La Paracha Bechala’h comprend de nombreux événements majeurs : les premières étapes de l’Exode, l’ouverture miraculeuse de la Mer Rouge et les révélations divines qui s’y produisirent, le chant de louange que les Juifs adressèrent à D.ieu, le don de la manne et des cailles et enfin, la bataille victorieuse contre Amalek.

Et pourtant elle n’est pas nommée d’après l’un de ces événements, mais Bechala’h «quand [Pharaon] renvoya [le peuple]». Il est donc évident que le choix de ce nom se justifie par le fait qu’il englobe et transcende tous les événements de la Paracha.

Par ailleurs, le mot Bechala’h semble impliquer que les Juifs n’étaient pas désireux de quitter l’Egypte et qu’ils durent y être forcés. Il est difficile d’imaginer que cette idée puisse être le thème sous-jacent et unificateur de la Paracha. Il semble plutôt constituer un commentaire négatif et désobligeant sur l’état du Peuple Juif à ce moment.

Si nous réfléchissons, il semble très étrange que le Pharaon dût renvoyer le peuple. Pourquoi un seul Juif n’aurait-il pas voulu quitter l’Egypte ? L’Egypte était une dictature terrible qui soumettait les Juifs à un esclavage oppressif. Moché avait promis aux Juifs que leur exode les mènerait au summum de la spiritualité, qu’ils seraient choisis par D.ieu comme Sa nation et qu’ils recevraient la Torah sur le Mont Sinaï. Et cela serait les prémisses de leur entrée en Terre Promise. Qui n’aurait pas sauté sur une telle opportunité ? Il est vrai qu’un nombre significatif de Juifs avait affirmé ne pas vouloir s’en aller mais nous savons que tous ces Juifs étaient morts durant la plaie de l’obscurité. Ainsi ceux qui allaient être libérés en étaient tous désireux. Pourquoi donc Pharaon dut-il les «renvoyer» ?

La réponse est qu’il existait deux dimensions dans le désir des Juifs de quitter l’Egypte. D’une part, ils avaient hâte de fuir l’oppression et de devenir le peuple choisi au Mont Sinaï. Ce désir, aussi fort et sincère qu’il fut, était simplement la conséquence directe de leur situation et de l’opportunité qui se présentait à eux. C’était un désir rationnel, essentiellement dicté par la logique, un désir à propos duquel ils n’avaient virtuellement aucun choix.

Mais au moment même où ils furent libérés, ils ressentirent un désir différent pour partir. A la minute même où ils purent respirer l’air frais de la liberté, ils furent frappés par le contraste profond entre leur esclavage à l’idolâtrie du matérialisme égyptien et la liberté offerte par la vie divine. L’intensité de leur volonté de partir immédiatement s’éleva bien au-dessus de ce qui avait été leur désir dicté par la logique. Leur fuite d’Egypte prit soudain une dimension supra rationnelle, devint une nécessité absolue. Leur premier désir paraissait alors, en comparaison, forcé et imposé.

Ce contraste est souligné par l’utilisation du mot Bechala’h. Ce nom nous rappelle qu’aussi intensément et sincèrement que nous ayons aspiré à la liberté pour accomplir notre destinée divine durant toutes les années d’oppression, notre désir de partir est comparable au fait d’être renvoyé par rapport à l’aspiration à la liberté que nous ressentîmes une fois que les chaînes de l’esclavage furent brisées.

Dans ce contexte, tous les événements miraculeux de cette Paracha peuvent effectivement être considérés comme subordonnés à la teneur générale exprimée par le mot Bechala’h , car une fois que les Juifs entamèrent une relation avec D.ieu à un niveau qui dépasse la logique, D.ieu passait à l’étape de transcender les lois de la nature dans Sa relation avec eux. C’est précisément cette ascension à une relation supra rationnelle avec D.ieu qui donna l’élan spirituel pour tous les événements miraculeux que l’on voit se produire dans le récit de la Paracha.

La réalité de cette dynamique s’applique à nous, aujourd’hui. Il est certainement recommandé d’aider autrui à sortir de son «Egypte» personnelle, des limites qui l’empêchent d’expérimenter pleinement la vie que D.ieu recommande et de remplir sa mission divine. D.ieu récompensera tous ceux qui aident leurs prochains à aller vers leur rédemption personnelle de quelle que soit l’ «Egypte» dont il s’agit.

Mais parfois, nous rencontrons quelqu’un qui ne possède aucun désir conscient d’être libéré. Il est tellement retranché dans la matérialité de la vie qu’il n’est pas conscient qu’il existe quelque chose de meilleur. Dans un tel cas, notre travail consiste d’abord et avant tout à créer en lui le désir d’être libre. La récompense de D.ieu est alors proportionnelle à l’accomplissement : tout comme nous avons créé un désir là où il n’y en avait pas, Il transforme notre volonté en désir si intense qu’il reste sans comparaison avec ce que nous ressentions auparavant.

Le mot Bechala’h évoque également ce que les Juifs accomplirent durant ce processus. Comme nous l’avons déjà vu, chaque action que nous entreprenons a une réaction concomitante dans le monde spirituel. Ici, quand le désir d’un Juif pour la liberté Divine devient si intense que tout ce qu’il ressentait auparavant paraît forcé, cela suscite une réaction violente dans le monde en général. La transition radicale de l’obscurité de l’exil à la lumière de la rédemption eut pour effet que Pharaon lui-même changea : de la personnification du mal, il devint une force de la sainteté. Le même Pharaon qui avait auparavant grossièrement proclamé : «Qui est D.ieu pour que je tienne compte de Sa parole et renvoie les Juifs de mon pays ?» était totalement transformé : non seulement il les laissa partir mais il les aida à le faire.

La leçon s’applique également aujourd’hui. Une conception de D.ieu et une relation avec Lui entièrement basées sur la raison sont limitées dans leur intensité. Il nous faut aller au-delà des limites de la raison et atteindre une appréhension de D.ieu qui nous dépasse. Ainsi, devient-il possible de transformer même «Pharaon», nos caractéristiques les plus matérialistes et cyniques, en un être conscient de la présence de D.ieu. Quand nous observons que les forces de la nature, qui constituent les obstacles les plus insurmontables dans l’accomplissement de notre mission divine, sont transformées en forces qui nous aident, quand comme Pharaon, elles nous «renvoient» par force d’Egypte, nous savons que nous avons atteint notre but.

Quand Pharaon «renvoya le peuple», il lui permit d’entamer la première étape qui allait le conduire au Don de la Torah et à entrer en Terre d’Israël. Il en va de même pour nous : en élevant notre relation avec D.ieu à un niveau qui va au-delà de la logique et en transformant la grossièreté de la réalité matérielle en une force active pour la sainteté, nous hâtons la venue de la Rédemption Messianique et les nouvelles révélations de la Torah qui transformeront, en dernier ressort, ce monde en une véritable Demeure pour D.ieu.