Beaucoup de religions exaltent la perfection d’un autre monde ou d’un « après monde ». Pour elles, l'après vie est le havre qu’il faut atteindre pour, enfin, échapper à la trivialité supposée de l’existence ici-bas, "à la vallée de larmes" ou encore à toutes les "déceptions" qui sont la seule réponse à des désirs insensés : c'est la promesse d’un ailleurs étincelant, qui fait oublier la fadeur résignée ou les obsédantes frustrations de la vie mal vécue.

Le juif, pourtant, souligne avec force à quel point notre monde, celui de l’espace et du temps, importe: il prévaut, sans discussion, sur les mondes spirituels innombrables. Cette affirmation peut paraître entachée d’illogisme. Le temps et l’espace sont d’infranchissables clôtures, physiques et mentales, dont l’âme « descendue » en ce monde est prisonnière. Comme aussi, elle est prisonnière d’un corps physique et de ses pesants tropismes. Elle affronte la difficulté même d’être au monde, la peine du labeur quotidien.

La Hassidout, cependant, distingue deux plans de conscience. Le premier se produit par la perception tangible, corporelle, du réel. Nous reconnaissons un visage, nous ressentons la froidure de l’hiver, nous comprenons une idée. Toutes ces « occupations » sont celles qui font le contenu même de nos vies. Qui sont nos vies et expriment, de l’intérieur si l’on peut dire, le réel ou nous vivons. Ce niveau est celui de memalé , mot qu’on peut rendre en indiquant qu’il désigne l’énergie créatrice en tant qu’elle « emplit », qu’elle pénètre les mondes. C’est celui de l’immanence .

Mais nous expérimentons aussi un autre niveau de conscience : le sentiment de l’ineffable, d’un absolument autre, l’expression de la foi. Cet autre plan est celui de sovev, celui de la présence transcendantale de cette énergie créatrice, non immergée alors dans l'épaisseur concrète du monde mais comme l’environnant.

Etrangement peut-il sembler au premier abord, les mondes supérieurs n’ont pas la conscience de ce niveau transcendant. C’est en vérité que ces mondes sont des mondes de la fixité. Chaque existence y est figée dans sa nature inaltérable. L’histoire , le changement, le progrès y sont inconnus.

Ici bas au contraire tout, toujours, se transforme. Les hommes y sont en constant devenir. Libres d’une vertigineuse liberté qui est rendue possible par la perception même de la transcendance. Car, par elle, s'ouvre la voie d’un progrès de l’être à travers les actes concrets de la vie. Aussi la Kabbale souligne t elle l’importance essentielle de la bonne action, de la mitsva.

C’est cet investissement de l’homme dans le monde concret qui lui confère un statut de partenaire de D.ieu dans la création de l’univers infini. Il permet à l’âme « descendue » ici bas d’accomplir sa mission: le projet véritablement humain n’est pas la sainteté ou l’attente d’un autre monde. C’est l’acceptation d’un responsabilité pleinement assumée, sur cette terre, ici et maintenant.