Il y a quelques années, le gala du Beth Loubavitch de Lyon rassemblait de nombreux donateurs. L’un des plus importants d’entre eux se leva et raconta comment le Rabbi de Loubavitch avait fait de lui un homme riche : «J’ai toujours été fier d’être juif et c’est ce qui m’a poussé à aider Rav Gurewitz quand il a établi son Beth ‘Habad. Mais je n’ai pas toujours été très pratiquant.
Quand j’ai entrepris de construire un hôtel qui intégrerait une école hôtelière, Rav Gurewitz m’a conseillé de demander auparavant la bénédiction du Rabbi de Loubavitch. Je pris donc l’avion pour New York et, le dimanche suivant, je faisais la queue avec des milliers d’autres personnes pour recevoir de la main du Rabbi un dollar à remettre à la Tsedaka (charité) et en profiter pour lui exposer mon projet. Mais quand j’arrivai enfin devant le Rabbi, je n’arrivai plus à parler ! Le Rabbi me tendit deux billets d’un dollar et me dit : «Un pour vous et un pour la réussite de votre nouvelle école !» Alors que je cherchais à comprendre ce qui m’arrivait, le Rabbi ajouta : «Veillez soigneusement à poser une Mezouza à chacune des portes du bâtiment !» Là, j’étais vraiment stupéfait : Comment le Rabbi était-il au courant de mes projets et pourquoi insistait-il à propos des Mezouzot ? Mais j’avais reçu sa bénédiction, je rentrais en France assuré de réussir…
Tout commença comme dans un rêve. En un an, le bâtiment fut terminé, l’inauguration fut grandiose, tous les média et de nombreuses célébrités y assistèrent mais au bout de cinq ans, je me retrouvais avec plus d’un million de francs de dettes avec comme seule option de me déclarer en faillite ! Où était la bénédiction ?
Les problèmes s’accumulèrent : le gouvernement me soupçonna de faillite frauduleuse et m’envoya un inspecteur pour examiner les comptes de la société. L’homme qui se présenta n’avait pas l’air facile : il entra dans mon bureau sans un mot, regarda d’un air sceptique le portrait du Rabbi suspendu au mur, exigea sèchement les livres de comptes puis demanda à rester seul dans la pièce. Quand il sortit, il ne dit mot et, quelques jours plus tard, je reçus une convocation au tribunal : j’étais accusé de fraude et tous les avocats que je sollicitais se récusèrent l’un après l’autre ! J’écrivis plusieurs lettres au Rabbi mais il ne répondit pas.
Le jour de l’audience, le prétoire était plein à craquer, les média avaient trouvé quelque chose de croustillant à se mettre sous la dent et je comparus seul sur le banc des accusés, murmurant des psaumes en priant pour que la sentence soit la plus légère possible.
Le premier à témoigner fut l’inspecteur lui-même. Il pointa un doigt accusateur vers moi et je me sentis défaillir. «Votre Honneur ! Après avoir soigneusement examiné les comptes de l’accusé, je n’ai eu aucun doute qu’il était un voyou en col blanc qu’il fallait punir avec la plus extrême sévérité !» Dans la salle régnait un silence annonciateur d’une future curée contre moi. Cependant, l’inspecteur se racla la gorge et continua : «Mais quand j’examinai à nouveau les comptes, je dus reconnaître - et je n’en ai pas honte - que je m’étais sérieusement trompé ! Il est maintenant absolument évident que la faillite de cette entreprise n’est pas due à une fraude ou une incompétence mais plutôt à une fâcheuse série de circonstances indépendantes de la volonté de l’accusé. D’ailleurs, au nom de la justice, du bien de l’économie nationale et de l’honneur de la France, le tribunal devrait tout mettre en œuvre pour assurer la réussite de cette école hôtelière ! Il vaut mieux ouvrir une école que construire une prison !»
Tout le monde se mit à parler en même temps. Le juge demanda une suspension de séance puis la cour revint en grande pompe et annonça que j’étais innocenté de toute accusation ! A partir de ce jour, mon projet devint enfin bénéficiaire.
Mais j’avais du mal à comprendre deux faits : pourquoi cet hôtel avait-il connu une telle faillite au début ? Et pourquoi cet inspecteur qui m’avait semblé antisémite avait-il changé d’avis ?
Environ un mois plus tard, je reçus un coup de téléphone de cet inspecteur. Il demanda à me rencontrer dans un endroit désert, où nous pourrions parler librement, loin de toute publicité : «Vous vous demandez sans doute pourquoi j’ai subitement changé d’opinion à votre sujet ? Quand je suis entré dans votre hôtel, j’ai remarqué quelque chose d’étrange : il y avait une Mezouza à chaque porte ! Voyez-vous, moi aussi je suis juif. Je suis né et j’ai grandi dans une famille juive en Allemagne et, avec la montée du nazisme, nous avons fui en France et avons décidé d’effacer tout souvenir du judaïsme dans notre vie. Je sais donc ce que représente une Mezouza. Mais je croyais toujours qu’il suffisait d’en mettre une à la porte d’entrée. Quand j’ai constaté avec étonnement que vous en aviez posé à chaque porte - et je l’ai vérifié pour en être sûr, j’ai même ouvert plusieurs boîtiers quand vous êtes sorti de la pièce - je me suis dit : si cet homme était un voleur, pourquoi aurait-il dépensé une petite fortune avec ce commandement divin ? Je suis retourné dans votre bureau, j’ai observé le portrait de votre Rabbi et j’ai réalisé que si cet homme au regard si pénétrant était votre maître, vous n’étiez sans doute pas un voleur. J’ai décidé d’éplucher plus attentivement les comptes et j’en suis venu à la conclusion que je m’étais trompé à votre sujet mais aussi à mon sujet. J’ai décidé de revenir au judaïsme !»
Il ouvrit un sac et me montra une paire de Téfilines qu’il venait d’acheter !
Puis il soupira profondément et murmura : «Peut-être votre affaire marchait tellement mal et avez-vous dû passer par cette épreuve uniquement pour cette raison, pour que je retrouve mes racines…»
J’ai enfin compris pourquoi le Rabbi m’avait demandé avec tant d’insistance de veiller à mettre une Mezouza à chaque porte…»

Rav Tuvia Bolton
Traduit par Feiga Lubecki