Lettre n° 440

Par la grâce de D.ieu,
8 Chevat 5709,

Au distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
le Rav N. Nemanov(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais suite à ma lettre du 9 Tévet:

A) Vous trouverez ci-joint le fascicule qui vient de paraître et vous voudrez bien le mettre à la disposition du plus grand nombre.

B) Je vous joins également mon commentaire, à mon humble avis, sur la différence entre le fait de supporter la faute et de la cacher(2).

Vous transmettrez mon salut à toute la communauté,

M. Schneerson,

Je fais réponse à la question que vous avez posée sur le quatrième paragraphe du discours ‘hassidique intitulé "Quiconque prend en pitié", qui est imprimé dans le fascicule édité à l’occasion du 19 Kislev 5709. Ce texte dit que, grâce à l’attribut de bonté, le bienfait l’emporte sur la rigueur. De ce fait, D.ieu met la faute de côté, sans pour autant l’effacer.

Votre question, si j’essaye de la préciser, est la suivante. Le traité Roch Hachana 17a se demande si la grande bonté de D.ieu consiste à supporter la faute ou bien à la cacher. Nos Sages expliquent la différence entre ces deux notions en commentant le verset "des moutons d’un an"(3). En effet, "Beth Chamaï enseigne: Ils permettent de cacher leurs fautes(4). Beth Hillel dit: Ce qui est caché peut refaire surface. En fait, ils purifient leurs fautes(5), comme il est dit: si vos fautes sont écarlates, elles seront blanchies".

On peut en conclure que l’avis de Rava, exprimé dans le traité Roch Hachana, selon lequel la faute n’est pas effacée, s’accorde avec la première opinion exprimée ici. Selon la seconde, en revanche, elle est complètement effacée, comme l’explique le discours ‘hassidique intitulé "Sonnez du Choffar", de 5670(6).

Ce qui vient d’être dit permet de s’interroger:
1. D’après l’avis qui dit que D.ieu supporte la faute, quelle différence y a-t-il entre cette grande bonté et la vérité?
2. Comment accorder le discours ‘hassidique sur lequel vous m’interrogez avec celui de 5670? De même, comment comprendre le Likouteï Torah, qui dit que les deux avis sont vrais? En effet, D.ieu, selon ce texte, cache la faute proprement dite et supporte l’envie de la commettre, afin qu’elle devienne partie intégrante de la sainteté.

Il semble donc que chacun de ces discours ‘hassidiques adopte une position différente. Le texte sur lequel vous m’interrogez dit que, même avec la grande bonté de D.ieu, la faute n’est pas du tout effacée. Le Likouteï Torah confirme que c’est bien le cas, mais il ajoute que l’envie de mal agir est transformée, pour inciter à faire le bien. Enfin, le discours de 5670 précise que les fautes commises intentionnellement sont transformées en bienfaits.

Voici ma réponse: Il faut, en la matière, distinguer l’avis de la partie législative de la Torah, de celui de la ‘Hassidout. Je préciserai, à mon humble avis, le premier, puis le second.

Le traité Roch Hachana se demande si la grande bonté de D.ieu supporte la faute ou la cache. Le Talmud envisage plusieurs manières de la cacher, comme l’expliquent longuement le Rif, le Roch et les autres commentateurs. Seul Rabbi Yehouda, au traité Ara’hin 5b, considère que D.ieu supporte la faute. A l’opposé, la Yechiva de Rabbi Ichmaël, Rava et Rabba, lequel vécut ultérieurement, enseignent, à la même référence, que D.ieu cache la faute, sans l’effacer. Les principes d’interprétation de la Guemara permettent donc d’adopter ce dernier avis(7).

Certes, une opinion considère que ces principes s’appliquent seulement dans les domaines où ils sont d’usage courant. Pour autant, ce la ne veut pas dire qu’il ne faille pas les appliquer chaque fois que cela est possible. De plus, cette remarque, à mon humble avis, s’applique uniquement à une règle comme celle qui dit que "s’il y a une controverse entre tel et tel autre Sage, voici la conception qui doit être retenue". En effet, on savait que son avis était plus autorisé.

Ainsi, s’il faut, certes, envisager les domaines qui étaient, pour eux, d’usage courant, il n’en reste pas moins qu’un principe énonçant une évidence intellectuelle, comme celui-ci, doit s’appliquer également à un problème qui ne se posait pas à leur époque. Vous consulterez, à ce propos, le Kovets Loubavitch, tome 10, page 82, à la note 15(8).

Une preuve éclatante du fait qu’en l’occurrence, la faute est cachée peut être découvert dans la position du Rif, qui ne cite même pas l’avis selon lequel D.ieu la supporte, alors qu’il détaille celui-ci.

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On peut s’interroger sur ce qui vient d’être dit, à partir de la discussion entre Beth Chamaï et Beth Hillel, précédemment citée. Car, on sait qu’en pareille situation, la Hala’ha est tranchée selon l’avis de ce dernier. Bien plus, ce n’est pas le cas uniquement dans les domaines où il est d’usage courant de le faire, mais systématiquement, comme l’établit le traité Erouvin 13b.

