Lettre n° 5362

Par la grâce de D.ieu,
13 Nissan 5717,
Brooklyn, New York,

Au distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
se consacre aux besoins communautaires,
est empli d’empressement, le Rav Tsvi(1),

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre lettre du 9 Adar Chéni, avec ce qu’elle contenait, un tiré à part(2), que j’ai lu avec intérêt. Du fait de mes nombreuses activités, ma réponse a été retardée.

Je voudrais souligner un point essentiel, qui doit être à la base de toute discussion et je suis surpris qu’on ne le mette pas en avant, de la manière qui convient. Votre tiré à part n’y fait qu’une simple allusion, à la fin, d’une manière concise alors qu’il aura fallu le détailler.

Cette idée est la suivante. Dans chaque discussion, quelle qu’elle soit, il faut d’abord envisager ce qui est accepté par les deux partis. C’est uniquement à cette condition que la discussion peut aboutir. En effet, si un interlocuteur peut convaincre l’autre, sur cette base, acceptée par tous, l’autre devra accepter les conclusions qui en découlent. A l’opposé, si l’un et l’autre n’ont rien de commun, à quoi bon discuter, alors que les idées de l’un ne s’imposent pas à l’autre, que chacun formule sa propre requête sans qu’ils puissent se rencontrer ? La discussion est alors inutile.

Il en est de même également en toute discussion qui a trait au Judaïsme. Il faut, tout d’abord, jeter les bases de la discussion que l’on veut avoir. Si celles-ci sont acceptées, les conclusions s’imposent d’elles-mêmes. Ces bases sont, en l’occurrence, inspirées de l’histoire juive, jusqu’à nos jours, en termes de survie physique. Elles sont aussi des valeurs morales, transmises dans certaines conditions, par certaines personnes ou encore constituent le fondement de la réussite de notre peuple, qui s’est préservé de l’assimilation, pendant toute la durée de l’exil. Très souvent, si l’on pose, d’emblée, un certain principe, dont l’interlocuteur doit convenir, on lui supprime son argument de départ et on lui retire toute possibilité de s’exprimer.

Ainsi, pour ce qui fait l’objet de notre propos, si l’on entame la discussion par une phrase que l’on ne peut pas contester, par exemple : “ Le Judaïsme est lié à un groupe de personnes qu’on appelle les Juifs ”, on doit définir le Judaïsme par son aspect le plus essentiel, par le point commun à tous les Juifs. Si l’on observe l’histoire de notre peuple(3), pendant trente cinq siècles, depuis que nous nous sommes constitués en tant que peuple, tout ce que nous avons vécu en différents endroits, dans des conditions variant d’une extrême à l’autre, dans leur environnement moral et physique, on doit conclure que ni la langue, ni le pays, ni un certain territoire, ni même un système philosophique n’ont uni les Juifs, ne leur ont permis de marquer leur identité et d’assurer leur pérennité.

Le seul élément qui n’a pas changé, qui reste le point commun en tout lieu et sous toutes les conditions, est la pratique concrète des Mitsvot. Telle est la réalité historique. Tout chercheur qui ne souhaite pas faire fausse route doit reconnaître cette vérité incontestable, qui est effectivement vérifiée par la pratique. Même s’il ne le comprend pas intellectuellement ou bien si de telles conclusions ne correspondent pas à son esprit et à sa volonté, si elles n’expriment pas sa vision du monde, la philosophie qu’il adopte, il doit, néanmoins, accepter que la réalité impose les conclusions et qu’une idée préconçue ne change rien à la situation.

Un autre point, à mon sens, n’a pas été suffisamment souligné, ou seulement en allusion. C’est l’image bien connue, selon laquelle un homme ne peut pas se soulever par les cheveux. De même, la logique est heurtée quand on fait un tri, au sein de la Torah divine, sur la base de sa propre volonté, quand on en écarte une partie que l’on n’admet pas, pour en accepter une autre partie. Ainsi, on condamnera une partie de la Torah, on dira qu’une autre transcende sa volonté et sa compréhension et l’on en acceptera une troisième, en affirmant qu’elle est réellement divine.

J’ajouterai également, même si cela ne concerne pas directement votre tiré à part, que certains points existent uniquement parce qu’on les combat. Sans cette lutte, on les oublierait et il disparaîtraient d’eux-mêmes, car ils n’ont pas de contenu propre, pas d’existence intrinsèque. Il semble que ce soit le cas pour les “ reconstructionnistes ”, par exemple qui, malgré les moyens dont ils disposent, existent essentiellement du fait de la lutte qui est menée contre eux.

On retrouve l’équivalent de tout cela dans la différence qui existe entre la ‘Hassidout et le Moussar. La ‘Hassidout privilégie “ Fais le bien ”, parce qu’un effort permanent dans la direction de “ Ecarte-toi mal ”, fait la place, d’une certaine façon, à ce mal. Certes, tant que ne sera pas accomplie la promesse selon laquelle “ Je supprimerai l’esprit d’impureté de la terre ”, il restera effectivement nécessaire de s’écarter du mal. Toutefois, il est souhaitable de ne pas en faire l’objectif et le contenu de la majorité de ses jours, mais, au lieu de cela, de se consacrer à faire le bien.

J’ai déjà dit(5) que l’une des qualités de l’Amérique, par rapport à l’Europe d’antan, est qu’il n’y a pas réellement, ici, de mal contre lequel il faut lutter, mais surtout de l’ignorance, qui est une situation négative, une constatation du manque, de laquelle ont résulté un vide spirituel et une absence de contenu. En conséquence, “ Fais le bien ” est ici encore plus clairement nécessaire, alors que ces discussions ne sont qu’une seconde priorité, ou peut-être même une troisième ou encore moins que cela.

Avant tout, il faut diffuser des idées justes, basées sur la Torah et la tradition. De nos jours, en particulier, une telle campagne, pour qu’elle soit bien reçue par les cercles les plus larges, en particulier par les jeunes, doit être pénétrée de lumière et de vitalité, de vivacité et de joie. Or, toutes ces qualités sont également des valeurs fondamentales de la ‘Hassidout.

Je vous adresse ma bénédiction afin que vous preniez conscience de votre mission profonde, celle de faire du centre que vous dirigez, le lieu des sources d’eaux vives de notre Torah, Torah de vie, car la vérité exclut tous les compromis. Et, vous assumerez vos fonctions avec largesse d’esprit.

Avec ma bénédiction pour une fête de Pessa’h cachère et joyeuse,

Notes

(1) Le Rav T. Shechter.
(2) Extrait du fascicule “ Education juive ”.
(3) Voir, à ce sujet, la lettre n°5771.
(4) Voir, à ce propos, la lettre n°4729.