Lettre n° 4555

Par la grâce de D.ieu,
23 Tamouz 5716,
New York,

Je vous salue grandement et vous bénis(1),

Je fais suite aux télégrammes(2) que je vous ai envoyés. Vous voudrez bien m’excuser de vous les avoir adressés en express. En effet, la question était immédiate. Plusieurs Juifs et Juives craignant la Parole de D.ieu étaient égarés(3). On les avait attirés en leur affirmant que, selon le grand Rabbinat, il était permis de voyager dans ces bateaux israéliens. Ils devaient donc y embarquer, quelques jours avant le Chabbat. Parmi eux, certains m’ont interrogé et je leur ai répondu qu’il était clair pour moi, comme je le montrerai plus bas, que le grand Rabbinat ne peut pas avoir permis un tel voyage et que, pour le vérifier, je leur adressais ces télégrammes afin d’obtenir des précisions.

Vous pouvez comprendre la satisfaction morale que j’ai eu en recevant votre télégramme, me confirmant que cela n’est pas exact et qu’une telle permission n’a jamais été donnée.

Puisque nous en sommes là, je préciserai certains points sur lesquels je base mon avis, comme je l’exprimais dans mon télégramme. Je ne citerai pas ici de référence. Il n’est sûrement nul besoin de le faire, car elles vous sont bien connues.

Cette question n’est pas la même que celle qui est posée par le Choul’han Arou’h, les premiers et les derniers Sages, faisant référence à un bateau ou à une caravane et se demandant si telle personne a le droit de l’emprunter. Selon la situation actuelle, la question se pose sur le bateau lui-même. Est-il permis de voyager à son bord, en sachant qu’il se déplacera pendant le Chabbat ou bien cela est-il interdit ?

En d’autres termes, la décision hala’hique concerne d’abord les propriétaires de ce bateau. Peuvent-ils organiser ses déplacements et ses voyages en sorte que les machines fonctionnent pendant le Chabbat et que le déplacement se poursuive, ou bien est-il interdit de le faire et faut-il faire en sorte que le voyage s’arrête pour la durée du Chabbat, dans un port ou bien en pleine mer ?

Comme je l’ai dit, toutes les analyses faites par les premiers et les derniers Sages concernent le voyage du bateau et ne s’appliquent donc pas à notre propos.

La question qui se pose, en l’occurrence, est donc la suivante. Le fonctionnement des machines et la conduite du bateau pendant le Chabbat sont-ils interdits ou non ? Et, s’il y a une interdiction, en la matière, peut-on considérer que l’on est, en l’occurrence, dans un cas de force majeure ? Dernier point, est-il préférable que l’on agisse par inadvertance(4) ? Bien entendu, il peut en être ainsi seulement si l’on ne pose pas de question. Dès qu’on le fait, on ne peut plus agir par inadvertance.

Pour ce qui est du premier point, quiconque a une connaissance, même rudimentaire, de la conduite d’un bateau et du fonctionnement des machines sait que l’on transgresse, sans l’ombre d’un doute, les interdictions de la Torah d’allumer du feu, de cuire et d’autres encore. Cela est inhérent aux machines elles-mêmes.

Par ailleurs, plusieurs interdictions sont liées aux pratiques et aux usages des compagnies maritimes, ou bien aux habitudes et aux coutumes des moyens de transport, en général. Très régulièrement et parfois même plusieurs fois par jour, on effectue des mesures et l’on inscrit ensuite certains résultats, concernant le bateau et le voyage, dans certains carnets, on envoie des télégrammes et l’on en reçoit, sur différents points, on corrige la direction du bateau et l’on fait d’autres choses encore. En outre, il faut, pour cela, bien souvent, allumer et éteindre un éclairage électrique.

J’ai eu connaissance, à ce sujet, d’une information particulièrement curieuse. Il semble que certains, par manque de connaissance, acceptent qu’il en soit ainsi.

