Rivka jouait avec son amie sur le balcon de sa maison. Apparemment, les deux fillettes s’amusaient bien. Mais, de fait, elles étaient en faction : c’était elles qui devaient signaler aux occupants de la maison tout mouvement suspect dans la rue autour d’elles.

On était au mois de Nissan, en 1951, dans la banlieue calme de Malahovka, à côté de Moscou. Des activités totalement illégales se déroulaient dans cette maison : illégales selon les critères de l’Union Soviétique d’alors : la cuisson de Matsot !

Le gouvernement soviétique avait déclaré la guerre à toute forme de religion : les écoles juives avaient été fermées depuis longtemps ainsi que les synagogues et les Mikvaot (bains rituels). Rabbins, professeurs, Mohalim, Cho’hatim (sacrificateurs rituels) avaient été arrêtés et envoyés purger des peines de vingt ans dans les « camps de travail » en Sibérie ou avaient été exécutés.

La loi communiste permettait au citoyen de pratiquer sa religion chez lui mais interdisait toute vie communautaire. Toute organisation de la vie religieuse était considérée comme contre-révolutionnaire. Comment serait-il possible dans ces conditions de transmettre la tradition aux générations suivantes ?

Cependant, même dans ces conditions cruelles, la résistance s’organisait, des ‘Hassidim luttaient de toutes leurs forces pour accomplir des Mitsvot en enseignant la Torah dans la clandestinité la plus absolue, en procurant des objets de culte à leurs frères, en pratiquant discrètement des circoncisions, des mariages… Et, à l’approche de Pessa’h, des familles s’unissaient pour cuire les Matsot.

Nombreux étaient ceux qui habitaient à Moscou. Chaque année, ils profitaient de l’hospitalité d’un Juif habitant à Malahovka et qui était disposé à prendre le risque de prêter sa maison pour cette opération. Bien entendu, la plus grande discrétion était de mise et l’information circulait seulement de bouche à oreille.

Tout en jouant à la corde, Rivka avait remarqué une femme qui semblait errer sans but précis dans la rue. Un grand fichu recouvrait sa tête et même une partie de son visage mais on remarquait ses yeux qui semblaient chercher quelque chose, une adresse… Pour Rivka, c’était un indice suspect, suffisamment grave pour qu’elle prévienne son père. En un instant, les fillettes disparurent dans la maison. Derrière les volets soigneusement fermés, l’agitation était grande : un homme pétrissait avec agilité la farine et l’eau, d’autres aplatissaient prestement les morceaux de pâte, d’autres encore les piquaient tandis que les derniers les enfournaient, tout ceci en moins de dix-huit minutes. En effet, non seulement telle était la Hala’ha (la loi juive) mais la rapidité était aussi nécessaire pour tout cacher le plus vite possible si jamais des ennuis arrivaient.

L’arrivée en trombe des fillettes mit fin à toute cette agitation : « Dans la rue… il y a là une femme qui semble chercher quelque chose… J’ai cru la reconnaître : c’est la femme du directeur du commissariat central… ». En quelques instants, tout disparut : les Matsot, les piques, les bassines, la farine… Les ‘Hassidim se regardaient sans parler, leurs visages blancs comme la craie à l’idée d’être découverts en flagrant délit…

Des coups à la porte…

Un silence de mort régnait dans la maison.

Les coups redoublaient. Le maître de maison décida de prendre les devants. Il saisit une bourse remplie d’argent et ouvrit la porte. Effectivement, c’était bien la suspecte qui se tenait là. L’homme lui tendit l’argent sans rien dire mais elle ne le prit pas.

- Je vous en prie, supplia l’homme. Faites comme si vous n’aviez rien vu !

- Non, murmura-t-elle en hochant la tête. Je ne suis pas venue pour vous causer des ennuis !

- Alors… De quoi s’agit-il ?

- Ecoutez, chuchota-t-elle, chaque année, à cette période, mon mari ne mange rien durant huit jours ! Il me demande de lui procurer des Matsot que vous, les Juifs, vous cuisez spécialement pour ces huit jours !

Abasourdi, le maître de maison tentait de comprendre ce que cela signifiait. Elle continua :

- Les années précédentes, je les obtenais dans un autre endroit mais cette année, on m’a dit de venir dans cette rue, à cette adresse. Pouvez-vous me vendre un paquet de Matsot pour une personne ?

Tous les ‘Hassidim qui se cachaient là poussèrent un soupir de soulagement. Ainsi donc, le directeur du commissariat était juif et tenait à manger des Matsot à Pessa’h !

La femme repartit avec un paquet de Matsot. Mais l’année suivante, les ‘Hassidim s’organisèrent avec encore davantage de précautions, dans une autre maison, celle de Rav Aharon ‘Hazane : quand celui-ci avait fait construire sa maison, il avait prévu un Mikvé ainsi qu’un grand four pour la cuisson des Matsot à Pessa’h.

Les ‘Hassidim purent ainsi continuer à fournir des Matsot à de nombreux Juifs de Moscou.

Rivka Krabitsky

Si’hat Hachavoua N° 1685

Traduit par Feiga Lubecki