Voici que nous sommes, à présent, des hommes libres. La fête de Pessa'h nous a fait ce don prodigieux dont nous nous efforçons de saisir toutes les implications. Toutefois, la célébration s'éloigne déjà à l'horizon de notre calendrier, saura-t-elle ou pourra-t-elle nous laisser plus qu'un souvenir de joie et de grandeur, aussi précieux soit-il ? La question est chargée d'une gravité particulière : que reste-t-il de nos actions, même rituelles ? Il est donc temps d'en prendre pleine conscience : un vent nouveau s'est levé. Il s'appelle " décompte de l'Omer " et, chassant les inquiétudes, il emporte avec lui ceux qui ont choisi la liberté.
C'est d'un bien grand vent qu'il s'agit. Il a commencé à souffler dès le second soir de Pessa'h et nous emportera jusqu'au Don de la Torah, lors de la fête de Chavouot. Jour après jour, nous avons entrepris une tâche immense. Nous comptons le temps qui passe et, chaque soir, nous disons ainsi que ce défilement a un sens, qu'il sert à nous élever jusqu'au plus haut de la condition humaine. Nous sommes pris dans ce grand élan qui nous porte vers ce qui nous dépasse, vers la Révélation du Sinaï, à l'issue du décompte. Nous sommes, d'une certaine façon, à la poursuite de ce vent d'une puissance incomparable. Pris dans ses plis, emportés par sa force, nous courrons encore derrière ses tourbillons car nous savons qu'ils chassent ce qui reste de notre exil intérieur. De fait, la libération de Pessa'h a pu ne pas être totale, elle a pu laisser subsister en nous des zones où nous avons consenti aux différentes formes subtiles du renoncement. Or l'enjeu est de taille : il s'agit bien d'effacer tout ce qui ramène à la servitude, y compris celle que nous serions parfois amenés à accepter. Ce combat-là n'est pas facile car la vraie liberté, celle qui naît en nous et nous illumine, exige autant d'effort qu'elle amène d'accomplissement. C'est ainsi que le grand vent de l'Omer se lève, pour que nous sachions courir après lui, suivre son développement et sa puissance.
Courir après le vent n'est pas ici une chose vaine. Même si l'entreprise peut paraître bien au-delà de nos forces, c'est le temps qui nous emporte. Il nous donne accès à cette valeur essentielle qu'est le progrès. Chacun sait de quel degré il part, chacun sait que, avec la fête de Pessa'h, il vient à peine de quitter la servitude matérielle ou spirituelle, imposée par d'autres ou installée par soi-même mais, à présent, chacun sait aussi qu'un autre chemin est ouvert, qu'un autre choix est possible. L'homme est peut-être faible mais le vent de l'Omer est fort. Il suffit de courir après lui, de se laisser emporter par son élan. Nous savons, dès aujourd'hui, qu'il nous entraînera plus loin et plus haut que nous pouvions l'espérer.
Ainsi, la route est encore devant nous. Rectiligne, elle unit Pessa'h, la libération de la servitude, à Chavouot, le Don de la Torah. Elle est animée de la plus grande puissance. Il suffit peut-être d'une décision simple : s'en saisir. Le vent se lève, sachons monter avec lui. Son élan nous emporte, sachons courir après lui. Demain est à notre portée aujourd'hui. C'est vers les plus grandes merveilles que nous avançons sans relâche.