Lettre n° 5491

Par la grâce de D.ieu,
1er Sivan 5717,
Brooklyn,

Au grand Rav, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu
et se consacre aux besoins communautaires,
le Rav Ephraïm Eliézer Ha Cohen(1),

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre lettre du mardi de la Parchat Nasso, avec ce qu’elle contenait. Me trouvant, hier(2), près du saint tombeau de mon beau-père, le Rabbi, dont le mérite nous protégera, j’ai mentionné votre nom. En effet, la sainteté ne quitte pas l’endroit qu’elle occupe, comme le dit Iguéret Ha Kodech, au chapitre 27 et dans son commentaire. Il est donc clair qu’un chef d’Israël, quand son âme s’élève vers le ciel, continue à invoquer la miséricorde divine envers tous ceux qui sont liés à lui, avec ce qui les concerne.

Il est dit que “ en ce jour(3), ils parvinrent dans le désert du Sinaï ” et je conclus donc en évoquant ce qui est d’actualité. Ainsi, conformément à la formulation de notre maître, mon beau-père, le Rabbi, je vous souhaite de recevoir la Torah avec joie et d’une manière profonde.

Avec ma bénédiction,

M. Schneerson,

N. B. : Je vous restitue les explications de Torah de votre gendre(4) et, en signe d’amitié, j’ai rapidement rédigé quelques notes, ne disposant que de peu de temps :

“ (5) Le traité Be’horot 12b enseigne que les évaluations sont faites au moment où elles sont décidées, que le rachat du premier-né de l’homme est pratiqué au bout de trente jours et que celui du premier-né de l’âne est immédiat. La Guemara pose la question suivante : n’est-il pas dit que l’évaluation, le rachat du premier-né de l’homme, celui du Nazir et celui du premier-né de l’homme ne peuvent être pratiqués avant trente jours, même s’il reste possible de les retarder sans limite ? Rav Na’hman explique : Cela veut dire que, si un rachat a été pratiqué, celui-ci est effectivement valable. A priori, il faut donc attendre trente jours, comme pour le premier-né de l’homme, mais, si l’on est passé outre à ce principe, un rachat immédiat est également valable. Pour autant, la Mitsva du rachat n’est pas accomplie de cette façon, comme le précise Rachi, à cette référence.

Rav Chéchet explique qu’il n’y a pas eu, de la sorte, une transgression, c’est-à-dire que la Mitsva du rachat est effectivement immédiate, mais qu’il y a transgression uniquement au bout de trente jours. Rami Bar ‘Hama pose à Rav Chéchet la question suivante. Il est dit que le premier-né de l’âne doit être racheté dans les trente jours et, au-delà de ce délai, égorgé. N’est-il pas une Mitsva de le conserver pendant ces trente jours, comme le dit Rav Na’hman, ce qui contredirait l’avis de Rav Chéchet ? Il répond par la négative et précise que le rachat peut intervenir à n’importe quel moment, pendant ces trente jours. Puis, il objecte : s’il en est ainsi, il faudrait dire que, passé ce délai, ou bien on le rachète on bien l’on transgresse cette Mitsva. Enfin, il conclut : Selon Rava, il n’y a là aucune difficulté. Dans un cas, il s’agit de l’avis de Rabbi Eléazar, dans l’autre, de celui des Sages. Rachi explique : Selon Rava, il est une Mitsva de le conserver. Pour autant, nous n’acceptons pas l’explication de Rav Na’hman et cela ne soulève aucune difficulté(6). Car, quand on dit qu’il faut le conserver pendant trente jours, on suit l’avis de Rabbi Eléazar, comparant le premier-né de l’animal à celui de l’homme. Il n’y a donc pas de difficulté à comprendre que les Sages parlent de rachat immédiat.

Le Rambam, dans ses lois des premiers-nés, chapitre 12, paragraphes 6 et 20, dit : “ Depuis quand doit-on le racheter ? Depuis sa naissance et jusqu’à trente jours. Passé ce délai, on a le choix entre l’égorger et le racheter. Il y a uniquement là un retard de la Mitsva ”. Le Kessef Michné dit que, selon un principe établi, la Hala’ha suit l’avis de Rav Chéchet pour les Interdits. C’est pour cela qu’il est précisé qu’en pareil cas, il y a uniquement là un retard de la Mitsva. C’est là la transgression dont parle Rav Chéchet. Or, on peut s’interroger, à ce sujet. Car, si la Hala’ha suit Rav Chéchet, pourquoi l’objection soulevée contre lui disait-elle qu’on le rachète ou bien qu’on l’égorge, alors que l’on aurait du dire qu’on le rachète ou que l’on commet une transgression ? Il n’y a pas de réponse à cette question, posée par le Mahari Korkos(7).

