Got’s Nommen

Il y a trois mois, nous avons enterré une femme de 90 ans à Zhitomir (Ukraine). Malgré tout ce que cette femme avait enduré, elle était restée ferme dans ses convictions et son attachement au judaïsme.

Il y a 18 ans, le lendemain de Yom Kippour, elle avait surgi en larmes après l’office du matin dans notre synagogue de Zhitomir, vraiment bouleversée !

L’un d’entre nous s’est approché d’elle et lui a gentiment demandé quel était son problème : avait-elle des soucis d’argent ? S’était-elle disputée avec quelqu’un ? Avait-elle mal supporté le jeûne la veille ?

Non, son problème était différent, c’était un problème auquel nul d’entre nous n’avait jamais été confronté…

« Comment ai-je pu oublier Got’s Nommen ? » se désespérait-elle.

(Got’s Nommen - en yiddish : le Nom de D.ieu : c’est ainsi qu’on appelle le lendemain de Yom Kippour, quand les Juifs sont encore sous l’influence du Nom Ineffable de D.ieu qu’on entendait dans le Temple le jour de Yom Kippour).

On voyait sur elle qu’elle en avait le cœur brisé. Mais pourquoi était-ce si important ? Ce jour était-il si spécial ?

« Ma mère m’avait toujours appris que le lendemain de Yom Kippour, il faut se lever tôt pour aller à la synagogue, expliqua-t-elle dans un yiddish délicieusement ancien. Et voilà que je réalise que j’ai raté la prière ! »

Le Chalia’h (émissaire du Rabbi) présent tenta de la consoler en récitant avec elle quelques chapitres de Tehilim (Psaumes).

« Ma mère m’avait expliqué que, le lendemain de Yom Kippour, le mauvais penchant vient accuser les Juifs : ‘Voilà ! Ils ne viennent prier qu’un seul jour dans l’année et, le lendemain, la synagogue est vide ! C’est pourquoi il faut venir tôt à la Choule le lendemain de Yom Kippour, ce jour qu’on appelle Got’s Nommen !’ ».

Telle était la cause des larmes de Grand-Mère Perla, la doyenne de la communauté de Zhitomir (Ukraine) que nous enterrons aujourd’hui, 3 Tamouz 5780, un jour avant qu’elle ne célèbre ses 90 ans. Elle avait traversé le siècle avec ses guerres et ses révolutions, elle avait survécu à tous ceux qui avaient voulu éteindre toute trace de judaïsme en Union Soviétique, elle avait vécu souffrances et privations, dans une quasi clandestinité pour respecter des Mitsvot et elle se désolait de n’être pas venue spécialement tôt pour prier le lendemain de Yom Kippour ! L’éducation que sa mère lui avait donnée avait été si évidente, si puissante qu’elle pleurait encore maintenant comme une petite fille de ne pas s’être rappelée de ce détail.

De cet épisode incroyable, on peut déduire combien cette femme et tant d’autres Nechamot, d’âmes juives qui avaient vécu dans ces conditions terribles, étaient habitées d’une foi pure qui force le respect. C’est vraiment un récit digne du Baal Chem Tov !

Perla avait habité dans la maison où avait grandi celui qui devint le grand poète israélien Bialik. (Il y a quelques années, on avait achevé dans cette maison l’écriture d’un Séfer Torah à la mémoire d’un proche parent de Bialik).

Il n’y avait pas d’eau courante dans sa maison et tous les mercredis, elle allait puiser l’eau pour nettoyer sa demeure en l’honneur du Chabbat.

Alors même qu’elle approchait des 90 ans et qu’elle craignait d’allumer du feu, elle tenait à garder la tradition et allumait symboliquement le vendredi soir deux lumières électriques. Durant tout le Chabbat, elle veillait scrupuleusement à ne manger que des ‘Hallot ou du pain cuit dans un four allumé par un Juif - non sans s’être préalablement lavé les mains de façon rituelle.

Elle possédait un Ma’hzor (livre de prière pour les jours de fêtes juives) et le feuilletait chaque jour.

Un jour on lui demanda si l’observance des Mitsvot avait représenté pour elle un grand effort ; elle raconta :

« C’était à Pessa’h. Encore avant la guerre. Il n’y avait pas d’école juive en Union Soviétique d’alors. Je suis arrivée à l’école laïque, affamée et faible parce que depuis quelques jours, il n’y avait rien à manger à la maison. Une de mes camarades s’en est aperçue et m’a gentiment proposé un petit pain frais, si appétissant !

J’avais très faim et j’étais sur le point d’accepter quand je me suis souvenue que c’était Pessa’h et qu’on n’a pas le droit de manger du ‘Hametz (levain). J’ai donc, évidemment, refusé le petit pain malgré cette faim insupportable… »

Elle avait dit « évidemment », car, pour elle, ce n’était même pas une question, ce n’était même pas un sacrifice, c’était évident, voilà tout !

Perla veillait sur les enfants des Chlou’him et racontait avec simplicité qu’elle récitait chaque jour des Tehilim pour leur protection. A la synagogue, elle distribuait des noix à tous les enfants et, à ‘Hanouccah, elle qui était pourtant loin d’avoir assez d’argent pour elle-même leur donnait du « ‘Hanouccah Gelt », les pièces que les parents donnent traditionnellement aux enfants en l’honneur de la fête.

Tous les jours de fête - et, bien sûr, spécialement le jour de Got’s Nommen - elle arrivait tôt à la synagogue. Pour Chavouot, elle n’oubliait pas d’apporter à l’avance des fleurs car elle se rappelait que, dans son enfance, on décorait ce jour-là la synagogue avec des fleurs.

A la synagogue, elle s’asseyait le plus près possible de la Me’hitsa et écoutait attentivement chaque mot de la prière. A la fin de l’office, elle s’approchait avec émotion de l’arche sainte et priait en versant des larmes.

Perla, Grand-Mère courage, vous étiez le symbole, l’exemple vivant d’une Nechama (âme) pure, lumineuse et sincère. Nous nous souviendrons toujours de vous comme la « Babouchka Perla » de la communauté de Zhitomir.

Et, en ce jour de Yom Kippour, nous pensons à vous ainsi qu’à toutes les Babouchkas qui se sont dévouées corps et âme pour transmettre le judaïsme aux générations suivantes - quelles que soient les circonstances et malgré toutes les difficultés. Certainement, de là-haut, vous bénissez votre communauté et tous ceux que vous avez connus et encouragés à votre manière, avec tant d’évidence, dans le chemin de la Torah.

Mendel Wilhelm - Zhitomir

Traduit par Feiga Lubecki