici de l’argent volé, le produit d’un meurtre ? »
Pâle comme la mort et tremblant de tous ses membres, l’homme sortit sans un mot. Cette fois, les paroles du Tsaddik étaient de plus en plus mystérieuses, même pour le Rav qui savait que l’homme en question était honnête et ne pouvait être accusé ni de vol ni encore moins… de meurtre ! Il se précipita vers le riche visiteur et lui offrit un verre d’eau tout en essayant de le calmer. « Les paroles d’un Rabbi ne sont pas vaines, dit le Rav. Nous devons essayer de les comprendre ! »
Et le Rav interrogea l’homme : d’où venait sa richesse ? Depuis combien de temps possédait-il cette vaste propriété ?
« Deux ans » répondit l’homme.
« Et qui donc s’en occupait avant toi ? »
« Un Juif que je n’ai pas connu ».
« Que veux-tu dire par « Que je n’ai pas connu ? »
« Je ne l’ai pas connu car durant toute une année, avant que je ne reprenne la direction de cette propriété, elle était vide ».
« Si c’est ainsi, nous devons tenter de retrouver l’identité de l’ancien gérant ».
Après quelques recherches, il s’avéra que l’ancien gérant était déjà mort et que sa veuve n’avait que très peu de ressources pour nourrir ses enfants : elle gérait une misérable boutique au marché. Le Rav et le riche homme d’affaires se rendirent au marché. Quand l’homme se présenta, la veuve éclata en sanglots : « Voleur ! cria-t-elle. Assassin ! »
L’homme faillit s’évanouir : c’était là les mêmes mots qu’avait employés Rabbi Zouché !
Le Rav tenta de calmer la veuve. Que s’était-il passé ? Elle raconta alors toute l’histoire : « Durant des années, mon mari avait géré cette propriété et gagnait bien sa vie. Un jour, le Paritz (le propriétaire) décida de doubler le prix du loyer. Or l’année avait déjà été difficile et peu fructueuse. L’affaire s’écroula et nous n’avons pas pu rembourser le Paritz.
« Nous avons donc été contraints de quitter notre demeure et nous nous sommes installés non loin de là, pour voir ce qu’il advenait de cette propriété. Nous avons survécu grâce à de menus travaux, mais nous avions à peine le strict minimum. Le propriétaire proposa l’affaire à d’autres Juifs mais, sachant ce qui nous était arrivé, aucun d’entre eux n’accepta de profiter de notre infortune. C’est ainsi que la propriété resta à l’abandon.
« Un jour, nous apprîmes par un proche du Paritz que celui-ci s’était rendu à l’évidence : comme nous l’avions espéré, il serait obligé, faute de client, de nous reprendre à son service au prix précédent. Nous vivions dans cet espoir. C’est alors qu’est arrivé cet homme qui se tient devant nous. Il acceptait de reprendre l’affaire au prix fort ! En entendant la nouvelle, mon mari ne résista pas et, quelques jours plus tard, mourut de chagrin, me laissant seule en charge de nos orphelins ».
L’homme pleurait : il était évident qu’il n’avait pas eu connaissance ce de tout cela et qu’il avait agi de bonne foi.
Cependant le fait était qu’à cause de lui, une famille juive avait été brisée par la mort du père. Maintenant il comprenait les paroles du Rabbi.
Le même jour, accompagné de la veuve, il se présenta à nouveau devant Rabbi Zouché. Celui-ci demande au Rav d’écrire une demande de pardon et l’homme la tendit à la veuve avec une grosse somme d’argent qui devait lui permettre de vivre largement jusqu’à la fin de ses jours.
Le Rabbi se tourna alors vers lui et lui tendit la main : « Béni sois-tu, frère juif, car aujourd’hui tu as rendu sa dignité à une veuve et tu l’as réconfortée ». Il demanda également pardon au fils de cet homme et lui promit d’abondantes bénédictions.
Rabbi Zouché pouvait maintenant quitter la ville. Grâce à lui, des âmes juives avaient donné et obtenu réparation.

Traduit par Feiga Lubecki