- Tu as quel âge, Dima ? lui demandai-je.

- Dans deux mois, il aura treize ans ! répondit sa mère.

- Treize ans ? Donc bientôt Bar Mitsva…

Quelques jours plus tard, nous avons reçu un coup de téléphone de la mère : ils voudraient bien fêter la Bar Mitsva mais ne savent pas exactement de quoi il s’agit… Dima est un enfant charmant, issu d’une bonne famille russe, aimante et qui vient de découvrir son appartenance au judaïsme lors du repas de Pourim de l’année dernière où ils avaient accompagné le grand-père.

- Maman, cela signifie que nous aussi, nous sommes juifs ? avait déduit Dima innocemment.

Et de cette déduction avait commencé un changement fondamental pour toute la famille. « Oui Dima, si je suis juive, vous l’êtes aussi ! » avait conclu la mère.

Ils demandèrent à acquérir les meilleures Téfilines et, en attendant, nous avons prévu de nous rencontrer plusieurs fois pour des cours à vitesse TGV en vue du grand jour. Par quoi commencer ? D.ieu, la Torah, les commandements, Avraham Its’hak et Yaacov… Nous avons appris comment mettre les Téfilines, à réciter le Chema (c’est quoi exactement ?), les boîtiers, les lanières… Il s’avère que Dima est « un puits soudé qui ne perd pas une goutte » : il comprend et retient tout, comme une terre asséchée depuis des années qui boit avec avidité tout ce qui lui a tant manqué.

La fête s’est déroulée exactement comme il convient. Les invités se sont rassemblés dans notre salon, Dima a été appelé à la Torah, ses parents lui ont cérémonieusement tendu les Téfilines et, devant tous les amis, il les a mis avec une facilité déconcertante tout en récitant en hébreu la bénédiction et le Chema… De notre côté, nous étions très émus : deux mois auparavant, cet enfant ne connaissait absolument rien du judaïsme et, aujourd’hui, il en était si fier !

Nous avions vérifié dans le calendrier perpétuel : il était né le 14 Iyar, le jour de Pessa’h Chéni, le jour désigné comme celui où « rien n’est jamais perdu », où « il n’est jamais trop tard »… Comme cette date est symbolique ! Mais il n’avait pas perdu de temps, avait pratiquement rattrapé son retard et avait sauté dans le train qui l’emmenait dans son long voyage vers un judaïsme intégral, vécu dans la joie.

Par « hasard » ou plutôt par l’effet de la Providence Divine, mes parents étaient eux aussi arrivés d’Israël pour cette Bar Mitsva. Mon père s’adressa (en russe, sa langue natale) au jeune garçon : « Moi, je suis né en Russie soviétique. Je suis passé par le même chemin que toi : l’école laïque, le lycée, l’université, le diplôme d’architecte, le travail… Quand je suis monté en Israël, j’ai servi dans l’armée et j’ai participé à toutes les guerres en tant que conducteur de tank. Mais, alors que j’ai fêté ma Bar Mitsva depuis plus de cinquante ans, il ne s’est pas passé un jour de semaine sans que je ne mette les Téfilines. En tant qu’étudiants, nous étions obligés de participer à des colonies d’entraînement trois mois par an, je me levais tôt le matin, je courrais vers les champs de coton tout proches et, en cachette, je mettais les Téfilines ! Dima ! s’écria-t-il avec émotion, c’est possible ! Prend aujourd’hui la ferme décision – devant toute cette assemblée – de procéder à cet acte sacré tous les jours de ta vie ! ».

Et Dima s’engagea. Depuis, il ne s’est pas passé un jour de semaine sans qu’il ne mette les Téfilines. Quelques mois plus tard, alors qu’il participait pendant vingt jours à un tournoi de Taekwondo, il les emporta avec lui : « Comme votre père l’a fait en tant qu’étudiant ! » ajouta-t-il sur le ton de l’évidence. Sa mère confirma que, bien qu’ils aient été dix enfants par chambre dans cette colonie, il avait réussi à trouver un coin tranquille pour y mettre chaque jour les Téfilines…

* * *

Depuis, nous avons réussi à apprendre énormément. Il n’a plus besoin de se cacher pour mettre les Téfilines, il les a mis dans des trains bondés devant tous les voyageurs. Mais il restait une chose pour laquelle il n’était pas prêt : la Brit Mila.

