Lettre n° 4414

Par la grâce de D.ieu,
4 Sivan 5716,
Brooklyn, New York,

Au grand Rav, érudit bien connu, aux multiples et profondes
connaissances, qui met en forme ses explications, les analyse,
‘Hassid qui craint D.ieu, aux comportements généreux, aux
multiples qualités, recherchant le bien de son peuple,
le Rav I. A.(1) Chlita, grand Rabbin(2),

Je vous salue et vous bénis,

Je vous remercie pour votre télégramme, qui faisait réponse au mien(3), relatif au douloureux problème du conseil des synagogues et du comité des rabbins de New York(4). Par ailleurs, j’ai eu personnellement de vos nouvelles par le Rav Hollander, à son retour de sa visite en Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, de même que les détails de ce qui s’y est passé.

Il est difficile de décrire le tort causé par votre décision d’annuler votre lettre. Comme je l’ai dit dans mon télégramme, ceci aura, à mon sens, également une incidence sur l’introduction des conservateurs et des réformés en Terre Sainte. Pour des raisons évidentes, je n’ai pas voulu préciser tout cela dans mon télégramme. J’ai donc uniquement dit que “ ceci concerne toutes les générations et tous les pays ”.

Si nous avons le mérite de profiter de ce moment propice pour le Judaïsme des Etats-Unis, il y aura là une évolution fondamentale dans la manière dont les Juifs de tous les milieux considéreront les conservateurs et les réformés, conformément à l’optique de notre sainte Torah.

Tout cela est nécessaire dans notre génération, une génération orpheline, conformément à l’enseignement bien connu de nos Sages selon lequel “ celui qui découvre une lézarde ”, dans un certain domaine, concernant une certaine Mitsva, ne peut en aucune façon l’obturer par un compromis. Bien au contraire, il doit faire preuve de vigilance et “ l’entourer d’une barrière ”.

Je conclus ma lettre, conformément à l’affirmation de la Michna, selon laquelle un homme doit s’exprimer selon les termes de son maître, mon beau-père, le Rabbi, en vous souhaitant et en me souhaitant de recevoir la Torah avec joie et d’une manière profonde(5).

Avec mes respects, ma déférence et ma bénédiction,

Je saisis cette opportunité pour vous livrer les remarques que m’a inspiré votre dernière lettre(6).

Vous évoquez la contradiction apparente entre l’avis des chercheurs, d’une part, situant dans le temps “ l’apparition de l’écriture et le développement des langues et des cultures, en général ”, le sens simple et immédiat de la Torah, des commentaires de nos Sages, d’autre part, accepté, en chaque génération par tout notre peuple, qui établit la date de la création du monde. C’est, en effet, la 5716ème année depuis cette création, selon la mention qui est portée sur les actes officiels. Vous dites que “ c’est la question fondamentale, à la base de toutes les recherches, à l’heure actuelle ”.

A mon sens, il n’y a nullement là une contradiction. En effet, on ne peut pas contredire une simple approximation(7). Je m’explique :

A) De façon générale, il y a une règle qui s’applique à toutes les conclusions scientifiques et il me semble qu’elle est appelée principe de Heisenberg. Selon celle-ci, toute conclusion, quelle que soit la discipline à laquelle elle appartient, n’est, en réalité, que l’approximation la plus plausible, la plus proche du réel. En d’autres termes, un homme ne peut avoir aucune certitude, concernant le futur. Il ne peut qu’émettre une supposition.

L’une de ces suppositions est la suivante. Plus l’on assiste à des événements et plus le nombre de ceux qui sont conformes à la règle dépassera celui des événements qui s’en écartent. Encore une fois, il ne s’agit que d’une probabilité et non d’un fait inéluctable.

Selon ce principe, la science ne peut exclure l’éventualité qu’une pierre s’envole. Cet événement contredit l’usage courant, mais non les conclusions scientifiques.

Il en est ainsi pour toutes les lois naturelles, sans aucune exception et, combien plus est-ce le cas pour celles de l’évolution, dont les scientifiques eux-mêmes développent plusieurs conceptions, se contredisant et s’excluant les unes les autres.

B) En plus de tout cela, s’il existait actuellement une loi véritable, qui ne serait pas une simple approximation mais établirait bien une évolution connue, on ne pourrait rien en déduire pour les lois en vigueur depuis plusieurs millénaires avant notre époque et pour la manière dont elles ont évolué(8).

