Lettre n° 58

Par la grâce de D.ieu,
Mardi 2 Adar II 5703
Brooklyn,

A celui qui se consacre à une tâche divine, le Rav Y.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Dans votre lettre de la semaine dernière, vous me dites qu'en enseignant à vos élèves le verset (Béréchit 41, 40) "Tout mon peuple sera nourri (Ichak) sur ta parole"(2), vous rapprochez le mot Ichak de Nechika, baiser, en vous appuyant sur certaines références permettant cette analogie, parce que vous ne souhaitez pas encombrer l'esprit d'un élève débutant avec une signification nouvelle d'un terme qu'il a déjà rencontré. Mais, me dites-vous, certains contestent cette manière d'agir, Rachi lui-même traduisant Ichak par "sera nourri". Vous ne m'écrivez pas quel est l'objet de cette contestation, mais elle est sans doute basée sur le fait que Rachi donne une autre interprétation.

A mon sens, cela n'est pas une raison suffisante, car il s'agit, en l'occurrence, uniquement de comprendre le sens simple du verset et non d'établir la Hala'ha. Rachi, dans son commentaire, développe sa propre conception, portant lui-même témoignage que plusieurs interprétations peuvent être données d'un même verset. Son petit-fils, le Rachbam, rapporta que, selon ses propres dires, il aurait développé d'autres explications, s'il en avait eu le temps. Tout cela est une évidence et répond à la question de savoir s'il est possible de choisir l'interprétation d'un autre commentateur, lorsqu'elle contredit celle de Rachi.

Néanmoins, il est nécessaire de revenir sur le sens simple du verset "tout mon peuple sera nourri sur ta parole". Pratiquement, tous ceux qui l'établissent interprètent bien Ichak au sens de "sera nourri".

La traduction par baiser, introduite par Rabbi Avraham Ibn Ezra, est ici beaucoup plus lointaine, bien qu'elle se rapporte à la pratique d'embrasser le roi. Une telle interprétation, néanmoins, n'est donnée que par les commentaires qui s'écartent du sens simple(...).

Il me semble que l'on peut expliquer pourquoi cette signification est considérée comme plus éloignée du sens simple du verset. Tout d'abord, elle conduirait à le traduire ainsi: "en fonction de ta parole, tout mon peuple m'embrassera" ou bien "par ta bouche, tout mon peuple sera embrassé", deux lectures que l'on retrouve difficilement dans les mots du verset, bien qu'on trouve l'équivalent de la dernière dans la Michna.

A mon avis, il faut donc traduire "tout mon peuple sera nourri sur ta parole" et dire aux élèves que la langue de la Torah a parfois un nombre réduit de références et qu'il est possible d'y trouver un terme employé une seule fois dans un certain sens, comme le souligne, en particulier, le Rambam.

Vous savez sans doute que Rabbi Saadya Gaon, le premier, écrivit un livre pour commenter les expressions rares que l'on trouve dans les manuscrits. Vous consulterez, à ce propos, le recueil bibliographique Otsar Israël.

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

Rav Mena'hem Schneerson
Directeur du comité exécutif

Nous espérons disposer, ces jours-ci, de quelques calendriers. Nous en enverrons alors vingt exemplaires à l'adresse que vous nous avez indiquée.

Le Targoum, la version des septante et la vulgate traduisent Ichak par "sera entendu", ce qui n'est pas une interprétation littérale, mais reste néanmoins plus proche du sens simple que le baiser, qui est un signe d'honneur, mais ne fait pas allusion au commandement.

Notes

(1) Le Rav Yossef Flyer, de Chicago.
(2) Rapportant les propos du Pharaon à Yossef lorsqu'il le nomma vice roi de l'Egypte.