On prétend que les machines des bateaux, de nos jours, fonctionnent de manière automatique. On peut comprendre ce que cela veut dire, mais cela ne s’applique nullement à notre propos. Il est vrai que des machines peuvent fonctionner automatiquement pendant un certain temps, mais, plusieurs fois par jour, celles-ci doivent être enduites d’une certaine graisse. Il faut les diriger ou les régler de nouveau. Cependant, entre deux réglages, elles fonctionnent effectivement de manière automatique.

Bien plus, il ne suffit pas de régler de nouveau ces machines. Il faut aussi modifier leur fonctionnement, les adapter à différents éléments extérieurs, qu’il n’y a pas lieu de préciser ici. Or, ces réglages et ces modifications incluent également plusieurs travaux définis par la Torah. Chaque mécanicien le sait.

Celui qui prétend que l’on peut régler des machines et les préparer avant l’entrée du Chabbat pour que leur fonctionnement soit automatique pendant toute la durée de ce jour, sans qu’il ne soit nécessaire d’intervenir, fait preuve de la plus grande ignorance, en matière de mécanique.

Certes, une recherche approfondie permettrait de mettre au point un bateau dont le fonctionnement serait totalement automatique, non seulement pendant une journée, mais même pendant un temps illimité. Néanmoins, plusieurs années passeront encore avant la réalisation de ce projet.

* * *

Concernant le second point, le fait qu’il s’agisse ou non d’un cas de force majeure, pour plusieurs personnes ou, au moins, pour une seule, si le bateau est immobilisé, pendant le Chabbat, dans un port ou même en mer, il est absolument évident que cette situation ne présente aucun danger, non seulement par les vents habituels, mais même par ceux qui sont exceptionnels.

En effet, on ne sauve pas un bateau de la tempête en actionnant ses machines. On le fait par une construction particulière se trouvant à bord ou même, certaines fois, en fuyant cette tempête. Un autre point est essentiel à connaître. La période actuelle diffère d’auparavant. En effet, on peut prévoir une tempête plusieurs heures avant qu’elle se produise en un certain endroit. On dispose donc de suffisamment de temps pour rallumer les machines, si elles ont été éteintes auparavant, à cause du Chabbat.

Un autre argument est avancé qui n’est pas moins surprenant que le précédent. On prétend que l’arrêt d’un bateau en pleine mer augmente le risque de collision entre deux embarcations. A l’opposé, ce risque est moins grand si le bateau est en mouvement. Il est clair que ceci va à l’encontre de la logique la plus élémentaire. Lorsqu’un bateau avance à une vitesse relativement rapide, comme c’est le cas à notre époque, il est plus difficile de modifier sa trajectoire ou bien de l’arrêter, s’il s’avère soudain qu’une autre embarcation s’approche. Il n’en est pas de même quand ce bateau est à l’arrêt.

Bien plus, un tel risque est improbable, dans l’organisation adoptée à notre époque, selon laquelle tous les bateaux en mer donnent des nouvelles, par télégraphe, à tous ceux qu’ils pourraient rencontrer, afin d’éviter les collisions. L’envoi de ces informations, de même que les phares se trouvant sur les bateaux, sont le moyen de se préserver de telles collisions, alors que le fait d’être en mouvement le rend plus difficile.

En réalité, il n’est nul besoin de développer tout cela et je vous écris ces lignes uniquement parce que j’ai entendu, à ma surprise, qu’il est deux catégories d’avis permettant de faire fonctionner les machines et de faire voyager les bateaux, pendant le Chabbat, se basant sur deux raisonnements opposés.

Le premier avis considère que toute intervention humaine est inutile, car, pendant toutes les vingt quatre heures(5), le bateau avance automatiquement. Mais, le second avis prétend l’inverse, dit qu’il y a, en l’occurrence, un danger ou, au moins, un risque de danger, si les machines ne sont pas actionnées par les hommes. Une surveillance particulière est alors nécessaire, car il est très dangereux d’arrêter le bateau en pleine mer.