Or, si le sacrifice perpétuel, dont il est ici question, efface les fautes et combien plus doivent donc le faire les treize Attributs de Miséricorde divine. Or, la discussion du traité Roch Hachana prend en compte uniquement l’avis de Beth Hillel. N’y a-t-il donc pas là une objection à la conclusion à laquelle nous venons d’aboutir?

La réponse à cette question est bien évidente. Il est ici question du sacrifice perpétuel, qui rachète seulement la négligence des Injonctions, comme le dit le chapitre 11 d’Igueret Hatechouva. En pareil cas, la faute est totalement effacée. Le traité Roch Hachana, par contre, parle des treize Attributs de Miséricorde divine et envisage la transgression des Interdits, qu’il est plus difficile de racheter que la négligence des Injonctions.

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Celui qui dit que D.ieu supporte la faute considère qu’elle est entièrement pardonnée. Pour autant, il reconnaîtra que la bonté ne peut être identifiée à la vérité, qui n’a pas de frontière, est un "héritage sans limite", comme l’explique le discours ‘hassidique sur lequel vous m’interrogez.

A l’opposé, la grande bonté de D.ieu s’applique à celui qui a moitié de mérites et moitié de fautes. D.ieu écarte alors seulement les premières fautes, selon les différentes conceptions qui ont été développées, à ce propos.

Car, la discussion pour établir si D.ieu supporte la faute ou la cache concerne uniquement la faute elle-même et tend à établir si elle a été effacée ou non.

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Je donnerai maintenant, brièvement et à mon humble avis, l’explication de la ‘Hassidout. De façon générale, trois situations sont envisageables. On peut se retirer devant le mal, transformer le mal qui peut recevoir l’élévation pour lui permettre de réintégrer la sainteté ou bien transformer le mal qui n’a, a priori, aucune élévation possible.

Se retirer devant le mal impose un combat, dans lequel une relation doit être établie entre deux éléments antagonistes. A l’issue de ce combat, l’un des deux sera la vainqueur. Ceci s’applique aux attributs du sentiments, parmi lesquels on distingue un côté gauche et un côté droit. D.ieu, se révélant par ces Attributs, est qualifié de "Homme de guerre". La victoire appartient tantôt à un côté, tantôt à l’autre.

La transformation, en revanche, modifie la nature de l’opposant, ce qui est possible seulement lorsqu’aucune commune mesure n’existe entre les deux éléments antagonistes ou, en d’autres termes, lorsque la nature de l’opposant est radicalement différente de celle du vainqueur. Il en est ainsi pour ce qui transcende la limite.

A ce stade, on peut définir une transformation de la force du mal qui peut recevoir l’élévation. Il s’agit alors d’un processus qui ne requiert pas une modification du processus de la création, dès lors qu’une telle élévation est possible sans transcender la source des créatures.

La transformation des forces du mal totalement impures, par contre, doit passer par une mutation de l’enchaînement des mondes et donc transcender la source des créatures, comme l’explique le Likouteï Torah.

Les treize Attributs de Miséricorde divine interviennent dans les différentes sphères de l’émotion, dans la partie extérieure de la source de la création ou dans sa phase cachée. Ils peuvent se révéler à chacun de ces trois stades et c’est pour cette raison que trois situations sont définies. On peut repousser le mal et la faute reste alors cachée, sans pour autant disparaître. On peut introduire la transformation, de sorte que D.ieu supporte la faute qui provient de la force du mal pouvant connaître l’élévation. On peut enfin obtenir la transformation totale, y compris celle des forces totalement impures.

La grande bonté de D.ieu prend donc sa source au stade qui transcende l’enchaînement des mondes et se révèle ici-bas, par les attributs du sentiment, car D.ieu désire faire le bien. Parfois, cette bonté est identifiée à sa source, comme l’explique le Likouteï Torah. C’est la raison pour laquelle il y a, à ce sujet, une discussion. D.ieu cache-t-Il la faute, la supporte-t-Il, ou bien, selon la position intermédiaire adoptée par le Likouteï Torah, supporte-t-Il uniquement le désir de mal agir?

La vérité, à l’opposé, ne peut que se révèler telle qu’elle est réellement, comme le dit le Likouteï Torah. Elle transcende donc l’enchaînement des mondes et implique la transformation la plus totale.

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Ce qui vient d’être dit trouve une application dans le service de D.ieu. La séquence de discours ‘hassidiques de 5672(10) explique qu’il est trois moyens d’adoucir l’attribut de rigueur. Tout d’abord, le fait de repousser le mal permet d’obtenir ce résultat en multipliant les bienfaits. De plus, l’âme divine peut également vaincre l’âme animale au prix d’une lutte. Cette façon de procéder a l’avantage d’introduire l’effort de l’homme, car l’âme animale se met elle-même en éveil et recherche l’élévation. Enfin, il y a la transformation, par exemple celle qui se passa à Mara. Là, d’après le Zohar, fut projetée dans l’eau amère une branche de l’arbre de la vie, qui est l’essence de la bonté et du bien. Dès lors, les eaux furent adoucies. De même, une intense lumière issue de l’âme divine affine l’âme animale. Néanmoins, ce dernier processus est à l’initiative de D.ieu et peut donc n’être qu’éphémère.

