Lettre n° 9401

Par la grâce de D.ieu,


2 Kislev 5728,
Brooklyn, New York,


A monsieur Yéra’hmyel Honig, de Londres,


Je vous salue et vous bénis,


Votre lettre m’est parvenue avec un retard très important(1). J’ai été satisfait par son contenu et, en particulier, de l’esprit dans lequel elle est rédigée, qui fait la preuve de votre attachement à notre héritage commun et éternel, selon les termes du verset(2) : “La Torah que Moché nous a ordonnée est l’héritage de la communauté de Yaakov”.


On attend de chaque Juif qu’il considère cet héritage d’une telle façon et, bien évidemment, il ne s’agit en aucune façon de le conserver sous verre(3). Comme le soulignent les mots : “que Moché nous a ordonnée”, la Torah doit pénétrer l’existence quotidienne, avec enthousiasme. Et, combien plus doit-il en être ainsi pour quelqu’un qui est issu d’une famille de maîtres de la ‘Hassidout, d’une famille ‘hassidique, comme vous me l’écrivez.


Vous me dites que vous n’êtes pas un ‘Hassid “professionnel”. Il est clair que cela n’existe pas, car celui qui verrait en cela une profession ne serait pas un ‘Hassid. La ‘Hassidout est bâtie sur un enthousiasme profond(4) et sur un attachement intense, au point de devenir la quintessence de la personnalité. Elle a deux formulations ou deux courants principaux, celle de Pologne, également appelée ‘Hagat, initiales de ‘Hessed, la bonté, Guevoura, la rigueur et Tiféret, l’harmonie, d’une part, qui donne à cet enthousiasme une manifestation extérieure, celle de ‘Habad, ‘Ho’hma, la découverte intellectuelle, Bina, l’analyse raisonnée et Daat, la compréhension, d’autre part, qui met l’accent sur la compréhension. A quelqu’un comme vous, il est sûrement inutile d’en dire plus.


Je veux uniquement ajouter que le point commun à tous les Juifs et la mission essentielle de chacun, en particulier à notre époque, résident dans le fait de ne pas se contenter de la perception intellectuelle d’un élément positif. Il ne suffit pas que le cœur y voit ce qui est bon. Cette perception doit se répandre dans tous les deux cent quarante-huit membres du corps et y prendre la forme d’actions concrètes. Comme le soulignent nos Sages(5), “l’acte est essentiel” et, de même, ce qui est bon ne doit pas être gardé pour soi-même et pour ses propres deux cent quarante-huit membres. On doit faire en sorte que ceci devienne la propriété et donc la vie de chaque Juif que l’on peut contacter. Au final, tous sont bien les membres d’un même corps, de tout l’organisme de l’assemblée d’Israël(6).


Pour revenir à ce qui est dit ci-dessus, si l’on attend ces accomplissements essentiels de la part de chacun, qui reçoit, pour cela, des forces spécifiques, combien plus cela doit-il être le cas pour quelqu’un qui est issu d’une famille de maîtres de la ‘Hassidout. Pour ce qui le concerne, aux forces générales de “la Torah que Moché nous a ordonnée est l’héritage de la communauté de Yaakov”, s’ajoute l’héritage de forces spécifiques, émanant des parents et des grands-parents. Naturellement, je serai satisfait et je me ferai un plaisir particulier d’avoir de vos bonnes nouvelles, concernant tout ce qui vient d’être dit. Avec mes respects et ma bénédiction,


M. Schneerson,


Je fais réponse également à votre proposition de rédiger une présentation concernant une certaine personnalité(7). De façon générale, ceci n’est pas mon propos, en particulier quand il s’agit de quelqu’un qui ne figure plus parmi les vivants. Il se trouve, toutefois, que ce projet a déjà été adopté et que mon absence de réaction pourrait être interprétée d’une manière erronée. Je dois donc dire au moins quelques mots, à ce sujet, que je présenterai en deux points :
A) Il y a, tout d’abord, l’homme, à titre personnel, ce qui comprend aussi, et même avant tout, sa vie privée.
B) Il y a, par ailleurs, sa conception, sa vision.
Dans un cas comme dans l’autre, je n’admets pas du tout votre position.


Je commencerai par le second point. Même si l’on admet qu’à son époque, c’est-à-dire il y a quelques décennies, le moyen d’apporter la ‘Hassidout aux cercles les plus larges était de la schématiser, en allant même jusqu’à l’éloigner de ce qu’elle est réellement, en considérant que cela serait une étape préalable vers la ‘Hassidout proprement dite, il est bien clair qu’une telle démarche est absolument inutile, ces dernières années. Cette(8) approche n’a donc eu pour effet que de donner une fausse image de la ‘Hassidout, de ce qui est la vérité vraie de la Torah de vérité. Mon avis personnel, basé sur ma vie en Allemagne, pendant quelques années(9), est qu’à l’époque également, il était possible d’apporter la ‘Hassidout avec son contenu véritable et qu’elle aurait été acceptée sous sa forme juste, à peu d’exceptions près.