Si l’on s’intéresse à l’évolution, telle qu’elle se manifestait il y a longtemps, on doit faire des suppositions diverses et nombreuses, que l’on ne peut pas vérifier empiriquement. Tous les chercheurs reconnaissent eux-mêmes que les conditions de la nature et de la vie étaient alors radicalement différentes de ce qu’elles sont maintenant. C’est en particulier vrai pour la température, pour la pression atmosphérique, pour la présence d’éléments radioactifs, beaucoup plus importante qu’à l’heure actuelle, pour les relations entre les animaux et les végétaux.

Il est surprenant de constater que les chercheurs utilisent des paramètres relatifs à l’évolution constatée actuellement pour bâtir des hypothèses sur le passé le plus lointain, comme si rien n’avait été modifié. Il font des suppositions et en tirent des conclusions, qu’aucun d’entre eux n’a jamais tenté de vérifier en fonction des conditions qui prévalaient alors. Or, ces conclusions sont acceptées, nul ne les remet en cause et on les érige en lois.

Jusqu’à une période récente, on pouvait croire que ces lois possédaient un soupçon de vérité. Mais, notre époque est celle de la crise, y compris dans le domaine scientifique et ce soupçon de vérité a donc disparu. Ainsi, on s’est aperçu que la quantité la plus infime d’un catalyseur ou d’un élément radioactif peut modifier un événement et son rythme, parfois même de la manière la plus surprenante.

Cette constatation écarte toute éventualité de preuve scientifique, de conclusions émises à propos de l’évolution des végétaux et des animaux, dans l’environnement et les conditions qui prévalaient alors, alors que les éléments radioactifs étaient beaucoup plus nombreux qu’actuellement.

Et, ce n’est là qu’une partie des données dont on a la certitude qu’elles ont été modifiées. En effet, il y en a d’autres, fondamentales et nombreuses, comme, par exemple, la composition de l’atmosphère et sa densité(9). Ceci a une influence directe sur les rayons du soleil et sur ceux de la lumière, sur les rayons cosmiques(10) de toute sorte, sur la façon dont ils pénètrent sur la terre et y agissent.

C) Par ailleurs, toutes les théories sur l’évolution et donc toutes les questions que l’on peut poser, à ce sujet, sont basées sur l’idée qu’il y avait, à l’origine, une matière fondamentale, sans forme définie. Puis, à un certain moment, à une certaine époque, et pour des raisons qui nous sont totalement inconnues, l’évolution commença. Dès lors, cette matière devint composée, de plus en plus complexe. Elle fit ainsi apparaître le règne végétal, puis animal.

Quelle est l’origine de cette forme première de la matière ? La réponse que l’on apporte à cette question est la suivante. Il n’appartient pas aux chercheurs scientifiques d’y répondre. Si un chercheur est croyant, il dira qu’elle fut créée, à partir du néant, par le Créateur. Il en est de même également pour une autre question fondamentale. Comment expliquer que ces causes se soient manifestées précisément à ce moment, ni avant et ni après ?

Bien évidemment, il est difficile de justifier l’intérêt et le caractère scientifique de la théorie selon laquelle D.ieu aurait créé des milliards d’atomes et les auraient soumis à des lois. Par la suite, ces atomes auraient subi des mutations, en fonction de ces lois. Car, quelle différence y a-t-il entre ceci et le récit, selon son sens simple, tel qu’il est présenté par le livre de Béréchit, affirmant que D.ieu créa, le premier jour, le ciel et la terre, le second jour… et, ainsi de suite, jusqu’au sixième jour, quand Il créa l’homme, doué de discernement, capable de parler, de se développer jusqu’à un stade très élaboré ?

Bien au contraire, selon l’optique de la science, à l’heure actuelle, la création de l’être le plus simple, n’ayant même qu’une seule cellule, à partir du néant, est beaucoup plus inconcevable que l’évolution, en un temps relativement court, d’un être évolutif à partir d’un être primaire.

La prétendue contradiction la plus importante qui existe entre la science et la foi est la création à partir du néant. La science est une interprétation d’un phénomène que l’on a pu constater au moins une fois. Or, il est impossible, selon cette définition, de faire la preuve de la création à partir du néant. Bien plus, d’après les dernières “ conclusions ” scientifiques, la destruction de l’existant, pour qu’il redevienne néant et son contraire, la création à partir du néant sont, l’une et l’autre, impossibles de manière naturelle.

