Certains mots sont à ce point usés par l'emploi abusif qui en est fait qu'on en vient à espérer (mais sans doute à tort) que le lecteur ou l'auditeur à qui ils sont assénés percevra immanquablement le vide qu'ils ne parviennent plus à cacher.

Un exemple hautement significatif, le mot " nature ". A peine entendu, à peine lu, il fait jaillir le cliché qui colle à ses deux syllabes : " la nature a bien fait les choses ".

Drôlement sympa, en effet, la " nature " ! C'est elle, à en croire (ce que, bien sûr, nous ne ferons pas) les tams-tams imbéciles du prêt à penser (penser ?) planétaire, oui c'est elle qui aurait tout bien organisé : le soleil qui se couche à l'ouest et les feuilles qui poussent aux arbres, ce grand ciel empli d'étoiles et la coquille de dame tortue.

Alors quoi, dans ce recours dérisoire à la " nature " comme principe explicatif à l'usage des foules, n'y aurait-il pas comme un retour à une sorte de paganisme honteux, la référence à une puissance mystérieuse qui garantirait avec une bienveillante bonhomie l'harmonieux fonctionnement de ce si grand et si complexe univers ?

Pas même. Si retour il y a, c'est, plus probablement, dans le cas d'espèce, vers la bonne vieille scholastique médiévale (en nettement moins élaboré et de façon sans doute passablement inconsciente, il va sans dire) qu'il se produit. Dicton pour dicton, ajoutons donc à cette nature qui " fait si bien les choses celle qui a " horreur du vide ".

Le vide, nous y revoilà. Ayant donc horreur du vide et constatant le trou creusé dans la pensée positiviste par la science des laboratoires, dame nature y va de son vaillant coup de pelle.

Au moins, le trou est-il rebouché ? On ne saurait, à vrai dire, recommander de s'aventurer au-dessus d'un aussi sommaire terrassement. L'effondrement assuré ferait ressurgir tout aussitôt les questions interdites.

Pour que cesse un aussi insupportable scandale, les idéologues de la bien-pensance n'hésiteraient pas alors à agiter comme un gri-gri des raisons définitives, le " hasard " et la " nécessité " par exemple.

Cependant comment ne pas voir la dissipation, lente sans doute mais pourtant certaine de leur vertu magique. Ces " concepts " évidemment plus abordables par les grands médiateurs que la relativité générale, la mécanique quantique ou la théorie des cordes ne sont qu'une manière, à peine plus élégante, de dissimuler le trou.

Un trou dont la profondeur est devenue encore plus effrayante alors que le consensus scientifique est, aujourd'hui, que notre univers a bien eu un commencement. Qu'il n'est donc plus possible de le considérer comme un absolu ayant existé de toute éternité (d'autant moins que le temps comme l'espace sont, dans cette conception qui est celle aussi du judaïsme, des créations ). Et que, par conséquent, la question de la Cause s'en trouve encore considérablement renforcée.

Au demeurant, la véhémence à vouloir tenir, vaille que vaille, un discours globalement hérité du XIXéme siècle, quite à l'affubler de bien étranges ornements comme celui d'une possible "téléologie naturelle"(c'est à dire,en clair, d'un finalisme interne à cette bonne vieille nature) est peut-être le signe de la crise du paradigme encore régnant, celui d'une "idéologie scientifique" qui ne peut plus répondre que par des arguments d'autorité aux questions posées par les avancées mêmes de la recherche scientifique, en particulier dans les domaines de la physique et de la biologie.

La " nature ", Descartes le savait déjà, n'existe pas en soi mais simplement pour le sujet qui pense ses lois, celles de la physique ou de la biologie, des lois qui, elle-mêmes, ne sont qu'un moment de la pensée scientifique.

Pour le judaïsme, la nature n'est que l'expression de l'immanence du divin : il n'est rien d'autre que Lui. Et l'unité de D.ieu est telle que la multitude des créatures ne la contredit pas mais la manifeste ; elle apparaît dans la matérialité même de la création : c'est cette profonde unité de notre univers que le long cheminement de la science met en lumière avec de plus en plus d'évidence.

Certes, dans son mouvement dont l'horizon est toujours fuyant la science n'a pas à se préoccuper de métaphysique. Est-il, pour autant " raisonnable " d'en dissimuler la question par l'usage inconsidéré, jusque dans les manuels scolaires, d'une notion prise dans son acception pré-scientifique ? Chassons donc ce faux naturel et tâchons qu'il ne revienne pas au galop !


B Ziegelman