La semaine dernière, il est revenu d’un séminaire de dix jours à Moscou, de la Yechiva où il a étudié comme n’importe lequel de ses camarades qui étaient passés par les mêmes étapes que lui. Il est maintenant convaincu d’avoir trouvé la Vérité et qu’elle lui appartient entièrement. Tous les doutes qu’il avait accumulés au cours de cette année ont été dissipés. Déjà à la Yechiva, il avait résolu de se faire circoncire mais, à la demande de sa mère, il avait encore attendu de façon à pouvoir y procéder en même temps que son petit frère.

Quand les parents donnent un prénom à un enfant, il s’agit véritablement de prophétie, nous disent les Sages. Dima avait beaucoup lu durant cette année et avait été impressionné par le prophète Daniel : celui-ci, contrairement à d’autres prophètes, n’avait pas passé son enfance dans les ruelles de Jérusalem. Enfant, il avait été exilé par Nevou’hadnetzar (Nabuchodonosor) à cause de son appartenance à la famille royale et de ses dons extraordinaires. Prisonnier dans le palais royal avec ses camarades, ‘Hanania, Michaël et Azaria, ils étaient déterminés à poursuivre leurs traditions, ne mangeaient que des fruits et légumes, priaient trois fois par jour… Mais quand le roi s’aperçut que son projet d’en faire de bons Babyloniens échouait, il fit jeter Daniel dans la fosse aux lions ! Pourtant même là, il continua à prier et, miraculeusement, en ressortit vivant !

Pour Dima, c’est la preuve que, même dans un environnement où il est le seul Juif, il peut résister et se conduire comme il convient.

Hier, sur la table d’opération, il a tremblé. Vraiment. Il avait peur mais il savait qu’il devait s’engager. Il m’a demandé de le tenir fermement afin de ne pas bouger, instinctivement. Et moi, il me revenait en tête le passage où Its’hak notre père (Isaac) demandait à son père Avraham de le ligoter fermement sur l’autel afin qu’il ne bouge pas, sinon il rendrait le sacrifice impropre… Oui une Akeda version 5772, 2012…

Et ensuite… Daniel qui vient de subir la circoncision prend maintenant la place du Sandak et c’est lui qui tient fermement son frère Thomas, âgé de deux ans et demi qui va lui aussi être circoncis le même jour ! En attendant que l’anesthésie fasse son effet, l’enfant pleure. On le cajole et on pleure avec lui mais tous deux sont fermes dans leur décision. Et la maman, en bonne mère juive, les encourage et cache ses larmes. Après tout, elle aussi, ne connaissait rien de tout cela il y a à peine un an mais elle tient à ce que ses deux garçons entrent dans l’alliance d’Avraham notre père. Elle donna à Thomas le nom de Chmouel, sans trop savoir pourquoi… « Pour cet enfant j’ai prié » avait dit la prophétesse ‘Hanna après avoir enfin mis au monde cet enfant Chmouel. Ici aussi, à Tioumen, une femme juive a offert ses deux fils sur l’autel de la circoncision…

Daniel et Chmouel, ces deux jeunes enfants, deviendront grands ! Comme ils sont entrés dans l’alliance, qu’ainsi ils entrent dans l’étude de la Torah, qu’ils entrent sous le dais nuptial et qu’ils accomplissent de bonnes actions !

Maintenant Chmouel fréquente joyeusement notre jardin d’enfants et Daniel étudie avec assiduité à la Yechiva !

Rav Yerachmiel Gorelik – Chatz Lelo Minyane

Traduit par Feiga Lubecki