Lettre n° 9627

Par la grâce de D.ieu,


5 Tévet 5729,
Brooklyn, New York,


A monsieur Ben Tsion Goldberg(1),


Je vous salue et vous bénis,


J’ai reçu, avec plaisir, votre lettre du 5/12, qui m’accusait réception de mon précédent courrier. J’espère que nous nous verrons lors de la réunion ‘hassidique du 19 Kislev, à laquelle vous avez assisté quelques fois, au préalable. J’ai néanmoins voulu vous accuser personnellement réception de votre lettre, conformément à l’affirmation de nos Sages(2) selon laquelle : “Il est préférable d’agir soi-même plutôt que de déléguer quelqu’un pour le faire”. Certes, une lettre personnelle est aussi une forme de délégation. Pour autant, compte tenu du fait que vous êtes en voyage, je préfère vous accuser réception par écrit.


Je voudrais, en outre, formuler un vœu, me basant sur l’une des allusions que l’on découvre dans les jours de ‘Hanouka, qui viennent de passer. On accomplit la Mitsva de la lumière de ‘Hanouka, le premier soir, de la façon la plus parfaite, en allumant une seule bougie. Malgré cela, il est enseigné à chaque Juif(3) qu’il ne doit pas se contenter de la même situation, dès le lendemain. En effet, l’existence physique se développe alors et il reçoit un jour de plus. Son âme doit donc s’élever aussi, en tout ce qui la concerne et tout d’abord en la Torah et en ses Mitsvot, qui sont comparées à des bougies et à la lumière, “car la bougie est une Mitsva et la Torah, une lumière”(4). Aussi bonne que soit la situation morale d’une certaine journée, celle-ci n’est cependant pas suffisante pour le lendemain, comme quelqu’un qui n’allumerait qu’une seule bougie, le second soir de ‘Hanouka, auquel cas l’accomplissement de la Mitsva ne serait pas aussi intègre qu’il devrait l’être.


Je ne pense pas que mon propos soit d’être un prédicateur, ni que vous souhaitiez entendre un sermon. Ce qui est dit ci-dessus s’ajoute uniquement à mon souhait que s’accomplisse en vous et en nous tous cette allusion de ‘Hanouka, qui apporte la réponse à l’un des douloureux problèmes de notre époque, l’opinion selon laquelle un homme construit et structuré ne doit plus s’imposer des scrupules et des craintes, en d’autres termes, ne doit plus respecter les Interdits avec toutes les attitudes rigoristes qui lui étaient encore nécessaires quand il était fougueux, non structuré et sans culture.


La réponse apportée par cette allusion de ‘Hanouka est la suivante. Le développement, l’avancement en tout domaine de la vie humaine doit être accompagné d’un développement, d’un avancement dans la spiritualité ou encore, selon une autre formulation, dans la vie de l’âme ou bien, pour le dire plus simplement, dans la morale, la ‘Hassidout et le reste.


Bien plus, si l’avancement matériel n’est pas accompagné par un progrès de l’âme, il est, dans de nombreux cas, et même bien souvent, le contraire du développement, pour cette âme. En effet, il remet en cause l’équilibre entre l’un et l’autre et il fait alors obstacle à l’avancement moral. En d’autres termes, il y a, en ce cas, un recul qui, à terme, remettra nécessairement en cause et détruira même l’existence physique.


De fait, nous avons observé, en notre génération, de nombreuses applications de ce principe, conformément aux termes du verset : “ils sont rusés pour faire le mal”(5), en renforçant la liberté, au sens littéral et en s’en servant pour s’affranchir de toutes les barrières et de toutes les précautions. Et, la décadence matérielle en a résulté.


On sait, comme vous l’avez sûrement entendu, que l’on envisage de se rendre sur la lune et l’on recherche les précautions nécessaires pour ne pas y apporter les bactéries et les virus auxquels on est habitué sur la terre, car on ne sait pas si l’on pourra leur résister, sous les conditions qui règnent là-bas. Et, il en est de même en sens inverse, si l’on a le phantasme de marcher sur la lune et que l’on cherche à se prémunir contre d’éventuels virus. En d’autres termes, le progrès qui permet de se rendre sur la lune doit être accompagné de protections et de précautions accrues. Et, l’on ne considère pas qu’il y ait, en cela, uniquement une question de confort. Il s’agit bien d’un problème vital. Il en est de même pour tout avancement dans les différents domaines de la technologie. Avec mes respects et ma bénédiction,


Notes


(1) Responsable d’une rubrique dans le périodique yiddish Tog Morgen Journal. Voir, à son sujet, la lettre n°8569.
(2) Dans le traité Kiddouchin 41a.
(3) Conformément à la Hala’ha selon laquelle on allume les bougies en ordre croissant, selon le traité Chabbat 21b et le Choul’han Arou’h, Ora’h ‘Haïm, lois de ‘Hanouka, chapitre 671, au paragraphe 2.
(4) Michlé 6, 23. Voir le commentaire de Rachi sur le traité Chabbat 23b.
(5) Yermyahou 4, 22. Le Rabbi souligne les termes de ce verset.