“Voici les chroniques de Noé : Noé était un homme juste et parfait dans sa génération” (Genèse 6: 9).
“Dans sa génération” mais dans les autres générations, comme celles d’Abraham, Moïse et David, il ne compte pour rien (Zohar 1ère partie, 60a).
En d’autres termes, la vie et l’œuvre de Noé incluent des éléments qui devaient plus tard être compris dans les vies du premier Juif, de celui qui devait transmettre la Torah à l’humanité et du premier roi d’Israël.
Abraham, Moïse et David représentent trois jalons dans la réalisation de la mission de l’homme dans la vie. Abraham fut le premier à démontrer qu’un être humain seul pouvait se charger du monde entier et persévérer. Abraham était né dans un monde où la vérité du D.ieu Un avait été oubliée, et où tous adoraient les idoles de bois et de pierre. Seul, sans rien que son propre esprit pour le guider, il en vint à réaliser que le monde entier se trompait. Seul, il défia la puissance des rois et les conventions de la société et fut prêt au sacrifice de sa vie au nom de ses convictions. Il fut “Abraham l’hébreu” surnommé ainsi parce que le monde entier se tenait d’un côté et lui de l’autre.
Mais la vie est plus que se tenir contre un monde adverse. La Torah est le “plan divin de la création” et notre mission dans la vie est de placer le monde sur ses fondations divines. C’est pourquoi le Talmud déclare que “depuis le jour où le monde fut créé jusqu’au jour où la Torah fut donnée à l’homme au Mont Sinaï, le monde tremblait” son existence même étant nébuleuse et incertaine. Car la base de la création, sa charte et sa raison d’être devaient encore être mises en place. Ce n’est que, lorsque Moïse communiqua la Loi divine de la réalité dans un langage accessible à l’homme, que les fondations de l’univers se solidifièrent. Dans la génération de Moïse, la relation de l’homme avec son monde entra dans une nouvelle phase. Avec Abraham, le monde était une force qui pouvait résister avec succès. Avec Moïse, il était une dynamique à stabiliser, une ressource à développer.

La souveraineté divine
La troisième et dernière phase est celle de l’élévation de la création. La stabilité et le développement ne suffisent pas car le monde est fini et à facettes multiples. Même dans son état “stable”, sa perfection est limitée et son harmonie n’est qu’une trêve superficielle déchirée de l’intérieur par des forces divergentes. L’objectif ultime n’est pas la civilisation de la terre mais sa sanctification.
Cela sera atteint par Machia’h qui “rendra le monde parfait (comme) le royaume de D.ieu”, inaugurant une ère où il n’y aura pas de famine ni de guerre, de jalousie ni de rivalité… et la seule occupation du monde sera de connaître D.ieu ”. Mais le processus fut amorcé par l’ancêtre de Machia’h, le Roi David.
Le sens véritable du mot “roi” (Mélè’h) n’évoque pas simplement celui qui règne et gouverne le peuple, mais celui qui imprègne leur vie de la souveraineté de D.ieu. C’est la raison pour laquelle celui qui nous apportera la Rédemption est appelé Mélè’h Hamachia’h, le “roi oint”. David, le premier roi d’Israël, ouvrit une ère de souveraineté en introduisant la perfection divine dans la création. En fait, le terme “Machia’h” est utilisé à la fois pour David et pour le dernier Rédempteur, ce dernier étant appelé “ Machia’h, fils de David ” non seulement en référence à son ancêtre, mais aussi pour impliquer qu’il complète ce que David a commencé.
Tout comme Abraham, Noé maintint son intégrité dans une génération perverse. A une époque où “ la terre était remplie de violence ” et où “ toute chair corrompait son chemin sur la terre ”, Noé résista à cette influence et tenta même d’appeler sa génération à s’amender et éviter la catastrophe. Selon les propos de D.ieu à Noé: “tu es le seul que J’ai vu juste devant Moi dans cette génération”.
Tout comme Moïse, Noé établit les fondations pour un monde nouveau, un monde qui possédait une stabilité bien plus grande que celui qui précédait. En émergeant de l’Arche, il engendra et construisit le monde post-diluvien et obtint de D.ieu la promesse de ne plus jamais détruire les œuvres de la nature.
De plus, il eut un avant-goût de la perfection messianique. Son Arche qui flotta une année entière au-dessus des eaux du déluge était un monde dans lequel toutes les espèces, y compris celles qui sont d’ordinaire des proies les unes pour les autres, résidaient en parfaite harmonie.

Le temps présent
Néanmoins, Noé était un homme juste dans sa génération, mais “ne compte pas” quand il est comparé aux accomplissements d’Abraham et Moïse et David.
Les fautes de la génération de Noé étaient la violence, le vol et la promiscuité interdite. Noé reconnut (comme tout homme l’aurait fait) l’auto destruction de leur comportement et ne voulut y prendre aucune part. Il reconnut aussi qu’un tel comportement mettait en péril la survie de la terre et fit tout ce qui était en son possible pour convaincre sa génération de la folie de ses actes. Le monde qu’il établit au sortir de l’Arche était plus stable parce qu’il était fondé sur les principes du respect mutuel.
Par contre, la confrontation d’Abraham avec le monde ne consista pas en un comportement très civilisé face à un comportement trop peu civilisé, mais avec le paganisme face à la croyance en un D.ieu Unique, avec une vie tournée vers soi face à une vie dévouée au service du Créateur.
Moïse établit le monde non avec un code pour rendre la vie civilisée mais avec la Torah dont le but est de servir D.ieu et réaliser Son dessein dans la création. Le Roi David introduisit (et Machia’h accomplira) une dimension surnaturelle d’harmonie et de perfection dans le monde, non pour assurer la continuité de son existence mais pour révéler l’infinie harmonie et la perfection de Son Créateur.
Noé était leur ancêtre et précurseur, tout comme l’enfance est l’ancêtre et le précurseur de l’âge adulte. Mais un adulte qui répète les faits les plus impressionnants de son enfance encourra la condamnation claire et non les louanges. Personne ne condamne un enfant de faire ce qu’il faut pour obtenir une récompense ou d’éviter un mauvais comportement par peur de la punition; son égocentrisme est chéri et sa manipulation est acceptée avec un sourire appréciatif. Mais chez un adulte le même comportement est considéré comme égoïste, timoré et immature.
C’est la raison pour laquelle le Zohar parle au présent quand il évoque Noé : “ mais dans les générations d’Abraham, de Moïse et de David, il ne compte pour rien ”. Quand la Torah met l’accent sur le fait que Noé était un homme juste dans sa génération, cela ne diminue en rien sa grandeur. Au contraire, dans ces jours, quand le monde était dans son enfance spirituelle, ses accomplissements représentaient le point ultime du potentiel humain. La Torah vient plutôt nous dire qu’après les progrès accomplis par Abraham, Moïse et David, nous ne devons pas considérer Noé comme notre modèle : dans un monde plus mûr, la justesse de Noé ne compte plus.