Celui qui a foi en la création à partir du néant, malgré cette “ conclusion ”, croira aisément que D.ieu ait pu créé un homme doué de discernement. Il en est de même pour les animaux. De fait, nos Sages constatent que le monde fut créé à l’âge adulte. Aucune explication logique ne peut justifier que le Créateur soit limité à la création à partir du néant. Celui Qui peut créer à partir du néant peut, a fortiori, créer un homme à partir de la poussière de la terre.

Ce qui vient d’être dit écarte toutes les approximations avancées quant à la période nécessaire pour l’évolution. Aucune explication scientifique, aucune preuve ne peut être donnée établissant que le monde n’ait pas été créé à l’âge adulte, même si l’on considère que certains végétaux et minéraux se sont développés par la suite, à partir de ceux qui les précédaient.

D) J’ai entendu certaines personnes poser la question suivante. Pourquoi D.ieu devait-Il créer spécifiquement des minéraux, des végétaux, des animaux, des humains ? Pourquoi ne créa-t-Il pas le minéral le plus premier, qui aurait ensuite subi des mutations en fonction des lois de l’évolution ? Pourquoi devait-Il s’imposer six jours consécutifs de création, si l’on peut s’exprimer ainsi ?

Il est clair que ces questions n’ont aucun caractère scientifique. Bien plus, elles sont contradictoires. En effet, aucune loi énoncée par la science ne peut justifier la création à partir du néant et les phénomènes naturels, tels qu’ils nous apparaissent.

Il n’y a donc pas lieu de se demander pourquoi s’est passé tel événement, qui échappe à l’entendement, alors qu’un autre événement aurait pu le remplacer. En effet, ce dernier n’est pas plus logique que le premier. Bien plus, comme nous venons de le voir, le second événement, en l’occurrence la création à partir du néant, est bien moins “ acceptable ”, scientifiquement, que la formation de l’homme, tel qu’il est actuellement, à partir du minéral, sans mutations intermédiaires.

E) A ce propos, certains proposent maintenant une interprétation littérale de l’affirmation de nos Sages selon laquelle “ Il créait des mondes et les détruisait ” ou bien des passages du Zohar et de la Kabbala faisant référence à Adam Kadmon, l’Homme Antérieur. Selon eux, il existait auparavant un homme physique et des mondes matériels, qui furent ensuite détruits. C’est après cela qu’apparut notre monde, qui a 5716 ans.

Différents livres mentionnent cette explication, y compris parmi ceux des premiers érudits de la Kabbala. Plusieurs références traitant de tout cela sont cités dans le Torah Chelema, Béréchit 1, 5, à partir du paragraphe 422.

S’agissant de la Kabbala comme de toute autre partie de la Torah, les controverses sont concevables uniquement avant qu’une position définitive ait été arrêtée, en fonction des principes de la Torah. En revanche, lorsque celle-ci a déjà été arrêtée, elle reste, concrètement, la seule à être exacte.

Il en est de même pour ce qui fait l’objet de notre propos. Avant l’époque du Ari Zal, il y avait effectivement une controverse, en la matière, comme l’indiquent les références citées par le Torah Chelema. Puis, le Ari Zal formula son avis et il est, en la matière, le Décisionnaire en dernière instance, accepté par tous les Juifs, Ashkenazim, l’Admour Hazaken, le Gaon de Vilna et Sefardim.

Or, comme le Ari Zal l’affirma clairement, on ne peut considérer qu’il existait, au préalable, un monde matériel comme le nôtre. Il en fut ainsi uniquement dans la présente Chemitta, comme l’explique le Torah Or, de l’Admour Hazaken, à la page 51d et le Torat ‘Haïm, à la même référence. Il n’y avait donc pas là une existence effective, une création concrète autrement que de la manière dont lui-même l’interprète.

Notes

(1) Le Rav Its’hak Aïzik Herzog, de Jérusalem. Voir, à son sujet, la lettre n°4306.
(2) D’Israël.
(3) Il s’agit de la lettre n°4306.
(4) Instances dans lesquelles siègent des rabbins orthodoxes et d’autres, réformés.
(5) A l’occasion de la fête de Chavouot.
(6) Voir la lettre n°3319.
(7) Voir, à ce sujet, la lettre n°4409.
(8) Toutes les lois établies à l’heure actuelle ne peuvent pas avoir valeur rétroactive.
(9) En anglais dans le texte, “ density ”.
(10) En anglais dans le texte, “ cosmic rays ”.