Lettre n° 4779

Par la grâce de D.ieu,
19 Tichri 5717,
Brooklyn,

Au grand Rav, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu
et se consacre aux besoins communautaires,
le Rav Chlomo Zalman,

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre de la veille de Soukkot.

Vous me dites que vous avez observé la coutume des ‘Hassidim(1), selon laquelle, lorsqu’une seule personne possède un second pain(2) et acquitte les autres de leur obligation(3), les convives récitent tous, indépendamment, la bénédiction du pain(4). Vous m’interrogez, à ce sujet, à partir de ce que disent le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, chapitre 174, paragraphe 4 et les derniers Sages, affirmant que les convives s’acquittent également de la bénédiction du pain par celle qu’il prononce.

Il est vrai qu’il en est ainsi et que l’on peut s’acquitter de son obligation par la bénédiction de celui qui la prononce. De façon générale, chaque fois qu’une bénédiction est récitée parce que l’on tire un profit de ce monde, celui qui la récite peut aussi le faire pour le compte de tous ceux qui tirent également ce profit. Malgré cela, cette coutume(5) est judicieuse.

En effet, pour s’acquitter de son obligation par la bénédiction de l’autre, il faut en avoir l’intention et celui qui la dit doit aussi avoir cette intention. En outre, il ne doit pas y avoir d’interruption entre le moment où l’on écoute la bénédiction et celui où l’on consomme le pain. A l’opposé, pour le Kiddouch et la Havdala, par exemple, ceux qui écoutent ont pris l’habitude de s’acquitter de leur obligation(6). Il en est donc naturellement ainsi et l’on suit la majorité qui, écoutant ces bénédictions, ont l’intention de s’acquitter de leur obligation.

Il n’en est pas de même pour la bénédiction du pain, surtout en présence d’une foule nombreuse. Ceci s’applique aussi pour la coupe de bénédiction, à la fin d’un repas ou d’une réunion ‘hassidique. Il s’écoule beaucoup de temps entre le moment où l’on entend la bénédiction et celui où tous ceux qui l’entendent boivent leur verre. Il est donc difficile de ne pas s’interrompre. De ce fait, il convient d’instaurer cette pratique, selon laquelle chacun récitera sa propre bénédiction.

Vous dites que, d’après les derniers Sages, si l’on agit de la sorte et que chacun récite sa propre bénédiction, on ne s’est pas acquitté de l’obligation du second pain. Je ne connais pas la référence de cette affirmation. Bien au contraire, le Echel Avraham, du Rabbi de Butchatch, sur ce chapitre, dit clairement que l’on s’acquitte effectivement, en pareil cas, de l’obligation du second pain, même si l’on dit soi-même la bénédiction. Bien plus, il en est ainsi même si celui qui écoute ne s’est pas lavé les mains, comme le reproduit également le Or’hot ‘Haïm, à cette référence.

Vous envisagez la création d’un Collel pour les jeunes gens de la Yechiva, afin qu’ils puissent se consacrer à l’étude également après leur mariage. Auparavant, dans les Yechivot, on se mariait à un âge relativement avancé, à partir de trente ans.

Les Sages des générations précédentes ont déjà protesté contre un tel usage, tendant à retarder le mariage, en cette génération orpheline, comme le soulignent les premiers et les derniers Décisionnaires. Vous consulterez également les lois de l’étude de la Torah de l’Admour Hazaken, au chapitre 3, soulignant que l’on doit étudier la Torah dans la pureté. Dans les Yechivot ‘Habad, on n’a jamais retardé, à ce point, l’âge du mariage, ce qu’à D.ieu ne plaise.

Pour ce qui est de la création d’un Collel, vous connaissez la décision de notre sainte Torah selon laquelle une Mitsva qui ne peut être mise en pratique par personne d’autre repousse toutes les considérations, comme le dit le traité Moéd Katan 9b. En ces dernières générations, une activité rabbinique ou bien liée à l’éducation aux valeurs sacrées est une nécessité absolue, le moyen de sauver littéralement les âmes.

En conséquence, il s’agit là de faire en sorte que des dizaines de jeunes gens possédant des capacités en la matière se consacrent à l’étude de la Torah tout au long de la journée, alors que des centaines, des milliers demandent de l’aide, au moins d’une voix intérieure que l’on n’entend pas. Ceux-là se noient dans les eaux tumultueuses qui inondent les rues et qui, malheureusement, ont déjà commencé à pénétrer dans les foyers. On peut donc se demander comment autoriser une telle pratique.

Certes, il peut en être ainsi pour une élite, pour ceux qui doivent passer quelques temps dans un Collel avant de pouvoir sauver les autres Juifs. En tout état de cause, cette voie n’est pas celle du plus grand nombre. Tout aurait été différent si, dans la précédente génération, on s’était réellement efforcé de sauver les Juifs de l’assimilation et d’un écart par rapport au chemin de la Torah et des Mitsvot, si on avait confié aux élèves de Yechiva, dès qu’ils terminent leurs études, le rôle de sauver les âmes. Il y aurait maintenant des dizaines de milliers d’élèves de Yechivot supplémentaires, de personnes se trouvant dans les synagogues et dans les maisons d’étude.

Point n’est besoin d’en dire plus, car ceci est pénible et même effrayant. En effet, quelques recteurs de Yechiva ont encore cette conception et se disent : “ J’aurais au moins sauvé ma propre personne ”. Nos Sages commentent longuement, dans différents textes, en particulier le Zohar, tome 1, pages 67b et 106b le comportement de Noa’h(7), quand le monde entier fut englouti par le déluge. Et, de fait, cela est différent, car Noa’h vivait avant le don de la Torah, quand il fut dit : “ Tu aimeras ton prochain comme toi-même ”.

Que l’on se demande donc ce qui se serait passé s’il s’était agi du fils du recteur de la Yechiva ou de sa fille unique, qu’il fallait rapprocher de D.ieu et de Sa Torah. Se serait-il également enfermé dans la pièce la plus intérieure, s’en remettant au miracle pour qu’il puisse se consacrer à la Torah quelques heures de plus, chaque jour ? C’est bien évident.

S’agissant de ceux qui appartiennent à l’élite et possèdent des capacités particulières, les ‘Hassidim ont également l’habitude, depuis longtemps, de se consacrer à la Torah, même après le mariage, d’en faire leur seule activité. Pour autant, il ne s’agit pas d’une position concernant chacun, basée sur le principe, préalablement cité, selon lequel : “ J’aurai au moins sauvé ma propre personne ”.

Vous envisagez votre installation en Amérique du sud, par exemple. Cette proposition ne me convient pas. Pour l’heure, en effet, l’état d’esprit de ces pays ne convient absolument pas à l’éducation qu’il convient de donner aux jeunes enfants.

Avec ma bénédiction pour donner prochainement de bonnes nouvelles de tout cela et de l’état de santé des membres de votre famille,

[Du fait de la sainteté de la fête(8), le Rabbi Chlita n’a pas signé cette lettre et je le fais donc en son nom,

Le secrétaire,]

Notes

(1) Voir les Si’hot Kodech 5717, à la page 53.
(2) Au début d’un des repas du Chabbat.
(3) De posséder ce second pain.
(4) Le Ha Motsi.
(5) Le fait que chacun récite personnellement la bénédiction.
(6) Et, le font donc naturellement, ce qui n’est pas le cas, en revanche, dans le cas du pain.
(7) Qui, en quelque sorte, dit lui-même : “ J’aurai au moins sauvé ma propre personne ”. Voir, à ce sujet, la lettre n°4472.
(8) Cette lettre est rédigée pendant ‘Hol Ha Moéd Soukkot.