Il régnait une canicule épouvantable cet été 1989. Le jeune ‘Hassid de Loubavitch ne semblait vraiment pas assorti à ce quartier de Manhattan East Village où des jeunes gens – disons : modernes – n’avaient pas l’habitude de croiser un rabbin avec une longue barbe, un manteau et un chapeau noirs...

Et pourtant, le ‘Hassid était déterminé. Il avait promis au président d’une communauté juive du sud de la Californie de retrouver sa fille, une adolescente qui avait fugué : « Sara est à New York, c’est tout ce que nous savons d’elle. Je vous en prie, retrouvez-la ! » avait-il supplié.

Comment retrouver une jeune fille parmi plus de dix millions d’habitants ? Mission impossible ? Pas pour un Loubavitch. Avec beaucoup d’effort et aussi beaucoup de chance – d’assistance divine – il finit par trouver quelqu’un à qui la photo de Sara disait quelque chose. Et le ‘Hassid retrouva Sara : il l’invita chez lui pour Chabbat. Elle vint et revint, de nombreuses fois et retrouva doucement le chemin vers le judaïsme.

Puis elle rencontra un jeune Israélien qui redécouvrait également ce que signifie le judaïsme.

« C’est vous qui allez nous marier ! » dit Sara au rabbin.

Le père de la mariée était vraiment très heureux de la tournure des événements. Mais le père du jeune homme l’était moins. Il avait survécu à la Shoah. Malgré son éducation orthodoxe dans la maison de ses parents, issus d’une longue liguée de rabbins – il avait rejeté le judaïsme après les terribles années qu’il avait vécues dans les camps. Il avait élevé ses enfants dans une éthique humaniste, tout à fait dépourvue de spiritualité ou de notion de D.ieu.
Le père avait fait promettre à son fils qu’il ne lui demanderait pas de réciter une bénédiction quelconque ou une prière durant la cérémonie ou durant le repas. Ce n’est qu’à cette condition qu’il accepterait de venir au mariage.

Le matin du mariage, le ‘Hassid envoya un message au Rabbi de Loubavitch pour l’informer de la cérémonie et pour demander une bénédiction pour les jeunes mariés.

En recevant cette lettre, le Rabbi la plaça dans un sac où se trouvaient déjà des centaines d’autres lettres qu’il s’apprêtait à lire à haute voix au « Ohel », devant la tombe de son beau-père, le précédent Rabbi de Loubavitch au cimetière Montefiore de Queens.

Juste après avoir lu cette lettre, le Rabbi écrivit quelques mots sur un papier et demanda à son secrétaire de le transmettre immédiatement au jeune rabbin qui eut la surprise de lire que ce jour où le jeune couple avait choisi de se marier était le 14 Kislev : le même jour, en 1928, le Rabbi avait épousé la défunte Rabbanit ‘Haya Mouchka. Dans cette lettre, le Rabbi expliquait que le grand-père du marié avait été rabbin à Varsovie et avait assisté à ce mariage. Il avait d’ailleurs offert un livre qu’il avait rédigé. Le Rabbi demandait donc au ‘Hassid de se rendre dans son bureau, d’y retrouver le livre et de l’emporter avec lui lors de la cérémonie ce soir-là.

Bien sûr, le ‘Hassid, très ému et surpris, se dépêcha de prendre le livre avant de se rendre au mariage. Quand il arriva, la mariée lui demanda de prononcer un discours. Il décida alors d’expliquer tout ce qui était arrivé ce jour-là, de raconter l’histoire du livre qu’il tenait à la main.

Il conclut que par la présence du livre offert au Rabbi par le grand-père du marié, l’ancien rabbin de Varsovie était spirituellement présent au mariage de son petit-fils, un petit-fils qui lui donnait certainement beaucoup de satisfaction là où se trouvait maintenant son âme.

En entendant ces mots, le père du marié se leva brusquement et quitta la pièce. Le rabbin partit à sa recherche et le retrouva quelques minutes plus tard, en larmes, près d’une cabine téléphonique dans le hall de l’hôtel.

« Monsieur le rabbin, dit-il en tentant de calmer ses larmes, quand j’étais enfant, mon père m’amenait au ‘Héder, à l’école juive où j’aimais étudier. Mais j’ai tout oublié. J’ai voulu oublier. Je me suis forcé à oublier. Maintenant je vois que mon père n’a jamais douté de moi, que même au ciel, il pense à moi et bénit mon fils. Pouvez-vous me prendre par la main et m’enseigner tout à nouveau ? »

Ainsi se termine ou recommence l’histoire d’une âme juive qui avait oublié, qui pensait avoir oublié, qui avait voulu oublier jusqu’à ce que le Rabbi lui fasse se souvenir. Un cadeau de mariage offert des dizaines d’années auparavant avait eu des conséquences incalculables. Le mérite d’un grand-père planait sur le jeune couple et avait sauvé un père qui, maintenant, se souvenait. Un grand-père pouvait maintenant contempler fièrement ses descendants, redevenus fidèles à la chaîne de la tradition.

Mazal Tov.

Fay Kranz Greene
traduit par Feiga Lubecki