Je reviendrai maintenant au premier point, soulignant qu’il s’agit bien ici de deux aspects différents, à l’encontre de la ‘Hassidout qui enseigne qu’un homme doit être en accord avec ses idées, au point que celles-ci constituent sa quintessence profonde. Concernant ce qui est dit ci-dessus, aucune question ne se pose donc. Un homme est défini, avant tout, comme je l’ai dit, par sa vie privée et par ses centres d’intérêts personnels, en particulier dans les domaines les plus fondamentaux. Pour ce qui est de cet homme, on sait quelle position il a pris dans le soi-disant différend qui oppose les Juifs et les arabes en Erets Israël, quelle position il a pris également sur la nécessité d’accepter la médaille d’honneur qui avait été décernée par l’Allemagne, ce qui, du reste, ne trompe personne. Car, l’Allemagne n’a pas changé et ceux qui prétendent le contraire le font uniquement pour convaincre les autres qu’il en est bien ainsi, mais ce ne devrait pas être le cas de quelqu’un qui a vécu dans ce pays pendant des dizaines d’années, qui a conservé leur culture et leur art également après s’en être échappé et en avoir été exilé. Il y a aussi la question de son épouse, qui n’a pas été éclaircie ou, au contraire, selon certains, qui l’a effectivement été.


Dans l’esprit du début(8) de cette lettre, si, pour chaque Juif, le fait d’acquérir un mérite et de le faire acquérir aux autres est un des accomplissements les plus importants, on peut en déduire ce qu’il en est dans le sens opposé, comme le précise la Michna(10). A fortiori, est-ce le cas pour quelqu’un qui a voulu passer pour un guide, un modèle et qui a tout fait pour cela. Les trois éléments de sa vie privée qui viennent d’être mentionnés sont particulièrement caractéristiques, de même que les récits de ceux qui ont vécu dans la ville et le quartier où il a passé ses dernières années. Je suis peiné de devoir écrire tout cela. C’est pourtant bien la vérité.


J’ai dû m’écarter de mon habitude pour rédiger ces quelques lignes. Puisse D.ieu faire, tout au moins, que cela ait le résultat escompté, que vous-même et tous ceux qui se trouvent sous son influence, reconsidériez la manière dont vous avez observé, de par le passé, l’homme et sa conception. Vous avancerez sur la voie de notre Torah, Torah de vérité, qui est aussi une Torah de vie, de la même étymologie que Horaa, enseignement(11), car elle définit la vie que l’on doit adopter, afin que celle-ci soit digne de ce nom. Avec mes respects et ma bénédiction,


M.Schneerson,


Notes


(1) Voir le Likouteï Si’hot, tome 35, à la page 297.
(2) Bera’ha 33, 4.
(3) Voir, à ce sujet, la longue explication de la causerie de Sim’hat Torah 5725, publiée par les éditions Kehot en 5759, au paragraphe 22.
(4) Voir, à ce sujet, la lettre n°8238.
(5) Dans le traité Avot, chapitre 1, à la Michna 17.
(6) Voir, à ce sujet, le Yerouchalmi, traité Nedarim, chapitre 9, au paragraphe 4, le Taameï Ha Mitsvot du Ari Zal, à la Parchat Kedochim, cité et expliqué par le Séfer Ha Mitsvot du Tséma’h Tsédek, à la Mitsva de l’amour du prochain, au chapitre 1, le Likouteï Torah, à la Parchat Nitsavim, le Likouteï Si’hot, tome 4, à partir de la page 1141.
(7) Il s’agit de Martin Buber. A ce propos, on verra également la lettre du 22 Mar ‘Hechvan 5719, adressée à monsieur Eliézer Steinman, qui dit notamment : “En consultant vos livres, je me suis aperçu, avec étonnement, que vous citez M. Buber, semble-t-il de façon admirative. Or, vous avez sûrement connaissance de sa biographie et de ses positions. Vous avez acquis le renom et l’on tient largement compte de votre avis. Ceci pourrait donc être interprété comme un blanc-seing qui lui est accordé, alors qu’il ne le mérite nullement”. On verra aussi, à ce sujet, la lettre n°6816.
(8) Le Rabbi souligne les mots : “cette” et “début”.
(9) De 5689 à 5693 (1929 à 1933). Voir l’introduction des Iguerot Kodech, tome 1, à partir de la page 8 et le Yemeï Méle’h, tome 1, au chapitre 11.
(10) Dans le traité Avot, chapitre 5, à la Michna 18.
(11) Voir le commentaire du Radak sur le verset Tehilim 19, 8 et le Zohar, tome 3, à la page 53b.