Or, même selon cette conception, on ne comprend pas pourquoi il ne serait pas possible d’arrêter le bateau dans un port. En chemin, il y a de nombreuses îles et ports, dans un sens comme dans l’autre. Je souligne ce point car, ces jours-ci, on a commencé à diffuser une nouvelle justification à cette permission, qui est la suivante. En six jours, les bateaux partant d’ici n’ont pas le temps de parvenir en Europe. Mais, l’on omet de préciser qu’il y a de nombreux ports, en chemin. De plus, on peut toujours arrêter le bateau en pleine mer.

En fonction de tout cela, on peut comprendre que, même si personne ne posait de question à ce sujet, on ne pourrait pas prétendre qu’il est préférable que l’on agisse par inadvertance. Il s’agit, en effet, d’une interdiction clairement énoncée par la Torah, celle d’allumer du feu.

Autre point, qui est particulièrement important, si l’on tient compte du fait qu’un grand nombre de ceux qui voyagent se conformeront à l’avis des guides spirituels du peuple juif et n’emprunteront pas un bateau voyageant pendant le Chabbat, il est à peu près certain qu’au moins une partie des bateaux israéliens organiseront leur voyage de façon qu’ils marquent l’arrêt durant le Chabbat. Or, tout cela est justifié, même si on le fait pour un seul bateau.

Bien évidemment, tout cela est encore plus clairement valable pour les voyages organisés par les partis qui se présentent comme religieux. Si une telle instruction est donnée, ils la suivront.

* * *

J’ajouterai un point qui n’est pas directement lié à ce qui fait l’objet de notre propos. On peut se demander s’il est possible d’emprunter un bateau qui voyage, de toute façon. Or, dans toute l’analyse que j’ai pu voir, concernant ce qui a été écrit et imprimé à propos des bateaux israéliens, il semble que l’on n’ait pas prêté attention aux points suivants, pourtant fondamentaux, en la matière :

Il est possible de voyager avec un bateau qui n’est pas israélien. Même si l’on prétend, ce qui va à l’encontre de la vérité, que le principe selon lequel “ tu achèteras chez ton ami ” a la force de permettre un tel voyage, on peut encore voyager sur un bateau israélien sans être à son bord pendant le Chabbat. Il suffit de quitter le bateau avant le Chabbat et d’attendre le bateau israélien suivant, même si le voyage s’en trouve rallongé. Cette possibilité supprime la différence qui peut être faite, selon que l’on commence le voyage trois jours avant le Chabbat ou bien après cela, d’après Rabbénou ‘Hananel, le Ramban, le Razah et d’autres encore(6).

Par ailleurs, on peut également voyager avec un avion israélien, lequel commence et finit son voyage pendant les jours de semaine.

En plus de la question qui a été posée, une autre interrogation concernant les bateaux s’ajoutent, en ces dernières générations. Les services rendus aux voyageurs sont également liés à des travaux(7), parfois même à ceux qui sont définis par la Torah, par exemple le fait d’adoucir l’eau et de la distribuer dans les cabines des voyageurs, au moyen de machines. Il en est de même pour l’éclairage de ces cabines, de même que celui de l’endroit où l’on prie.

En la matière, on ne peut pas dire que “ la bougie allumée pour une personne en éclaire cent ”, car la majeure partie des voyageur est juive. Or, plus ceux-ci sont nombreux et plus il faut augmenter le nombre de machines ou les heures de travail. Vous consulterez, à ce propos, le Kalkalat Ha Chabbat, de l’auteur du Tiféret Israël, “ travail du Chabbat ”, chapitre 9.

Ainsi, en cas de danger véritable pour le voyageur, ayant pour conséquence de permettre un tel voyage, le Rav doit le prévenir que, peu après l’entrée du Chabbat, il ne peut plus, par exemple, se servir de l’eau du bateau, ni de la lumière, ni réciter le Kiddouch sur du vin(8).

Car, de façon générale, il n’y a pas de malade, sur un bateau, comme l’indiquent les journaux de bord. Plus encore, nous avons vu qu’en la matière, on ne peut pas dire que “ la bougie allumée pour une personne en éclaire cent ”.

