C’était à l’époque de Catherine la Grande de Russie. Connue pour sa tyrannie impitoyable, elle était néanmoins relativement juste avec ses sujets juifs. La ville de Shklov avait appartenu à la Lituanie puis la Pologne mais avait été cédée à la Russie. De nombreux Juifs y habitaient. Ils étaient d’habiles commerçants et certains étaient même assez riches. Sauf Nahumka. Son père Chaoul Wohl avait été un grand érudit. Mais lui-même était plutôt ce que sa femme ne se privait pas de lui rappeler : un chlemil (malchanceux) ! Comme le disait non sans humour Rabbi Abraham ibn Ezra : si je devenais croque-mort, les gens cesseraient de mourir ! Mais Nahumka gardait sa bonne humeur et, quand il entrait dans une pièce, les gens souriaient de bon cœur. Et même les bébés… Quand Catherine annexa Schklov, elle nomma un général pour diriger la ville ; - en récompense de ses actions héroïques pendant la guerre, Mais cet homme était cruel, surtout envers les Juifs. Il leur imposa de lourds impôts : celui qui ne pouvait pas payer était emprisonné ou fouetté en public. Ce gouverneur restreignait aussi le commerce et toute l’économie de la ville en souffrait. Un jour on apprit que le premier ministre allait se rendre dans la ville pour constater que tout s’y déroulait correctement. On avisa la population que chacun pourrait présenter ses condoléances. Cependant le vicieux général annonça qu’il ne laisserait aucun Juif se présenter car il craignait évidemment qu’ils se plaignent de lui. Les Juifs se rassemblèrent pour trouver une solution et, étrangement, quelqu’un suggéra de faire appel à Nahumka : si quelqu’un peut se glisser à travers une porte verrouillée, c’est Nahumka ! Tous conclurent que l’idée était excellente. On l’informa de l’urgence de la situation et il répondit : je suis flatté de votre proposition et je suis conscient des dangers impliqués. Je prie D.ieu de m’aider. Si j’échoue, je vous demande de prendre en charge la vie de ma femme et de mes six enfants !

Quand le premier ministre arriva, le général organisa une grande parade pour l’accueillir. Des personnalités de toute la ville se présentèrent avec des requêtes pour la reine. Ils faisaient la queue ; et chacun pouvait donner une lettre ou dire quelques mots.

A la fin de la queue apparut un homme habillé comme un paysan. Le premier ministre lui demanda ce qu’il voulait ; l’homme s’inclina en tremblant puis remit une enveloppe scellée.

Le premier ministre l’ouvrir et s’exclama : « Ce n’est qu’une feuille de papier vide ! »

Le paysan reprit le papier et se lamenta : « Oh ! Cette requête demandait la confidentialité mais les lettres se sont envolées ! Si votre Honneur veut bien m’attendre, je vais retrouver les mots Et les remettre sur le papier ! »

Il se mit à genoux comme pour chercher par terre des lettres ! Tous le regardaient avec surprise. Finalement il se releva : « Que pourrais-je dire aux gens qui m’ont envoyé ? Tout est perdu ! Les mots étaient sans doute trop timides et se sont enfuis quand ils ont vu des gens si importants ! »

Le général éclata de rire devant la bizarrerie de cet argument. Mais le premier ministre regarda le paysan droit dans les yeux et comprit : « Suivez-moi dans mes appartements privés ! »

Laissant tous les officiels, brisant toutes les règles du protocole, le premier ministre entraîna le fermier dans sa chambre. « J’ai compris que vous voulez me parler en privé. Que se passe-t-il ? »

« Soyez béni ! Vous êtes aussi intelligent qu’on le dit ! Je suis un Juif et les Juifs de la ville m’ont envoyé vous expliquer combien ils souffrent à cause du général. Celui-ci ne voulait pas laisser les Juifs vous parler ! Voici la vraie lettre que je voulais vous remettre ! ». Il lui tendit alors une autre lettre et le premier ministre remarqua : « Je me demandais pourquoi aucun Juif n’était venu me saluer ! Le général avait prétendu que les juifs étaient trop occupés à tricher et truander pour s’amuser à me parler ! »

Le fermier qui n’était autre que Nahumka expliqua au premier ministre combien le général faisait souffrir les Juifs, comment il extorquait l’argent et le gardait pour lui sans le remette à la reine tout en accusant les Juifs de ne pas payer leurs impôts ! »

Le premier ministre étudia tous les documents que lui remit Nahumka et déclara : « Tu es un homme intelligent puisque tu as réussi à me parler en privé car le général t’aurais certainement mis à mort s’il avait vu que tu me remettais ces papiers ! Je vais remédier à la situation ! »

Le lendemain le premier ministre quitta la ville. Quelques jours plus tard, le général fut convoqué au palais, durement réprimandé puis envoyer s’occuper d’un village en Sibérie.

Les Juifs de Schklov célébrèrent l’événement et remercièrent D.ieu de les avoir sauvés des griffes malfaisantes de ce nouveau Haman ! Tous les juifs de Russie révérèrent le nom de Nahumka et conclurent qu’il existe certainement une place pour tous les « bouffons » au Gan Eden…

Yerachmiel Tilles - Ascent - Safed

Traduit par Feiga Lubecki