Chaque mois présente des caractères particuliers, éclairés par une célébration qui y intervient. Celui d'Adar ne fait pas que se conformer à cette règle; il en est l'expression la plus éclatante.

En effet, c'est dans ce mois que tombe la fête de Pourim et c'est elle qui donne cette coloration exceptionnelle à la période. C'est qu'il s'agit ici, rapportent nos Sages, d'un temps spécialement propice à toutes les entreprises, au point, conseille le Talmud, que "celui qui a un procès fera bien de le repousser au mois d'Adar".

Tout cela provient, justement, de Pourim. En ce temps-là, les Juifs furent menacés d'extermination. Les épées des bourreaux étaient déjà prêtes, tout semblait perdu. Tout à coup, la situation se transforme, les événements connurent une de ces miraculeuses inversions qui changent le sort d'un peuple. Le massacre ne se produisit pas car les Juifs reçurent le droit de se défendre et ce sont leurs ennemis qui payèrent de leur vie la cruauté dont ils avaient fait preuve. Dès lors, le mois d'Adar, qui faillit devenir celui de l'obscurité et de l'affliction,
devint celui de la lumière et de l'allégresse. Nos Sages en attestent, qui annoncent: "lorsqu'arrive Adar, on multiplie la joie!"

Au delà de cet aspect purement événementiel, même s'il est, sans nul doute, important, quels sont les caractères profonds de la période, seuls à même d'expliquer de tels événements ? On sait que Pourim est loin d'être compréhensible d'un strict point de vue rationnel. Ainsi, il est facile d'observer que la menace d'extermination du peuple juif intervient, alors qu'au contraire tout semble assurer son existence paisible : n'est-ce pas l'unique cas dans l'histoire de notre long exil, où c'est une juive, Esther en l'occurrence, qui est l'impératrice du pays de résidence, tandis que l'homme qui dirige le peuple juif en ce temps, Morde'haï, est conseiller de l'empereur? Pourtant, c'est précisément dans des circonstances si favorables que le danger apparaît.

Inversement, alors que tout semble perdu, le salut arrive. Certes, Esther demande, pour cela, à l'empereur, son mari, la grâce du peuple juif. Cependant, on sait, qu'en ce temps-là, une reine n'a guère de pouvoir. Ici, Esther, avant sa démarche, jeûne trois jours et trois nuits d'affilée, perdant sans doute ainsi son atout essentiel, sa beauté. Pourtant, l'empereur entend sa demande et lui donne satisfaction. Décidément, c'est bien un étrange problème qui s'est posé et une non moins étrange solution qui lui a été donnée.

En réalité, tout cela s'explique à un autre niveau: celui du lien avec D.ieu. Au début de l'histoire, les Juifs ont oublié ce lien; la menace qui pointe alors en est la conséquence. Ils s'en souviennent ensuite; leur victoire en découle. Et voilà que cette fête, sous ses aspects de lutte politique entre factions opposées, révèle l'essentiel, l'au-delà de l'apparence: le destin du peuple juif dépend de son attachement au Divin.

Une des règles rituelles relatives à Pourim souligne cette idée : il nous est enseigné que la joie doit éclater, à cette occasion, "jusqu'à ne pas savoir (la différence) entre "maudit soit Haman" et "béni soit Morde'haï". Voilà pourtant deux hommes et deux notions totalement opposés! Comment peut-on dire que ne pas les distinguer est une manière de célébrer?

En fait, la phrase citée doit être traduite à un niveau plus profond. La joie doit éclater, veut-on dire, jusque "au-delà de savoir". C'est qu'il existe une manière de se lier avec D.ieu au travers de nos facultés intellectuelles. C'est, certes là, une démarche parfaitement honorable et nécessaire. Elle est toutefois limitée à nos pauvres capacités humaines. Il en existe également une autre qui porte bien plus loin et bien plus haut que l'espace confiné de ces étroites barrières: "l'au-delà du savoir". C'est ainsi qu'est désigné un lien infini, inébranlable avec D.ieu, hors d'atteinte de toutes les contingences du monde. La victoire de Pourim n'est que la mise en oeuvre de cette ressource-là.

Le mois d'Adar en est éclairé tout entier. En ce sens, il n'est pas comme les autres. Tenter de le définir, c'est essayer d'encadrer l'infini, de saisir l'insaisissable. Il est le mois où "tout a été inversé", celui où notre attachement à D.ieu n'a plus d'autre repère, ni d'autre ancrage, que l'Absolu même. Il est le mois de toutes les puissances, le mois "au-delà".


Sarah AZINCOT