C’est une histoire que j’ai souvent entendue au nom de Rav Bentzion Vishedsky. Celui-ci eut un jour l’occasion de rendre visite à Rav Shmuel Halevi Wosner qui l’accueillit très chaleureusement. De fait, Rav Wosner avait eu le mérite dans sa jeunesse d’être reçu en audience privée par le Rabbi précédent, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn avec plusieurs de ses compagnons de Yéchiva. Le Rabbi avait sorti d’un tiroir une photo de jeunes gens étudiant clandestinement la Torah en Russie soviétique. Rabbi Yossef Its’hak avait demandé aux élèves de Yéchiva présents dans son bureau d’étudier avec autant d’enthousiasme et de ferveur que ces jeunes gens photographiés qui se trouvaient encore derrière le rideau de fer, bloqués dans un pays totalitaire mais désireux d’apprendre la Torah malgré des conditions très difficiles. Il s’avérait que Rav Vishedsky était justement «diplômé» d’une de ces Yechivot clandestines et, en particulier pour cette raison, il avait toujours été reçu avec affection par Rav Wosner, actuellement l’un des plus grands décisionnaires du monde juif. Rav Vishedsky eut le privilège d’entendre de la bouche même de Rav Wosner l’histoire suivante :
«C’était dans les années soixante. Un ‘Hassid de Loubavitch est venu chez moi parce que son fils, qui venait de fêter sa Bar Mitsva, connaissait de gros problèmes de santé. Aucun des différents médecins consultés n’avait pu trouver de solution. Inquiet, le ‘Hassid avait demandé l’opinion du Rabbi à Brooklyn et, curieusement, la réponse n’avait pas tardé : «Vérifiez les Téfilines !». Cette réponse était étrange car les Téfilines venaient d’être acquises auprès d’un scribe connu pour sa piété : on pouvait encore sentir l’odeur du neuf des lanières et des boîtiers. Néanmoins, le ‘Hassid obéit et se rendit immédiatement chez l’un des scribes les plus réputés de Bné Brak, lui expliqua l’urgence de la situation et lui fit part de la réponse du Rabbi. Étonné, le scribe s’exécuta, vérifia l’écriture et la position des parchemins :
- C’est absolument parfait ! A tous points de vue ! s’exclama-t-il.
- J’en étais intimement persuadé, continua le ‘Hassid. Le scribe qui avait écrit les Téfilines ne faisait pas partie de ma communauté mais je m’étais bien renseigné à son propos et il avait une excellente réputation. Je l’avais bien payé et je m’attendais à cette conclusion satisfaisante. Mais les problèmes de mon fils ne disparaissaient pas. Au contraire. Que pouvais-je faire d’autre ? Les semaines passaient et je décidai d’écrire à nouveau au Rabbi en mentionnant que, bien entendu, j’avais fait vérifier les Téfilines de mon fils comme le Rabbi me l’avait déjà demandé et qu’ils étaient absolument cachères et même très beaux.
Dès le lendemain, je reçus la même réponse du Rabbi : «Vérifiez les Téfilines !». Je sentis qu’il y avait là un problème qui me dépassait. Je consultai un scribe encore plus expérimenté et lui racontai que j’avais fait écrire les Téfilines par un très bon scribe connu pour sa piété et son érudition. Au bout de plusieurs heures, il me donna la même réponse : il avait vérifié trois fois les parchemins, il avait recherché toutes les fautes possibles et n’en avait trouvé vraiment aucune ! Même pas une faute «a posteriori» ! Immédiatement, je m’assis pour écrire une nouvelle lettre au Rabbi, en insistant sur le fait que déjà deux scribes reconnus avaient affirmé qu’il n’y avait aucun problème : je suppliai le Rabbi d’aider mon fils. Le lendemain, je reçus une troisième réponse du Rabbi : «Vérifiez les Téfilines ! Prenez conseil auprès d’un Rav de votre ville !». J’ai montré les Téfilines à un troisième scribe qui me donna la même réponse que ses prédécesseurs !
Je me suis alors rendu auprès de Rav Wosner, autorité rabbinique incontestée.
«J’ai vérifié moi-même ces Téfilines, continue Rav Wosner. Je n’ai trouvé aucune faute. Mais si le Rabbi insistait à ce point, c’est qu’il devait y avoir un problème. J’ai beaucoup réfléchi et j’ai décidé de convoquer le scribe qui avait écrit ces Téfilines.
Il me fit effectivement une excellente impression. Je lui demandai de me raconter sa façon de travailler. Il me raconta où il avait appris, depuis quand il écrivait des Téfilines. Nous avons beaucoup parlé, il m’a affirmé qu’il prenait même la peine de se tremper au Mikvé (bain rituel) chaque fois qu’il écrivait des Téfilines ou des Mezouzot. Comme il m’avait expliqué où il habitait et que je savais qu’il n’y avait pas (encore) de Mikvé dans son quartier, je lui demandai naïvement comment il s’arrangeait pour se tremper au Mikvé. Il me répondit que, justement, comme il avait pris sur lui l’engagement de n’écrire le Nom de D.ieu qu’après s’être trempé au Mikvé, il avait trouvé une «astuce» : il écrivait le parchemin et laissait de la place à chaque fois qu’il fallait écrire le Nom de D.ieu et, après s’être trempé au Mikvé, il remplissait tous les blancs !
«J’étais horrifié ! Je me pris la tête dans les mains et le scribe comprit alors qu’il y avait là un gros problème. Je lui expliquai que les parchemins de ce ‘Hassid – comme d’ailleurs tous les parchemins qu’il avait pu écrire jusqu’à présent – étaient absolument Passoul, incorrects a priori ! Je l’obligeai à contacter le jour même tous ses clients et à cesser immédiatement toute activité dans ce domaine si sensible. Il devait tout d’abord réapprendre en profondeur toutes les lois de la Sofrout : comment avait-il pu ignorer cette règle primordiale, qu’il était nécessaire d’écrire tous les mots les uns à la suite de l’autre et qu’il était absolument interdit d’agir comme il l’avait fait jusque-là ?
De New York, le Rabbi avait «vu» l’erreur ; je fus heureux d’avoir pris part à la découverte de la vérité et d’avoir ainsi pu sauver de nombreux Juifs, victimes innocentes de ce scribe mal informé», concluait Rav Wosner en toute humilité.

Arie Samit – Kfar Chabad n°1467
Traduit par Feiga Lubecki