La transformation est donc bien comparable à celle que connurent les eaux de Mara, dans lesquelles furent précipitées des branches amères, ou encore à celle des eaux de Jericho, qu’Elisha adoucit en y jetant du sel, évoquant la rigueur.

Ainsi, l’âme animale peut éprouver de l’aversion pour sa propre situation, par ses forces propres plutôt que sous l’impulsion de l’âme divine, car, dans ce dernier cas, son rejet du mal ne pourrait être aussi intense que dans la première situation, comme l’établissent différents textes.

Cette image évoque la prière de Neïla, comme peut la prononcer le Juif le plus simple ou bien le retour de ceux qui sont perdus dans le pays d’Achour, lorsque retentira le grand Choffar. En effet, la ferveur que suscitent le grand Choffar ou la Neïla émane également de l’attribut de rigueur et constitue donc une force profondément cachée.

C’est, de façon générale, le rôle de celui qui accède à la Techouva et transforme, de cette façon, les fautes qu’il a commises intentionnellement en bienfaits. C’est aussi ce qui distingue le sacrifice des encens de tous les autres sacrifices(11). Or, Rabbi Yehouda permet même d’en consommer les ingrédients, comme l’explique le Torah Or.

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Voici donc ce qu’il faut savoir. Le Likouteï Torah semble établir que D.ieu ne peut supporter la faute proprement dite, mais uniquement la force du désir. Néanmoins, il est établi, par différents textes, que les fautes commises intentionnellement peuvent se transformer en bienfaits. Il en résulte que l’on doit bien distinguer trois éléments, l’action de la faute, la parcelle de sainteté qui se trouvait en elle et la force du désir.

Le Likouteï Torah ne parle que de l’action proprement dite, mais non de cette parcelle de sainteté qui, si elle appartient à la force du mal pouvant connaître l’élévation, peut être libérée comme c’est le cas de la myrrhe(12) ou de celui qui accède à la Techouva et des épreuves qu’il subit(13). C’est ce qu’explique le Taameï Hamitsvot du Tséma’h Tsédek.

Et le Likouteï Torah dit: "Cela est difficile à comprendre, car les trois forces du mal n’ont, à l’heure actuelle, aucune possibilité de recevoir l’élévation et l’acquerront uniquement dans le monde futur". On peut s’interroger sur cette affirmation, mais ce n’est pas ici le lieu de ce développement.

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On peut également avancer une explication plaisante. Les principes d’interprétation du Talmud, appartenant à la partie révélée de la Torah, apportent l’élévation à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, comme l’explique le Rabbi(14), dans le Kountrass Ets ‘Haïm. Or, la Hala’ha tranche que D.ieu cache uniquement la faute et il n’y a donc pas de transformation.

Il en est de même pour le discours intitulé "Quiconque a pitié des créatures", dont le contenu s’applique tout au long de l’année et qui évoque donc les treize Attributs de Miséricorde divine tels qu’ils se révèlent pendant l’année. Puis, ceux qui se dévoilent en Elloul constituent l’invitation céleste, à l’origine de l’effort des hommes, l’initiative de D.ieu qui n’est donc pas encore la transformation.

Tel n’est pas le cas des explications de la ‘Hassidout figurant dans les discours liés aux dix jours de Techouva(15), comme celui du Likouteï Torah précédemment cité. Ces textes présentent les treize Attributs de Miséricorde divine tels qu’ils sont pendant ces dix jours de Techouva, lorsque "vous vous purifierez devant l’Eternel". Alors, les fautes commises intentionnellement se transforment en bienfaits.

Notes

(1) Le Rav Nissan Nemanov, de Brunoy. Voir les lettres n°321, 513, 517, 548, 557, 562, 575, 653, 717, 739.
(2) Cette explication est traduite après la signature du Rabbi.
(3) Qui constituaient le sacrifice perpétuel, destiné à racheter les fautes des Juifs.
(4) Kevassim, les moutons, est de la même étymologie que Kovech, Il cache .
(5) Kevassim, les moutons, est de la même étymologie que Me’habsin, ce qui lave, purifie.
(6) 1910, du Rabbi Rachab.
(7) Qui est majoritaire.
(8) Voir la lettre n°200.
(9) Qui sont antagonistes et s’affrontent.
(10) 1912, du Rabbi Rachab.
(11) Une substance le composant, la myrrhe, était liée au mal. Il était, en outre, fait de onze ingrédients, chiffre qui évoque lui-même les forces du mal.
(12) Du sacrifice des encens.
(13) Qui le purifient des fautes qu’il a commises auparavant.
(14) Rachab.
(15) Période de l’effort des hommes.