Lettre n° 439

Par la grâce de D.ieu,
22 Tévet 5709,

Au distingué ’Hassid qui craint D.ieu,
le Rav I.(1),

Je vous salue et vous bénis,

J’ai l’intention, sans en faire le voeu, de répondre aux questions que vous m’avez posées dans votre lettre. Je le ferai lorsque je disposerai d’un peu plus de temps ou, tout au moins, lorsque je traiterai de ces questions, dans le cadre de mon travail d’édition des écrits ‘hassidiques. De la sorte, je ne répondrai pas à vos interrogations alors que mes efforts de recherche portent sur un autre domaine. Je suis convaincu que vous ne m’en voudrez pas.

Je voudrais, cependant, faire la preuve de ma bonne volonté en répondant à la question que vous posez dans votre dernière lettre. Je la détaillerai et la formulerai d’une manière un peu différente, par rapport à votre lettre, afin de suivre l’ordre établi et d’aller du plus général vers le plus spécifique.

A) Peut-on dire que la connaissance de D.ieu a une portée générale? Ainsi, comme le dit le Rambam, lorsque D.ieu fixa que les Egyptiens devaient réduire les enfants d’Israël en esclavage et les faire souffrir, Il ne décida pas quels Egyptiens seraient chargés d’exécuter la sentence, mais confia cette mission à tout le peuple d’Egypte, en général, de sorte que chaque Egyptien aurait pu refuser de l’assumer. Et l’on sait l’objection que soulève le Rabad, à ce propos(2).

Réponse: Il est impossible d’avancer pareille hypothèse, qui contredit des versets et des paroles de nos Sages. Ainsi, le Midrach Vaykra Rabba 26, 7, dit: "Le Saint béni soit-Il montra à Moché chaque génération, avec ses voleurs, ses prophètes. Il lui fit voir Chaoul et les Cohanim qu’il assassina. Tout cela est exprimé dans la bénédiction constatant que "Tu Te souviens des actions du monde". Celle-ci constate, en effet, que: Tu sais tout et connais tout, Tu observes jusqu’à la fin des générations".

B) Peut-on dire que l’observation de D.ieu porte sur tout à l’exception de ce qui est lié à la crainte de D.ieu, laquelle n’est pas dans les mains de D.ieu?

Réponse: D’après ce qui a été dit au paragraphe A, il est clair que D.ieu possède une connaissance détaillée, y compris pour ce qui concerne la Torah et les Mitsvot.

C) Peut-on considérer que le libre arbitre de l’homme n’est qu’une illusion et qu’en réalité, il est induit, dans ses actions(3)?

Réponse: Que D.ieu nous garde d’une telle affirmation. Le libre arbitre est, selon les termes du Rambam, "un grand principe, un fondement de la Torah et des Mitsvot, qui, sans lui, n’auraient pas de sens. Car, comment punir l’impie et récompenser le Juste? Sur quelle base le Maître du monde rendrait-Il la justice?".

Plus profondément, la ‘Hassidout explique que, par l’effet du libre arbitre, agir ou ne pas le faire apparaissent comme deux situations équivalentes. Ainsi, un homme affamé se trouve devant une fournaise, d’une part, une table couverte de bons plats, d’autre part. Il peut donc calmer sa faim ou bien se jeter dans le feu. Il n’y a pas là un véritable choix, justifiant une récompense ou une punition.

Autre exemple, un animal peut se jeter dans le fleuve et se noyer ou bien paître dans un champ agréable. Là encore, il n’y a pas de choix, de récompense ou de punition, car l’animal ne fera que se conformer à sa nature. Il en est de même pour toute la création, laquelle ne peut nullement modifier la mission qui lui est confiée, comme l’expliquent les chapitres 24 et 39 du Tanya.

Il est cependant une exception, c’est l’homme, qui a le pouvoir d’aller à l’encontre de la Volonté de son Créateur, comme le dit le chapitre 29 du Tanya. Plus profondément, il en est ainsi parce que la source de l’homme est particulièrement élevée. Nulle autre créature ne peut donc se dresser contre lui, comme l’explique le Likouteï Torah.

De ce point de vue, on peut se demander si les non-Juifs possèdent réellement le libre arbitre. Un discours ‘hassidique de 5660(4) évoque ce sujet, mais ce n’est pas ici l’occasion d’en parler.