De même, il faut souligner que, dans les grands bateaux, il est inconcevable(9) qu’au cours de ces vingt quatre heures, il n’y ait pas une panne d’une machine, devant être réparée sur le champ.

* * *

Afin d’envisager tous les arguments, j’en cite un autre, qui circule également et qui est le suivant. L’immobilisation d’un bateau et l’arrêt de ses machines entraînent une perte financière importante. On manquera donc des moyens nécessaires pour l’armement. Il est pourtant clair que l’on ne peut pas, sur la base d’un tel argument, faire la guerre au respect du Chabbat dans les usines et dans les champs de Terre Sainte. Or, le respect du Chabbat a un coût financier encore plus important que l’arrêt des bateaux, pendant leur voyage.

J’ajouterai que, dans ce développement, je n’ai pas envisagé la transgression de la sainteté du Chabbat, au nom d’une partie importante du peuple juif. En effet, il est bien connu, de beaucoup plus de dix Juifs(10), que l’on considère ces bateaux comme le bien de tout notre peuple, dont ils portent le nom. Combien plus en est-il ainsi pour la manière dont les autres peuples les observent.

Il est difficile d’en dire plus, car cela est douloureux et effrayant, surtout d’après les propos bien connus du Ramban, sur lesquels s’est basé le ‘Hatam Sofer, dans ses responsa tome 6, chapitre 97, selon lesquels la conduite de ces bateaux israéliens pourrait transgresser une interdiction de la Torah, même s’il n’y avait pas tout cela. En effet, il y a là, publiquement, le plus grand manquement au repos du Chabbat. Selon lui, il s’agit bien d’une interdiction de la Torah.

Vous consulterez également, entre autres, le Rambam, lois du Chabbat, début du chapitre 21 et fin du chapitre 24, la Me’hilta de Rabbi Chimeon Ben Yo’haï sur Vayakhel, chapitre 35, le commentaire de Rachi sur la Guemara et le Rif, traité Beïtsa 37a.

A celui qui comble les brèches du peuple d’Israël, D.ieu envoie un esprit de pureté, pour renforcer la muraille du Chabbat, car si les Juifs le respectent de la manière qui convient, ils seront aussitôt libérés.

Avec mes respects et ma bénédiction,

Notes

(1) Une version corrigée de cette lettre et des lettres n°4580, 4583 et 4584 parut, en 5718-1958, dans un fascicule spécifique et dans le Bitaon ‘Habad, organe des jeunes de l’association ‘Habad, tome n°19, à partir de la page 20. Ce texte figure également dans le Likouteï Si’hot, tome 6, à partir de la page 398. Ces lettres sont reproduites ici en fonction de cette version corrigée. Celle-ci est adressée aux Rabbanim Herzog et Nissim, les deux grands Rabbins d’Israël. S’agissant du premier, on consultera la lettre n°4306. Concernant le contenu de cette lettre, on verra également les lettres n°3014, 3788, 3834, 4339, 4470, 4519*, 4531, 4535, 4553, 4556, 4580, 4583, 4584, 4596, 4617, 4624, 4634, 4636, 4707, 4709 et 4733.
(2) Voir, la lettre n°4519.
(3) Ne sachant s’il est permis ou non d’emprunter les bateaux israéliens, qui voyagent pendant le Chabbat.
(4) Auquel cas il vaut mieux ne rien dire plutôt que de faire en sorte que l’on transgresse un interdit en conscience.
(5) Du Chabbat.
(6) Le Rabbi note, en bas de page : “ Vous consulterez les responsa du Tséma’h Tsédek, partie Yoré Déa, début du chapitre 92 ”.
(7) Interdits pendant le Chabbat.
(8) Voir, à ce sujet, la lettre n°4584.
(9) Selon l’expression hala’hique : “ Peut-on lui trancher la tête sans qu’il meurt ? ”.
(10) Il s’agit donc bien d’un fait public.