Au paragraphe 1, le Rambam écrit aussi : “ S’il ne souhaite pas le racheter, il est une Injonction de l’égorger, ainsi qu’il est dit : Le premier-né de l’âne, tu le rachèteras avec un agneau et, si tu ne le rachètes pas, tu l’égorgeras ”. Le Rabad objecte à cela que le fait de l’égorger n’est pas une Mitsva, mais, bien au contraire, une faute, un tort, puisque l’on retire ainsi son dû au Cohen. Le Rav Yom Tov Algazi trouve la source de ces deux conceptions dans la Me’hilta, à la Parchat Bo, qui dit : “ Si tu ne le rachètes pas, tu l’égorgeras. Ceci nous enseigne que la Mitsva de le racheter l’emporte sur celle de l’égorger. Autre explication : Si tu ne le rachètes pas, égorge-le. Tu as causé la perte des biens du Cohen. Tes biens seront donc également perdus ”. La première explication est basée sur la Michna, à la page 13a, affirmant que la Mitsva de racheter passe avant celle d’égorger. La seconde explication correspond à l’enseignement de Lévi, à la page 10b, demandant qu’il perde ses biens, dans la mesure où il a fait perdre les siens au Cohen. Tel est l’avis du Rabad et le Rambam tranche selon la Michna, à la page 13a.

Concernant l’enseignement de Lévi, Rachi dit : “ C’est pour cela qu’il devra perdre son argent. Le tribunal l’obligera à l’égorger, à l’issue des trente jours, comme l’explique ce chapitre et il sera interdit d’en tirer profit ”. Les derniers Sages s’interrogent, à ce propos : d’où déduit-il que le tribunal l’oblige ? Et, s’il le frappe, au risque de lui faire perdre la vie, comme c’est le cas chaque fois qu’il refuse de mettre en pratique une Injonction, pourquoi ne pas l’obliger plutôt à le racheter(8), ce qui passe avant le fait de l’égorger ? Il semble que Rachi oppose l’enseignement de Lévi à la Michna de la page 13a. Selon Lévi, le fait d’égorger l’animal est une amende infligée, alors que, pour la Michna, il s’agit d’une Mitsva. Rachi en déduit que les deux conceptions sont exactes.

Comment cela ? Il est une Mitsva pour le tribunal de statuer sur le fait d’égorger l’animal(9). C’est lui qui prend la décision d’infliger une amende, dans ce cas comme dans tous les autres. Or, si le tribunal décide une amende, il est clair qu’il doit le faire après le temps imparti. En effet, si ce n’était pas le cas, pourquoi la lui infligerait-on, alors que cet homme peut encore racheter l’animal quand il le veut ? De même, la Guemara a raison de dire qu’il a causé la perte des biens du Cohen. Or, pourquoi parler de perte si le rachat est encore possible ? Il faut en conclure que l’amende relative au fait d’égorger s’applique seulement après le temps imparti. C’est bien en ce sens que l’on peut parler de perte des biens du Cohen. Rachi en déduit que le tribunal l’obligera à l’égorger, à l’issue des trente jours. Comme on l’a dit, le tribunal a alors une Mitsva de statuer sur l’amende devant lui être infligée pour vouloir égorger l’animal.

Grâce à cette analyse, nous comprendrons plus précisément les termes du Rambam, qui écrit, au paragraphe 6 : “ A l’issue des trente jours, s’il veut l’égorger, il peut le faire, s’il veut le racheter, il peut le faire également. On ne peut alors lui reprocher que le retard ”. Or, n’a-t-il pas précisé, au paragraphe 1, que la possibilité de racheter passe avant celle d’égorger ? Pourquoi les mentionne-t-il ici dans l’ordre inverse ? En fait, l’explication est celle que nous donnions. La Mitsva d’égorger s’applique uniquement quand le temps est passé, c’est-à-dire, selon l’évaluation de nos Sages, au bout de trente jours. Le Rambam en déduit qu’à l’issue de ce délai, on égorge plutôt que de racheter(10) et il se base, pour l’affirmer, sur l’enseignement de Lévi, comme nous l’avons montré. En la matière, il s’écarte donc de l’avis de Rachi et il considère qu’en l’égorgeant, on fait une Mitsva, au même titre qu’en le rachetant.

Ce qui vient d’être dit permet de répondre, d’une manière satisfaisante, à la question du Mahari Korkos. Le Rambam ne reprend pas les termes de la Guemara sur lesquels se base Rav Chéchet. Il écrit, avec précision, que la possibilité d’égorger l’animal passe avant celle de le racheter, afin de souligner que ce rachat a un temps spécifique. A l’issue de ce délai, commence la Mitsva d’égorger. C’est exactement ce que dit Rav Chéchet, précisant qu’il y a transgression à partir de trente jours(11).

