Une réponse a été donnée, avant que la philosophie ne formule explicitement cette question. Le Midrach Tan’houma vise un « désir » divin: « D.ieu a eu le désir d’avoir une demeure dans les mondes d’en bas » .

Une étrange réponse qui paraît soulever immédiatement deux problèmes.

Quel sens, d’abord, serait-il possible de donner à la notion de « demeure » appliquée à D.ieu. Est-t-il rien d’autre que Lui ? Ou comme le disent encore autrement nos Sages : « c’est Lui qui est le lieu du monde et non le monde qui est Son lieu ».

Il faut, d’autre part , répondre à la question qui naît immédiatement de l’évocation d’un « en bas » . Une telle notion, de toute évidence ne peut qu’être dépourvue de sens en raison même de ses références spatiales.

Sur ce second point, il peut être suffisant d’indiquer que, comme à son habitude, le Midrach utilise ici une langue fortement allégorique. L’en haut, l’en bas renvoient à l’idée (également marquée de spatialité mais déjà plus « fine »)de proximité.

Les concepts de proximité et d’éloignement que l’on rencontre au fil des textes traditionnels, rendent compte du degré de révélation du Créateur à Sa créature. Plus cette révélation est claire, plus la créature apparaît « proche » du Créateur et plus elle est jugée « haute » dans la structure de la création .

C’est au regard justement de cette définition que la notion de demeure peut prendre tout son sens. C’est dans la demeure que l’on est au plus près de soi, « chez soi », c’est à dire ou l’on peut apparaître pleinement, sans aucune réserve.

Avoir une demeure dans les mondes d’en bas signifie alors faire de notre monde matériel, « bas » parce que le divin y est à priori occulté, le lieu de Sa révélation. Ou encore qu’en ce monde doivent se "rejoindre" la limite et l’infini, aussi incompréhensible la fusion de ses deux concepts puisse-t-elle apparaître à la rationalité humaine, laquelle ne peut que se borner à reconnaître qu’au plan divin ces notions, antinomiques pour elle, sont absorbées dans Son omnipotence.

Ces premiers éléments de réponse ne font cependant que préciser la question : pourquoi créer un monde fini en vue dans faire le lieu d’une révélation ultérieure ? Le Midrach parle de désir. Mais en quoi cette invocation est-elle responsive ? Le « pourquoi » appelle une réponse fondée en logique ce à quoi ne semble pas suffire pas la simple affirmation d’un désir.

Rabbi Chnéour Zalman, l’auteur du Tanya, répond : « à propos d’un désir, on ne pose pas de question ». Ce qui paraît signifier que la question serait illégitime . Avant d’en ressentir une déception, il faut tenter une analyse.

Pour la tradition ésotérique, la Kabbale, la Création, tant au plan matériel qu’au plan spirituel, est construite à partir de dix attributs divins qui sont dix formes de la révélation de D.ieu. Ces attributs se caractérisent en trois attributs « intellectuels » et sept attributs « émotionnels ». Ainsi, l’intellect humain trouve-t-il sa (lointaine) source dans ces attributs « intellectuels ». Mais il existe un « amont » à ces dix attributs et le désir appartient à ces facultés qui les transcendent. A partir de cette indication, il devient possible de comprendre plus profondément le propos de Rabbi Chnéour Zalman.

Faisant référence au « désir », il désigne un niveau qui ne peut qu’échapper absolument à la rationalité humaine dans la mesure ou il se situe en amont du rationnel divin lui-même . Ce qui signifie que la « raison » de la création n’est pas simplement trop élevée pour que l’homme puisse la comprendre : elle est un acte gratuit, relevant uniquement de la volonté essentielle de D.ieu ; elle est irrationnelle par essence. Et c’est bien pourquoi le Zohar déclare que la Création toute entière est considérée « comme néant devant Lui ».

« Comme » néant et non pas néant, car, en nous créant, D.ieu nous distingue et, dès lors, c’est le « presque néant » que nous sommes qui donne sa singulière force à notre existence. Cette force est telle est que le Midrach affirme qu’en accomplissant Ses commandements, nous devenons les associés de D.ieu. Affirmation qui semble démesurée car quel mortel prétendrait assumer pareil rôle ?

C’est ici qu’il faut revenir au Midrach Tan’houma cité en commençant : ce monde a été crée et l’homme y a été placé afin que D.ieu y trouve une « demeure » ou, autrement dit, crée pour permettre la révélation de l’illimité divin dans les limites mêmes de la Création.

Cette œuvre de construction de la « demeure » a d’abord lieu, en effet, par l’accomplissement des commandements divins. Car un commandement étant l’expression de la volonté de D.ieu dans notre monde, son accomplissement transmet cette volonté à la matière qui en est le support. Nous sommes bien, ainsi, Ses associés, choisis par un choix absolu procédant bien d’un « désir ».


B. Ziegelman