J’ai entendu une explication, développée par mon beau-père, auquel D.ieu accordera longue vie, au nom du Rabbi de Loubavitch Chlita, sur la nécessité de donner un cadeau au jeune couple, à l’occasion de son mariage(12). J’ai pensé que l’explication simple de cela pouvait être la suivante. Nos Sages disent qu’à celui qui se marie, on pardonne toutes les fautes. Celui-ci se trouve donc dans la situation qui prévalait avant la faute, c’est-à-dire avant qu’il soit dit : ‘Tu mangeras du pain à la sueur de ton front’. Il peut donc gagner sa vie sans aucun effort de sa part(13). ”

Notes

(1) Le Rav E. E. Yalles, de Philadelphie. Voir, à son sujet, les lettres n°5089 et 5621.
(2) Veille de Roch ‘Hodech.
(3) Le Roch ‘Hodech Sivan.
(4) Le Rav Yossef Geldtseller. Voir, à son sujet, la lettre n°524.
(5) Il s’agit du texte du Rav Geldtseller, annoté par le Rabbi.
(6) Ainsi, même si Rami Bar ‘Hama pose une question à Rav Chéchet, pourquoi ne précise-t-on pas ce qui fait la différence essentielle, c’est-à-dire que, par la suite, on commet une transgression ? C’est pourtant dans ces termes qu’il faudrait le dire. En revanche, de la manière dont le Rambam rapporte cet enseignement, aucune question ne se pose. Voir, plus bas, la note 11.
(7) Le Rabbi note, en bas de page : “ Bien entendu, aucune question ne se pose d’après le Kessef Michné, puisque, selon lui, le retard du rachat est une transgression ”.
(8) Le Rabbi note en bas de page : “ Il est impossible de l’obliger à accomplir ce que la Torah a fait dépendre de sa décision, selon le traité Yebamot 39b : ‘si tu ne le rachètes pas, tu l’égorgeras’ ”.
(9) Le Rabbi note, en bas de page : “ Peut-être est-il possible de dire que tel est aussi l’avis du saint Zohar, selon le Rachbats, à l’Injonction 19. Mais, en fait, il s’agit d’un troisième avis, qui n’est ni celui du Rabad, selon lequel il n’est pas une Mitsva d’égorger, ni celui du Rambam, qui écrit dans le Michné Torah et dans le Séfer Ha Mitsvot, à l’Injonction 82, qu’il y a une Mitsva d’égorger, mais non de faire statuer le tribunal. A fortiori en est-il ainsi pour celui qui parle d’amende, alors qu’il n’en a pas été question ici ”.
(10) Le Rabbi note, en bas de page : “ Il est impossible de formuler pareille affirmation, car il est dit : ‘si tu ne le rachètes pas, tu l’égorgeras’, ce qui veut dire que la condition, pour pouvoir l’égorger, est seulement le désir de ne pas racheter ”.
(11) Le Rabbi note, en bas de page : “ D’après cela, la Mitsva du retard, à laquelle le Rambam fait allusion, est bien une transgression, comme le précise le Kessef Michné. Mais, le Mahari Korkos dit qu’il ne faut pas adopter cette interprétation. Toute l’analyse permettant de répondre à la question du Mahari Korkos devient ainsi inutile, car il n’y a plus là aucune question, comme le montre la Tossefta, selon Rav Chéchet et le Kessef Michné. S’agissant de la question posée sur le Rambam qui, au paragraphe 6, mentionne la possibilité d’égorger avant celle de racheter, on peut proposer deux explications. La première est la suivante. D’après le Rambam, on ne peut égorger qu’à l’issue de trente jours. Peut-être ce principe est-il basé sur la Tossefta précédemment citée. La Guemara fait remarquer que tel n’est pas l’avis de Rav Chéchet. Mais, le Rambam considère que ceux qui adoptent l’avis de Rav Chéchet n’écarteront pas la Tossefta de la Hala’ha, du simple fait de cette question. De fait, on trouve plusieurs explications similaires, dans les propos du Rambam. En tout état de cause, tel n’est pas l’avis de la Me’hilta de Rabbi Chimeon Ben Yo’haï, citée par la Torah Cheléma, qui dit : “ ce qui ne peut pas encore être égorgé ne peut pas non plus être racheté ”. Vous consulterez également le Min’hat ‘Hinou’h, à la fin de l’Injonction 23. C’est donc pour cela que le Rambam mentionne d’abord le fait d’égorger, qui est nouveau, à l’issue des trente jours. La seconde explication est la suivante. Puisqu’il est question, juste après cela, de “ celui qui ne veut pas le racheter ”, ce principe a été rapproché du rachat. En conséquence, il est d’abord question d’égorger. Et, l’on sait à quel point le Rambam est précis, y compris dans l’énoncé de ses idées. Bien plus, dans ce même chapitre, c’est ainsi qu’il faut expliquer la formulation qu’il adopte, au paragraphe 16. C’est une évidence.
(12) Voir, à ce sujet, la lettre n°5224, adressée au Rav Yalles.
(13) Le Rabbi note, en bas de page : “ D’après cette explication, il faudrait en dire de même pour le converti et pour celui qui accède à une haute dignité ”.