D) Il semble que la connaissance de D.ieu et le libre arbitre soient des notions contradictoires, comme le demande le Rambam, à cette référence, de même que dans d’autres textes.

Réponse: J’introduirai une notion préalable. Il y a des éléments contradictoires et il est alors nécessaire que l’un disparaisse devant l’autre ou bien qu’ils ne se présentent pas conjointement. En l’occurrence, la connaissance de D.ieu et le libre arbitre sont effectivement des notions contradictoires. L’un doit donc disparaître et, de fait, les actes de l’homme ne sont pas décidés par D.ieu, ou bien cette décision ne porte-t-elle pas sur ce qui est livré au libre arbitre de l’homme.

Ainsi, comme on l’a vu, la mission d’asservir les enfants d’Israël fut assignée à l’ensemble de la nation égyptienne, mais chaque Egyptien conserva son libre arbitre.

On peut imaginer également que deux éléments n’aient rien de commun, bien que l’on puisse déduire de l’un une preuve de l’inexactitude de l’autre. Il y a alors trois possibilités. Ou, comme on l’a dit, l’un disparaît, ou bien, comme on l’a vu, ils ne se présentent pas conjointement, ou encore ils apparaissent bien conjointement et c’est alors la preuve qui est fausse.

En l’occurrence, la connaissance de D.ieu ne contredit pas réellement le libre arbitre. Ainsi, je sais, avec certitude, que, si je jette demain une pierre en l’air, elle retombera finalement sur le sol. Mais, cette connaissance ne contredirait pas l’idée d’un homme prétendant que cette pierre a le choix de tomber au sol ou de rester en l’air. A l’opposé, ma connaissance ne fait pas la preuve que la pierre n’est pas douée du libre arbitre.

La remise en cause de la preuve pourrait, en l’occurrence, être la suivante. Je possède une connaissance certaine et je n’ai pas le moindre doute. Or, si la pierre a le libre arbitre, comment puis-je savoir à l’avance ce qu’elle va choisir? Il faut en conclure, sans pouvoir l’expliquer, que j’ai le moyen de déterminer ce que va être le choix de la pierre, ce qui veut bien dire qu’il n’y a plus de preuve.

Je citerai un second exemple. Reouven connaît l’avenir de Chimeon, qui se trouve à l’autre bout du monde, en tout cas à une distance telle qu’il ne peut subir son influence. Il a connaissance de ses actions et de ses choix, mais sa parole n’oriente pas la décision de Chimeon. En fait, Reouven sait de quelle manière Chimeon fera usage de son libre arbitre. Ainsi, la décision de Chimeon change la connaissance de Reouven, alors que cette dernière ne modifie nullement le comportement de Chimeon.

En pareil cas, le libre arbitre est la cause, tandis que la connaissance est l’effet, étant identique à ce qu’elle serait si l’action avait déjà été réalisée, alors qu’en pareil cas, il est bien clair qu’elles ne se contredisent pas. Le choix a alors été libre, n’ayant pas été conditionné par la connaissance, laquelle, bien au contraire, dépend de la conséquence de ce choix.

C’est ainsi que l’on peut, toute proportion étant gardée, définir la connaissance de D.ieu. Nos Sages disent, dans le Yerouchalmi Roch Hachana 1, 3 que "le Saint béni soit-Il anticipe l’action". Or, si le choix est réellement libre, comment peut-Il, à l’avance, savoir ce qui va se passer? Le Rambam répond à cette question en remarquant que la connaissance de D.ieu n’est pas la nôtre, que nous n’avons pas la faculté de savoir ce qu’Il connaît.

A propos de la connaissance et du libre arbitre, vous consulterez le Torah Or et le Torat ‘Haïm, à la fin de la Parchat Vayéra, le Likouteï Torah, à la Parchat Behar et à la Parchat Bamidbar, le Chaareï Techouva de l’Admour Haémtsahi. Vous verrez également le commentaire de la Michna, au traité Avot 3, 9, à propos de l’affirmation suivante: "Tout peut être anticipé, mais le libre choix est accordé". Le Or Saméa’h, commentant les lois de la Techouva, recense l’avis de nos Sages, sur cette question.

Vous trouverez ci-joint le fascicule édité à l’occasion du 24 Tévet, une lettre de mon beau-père(5), le Rabbi Chlita et une autre du Ma’hané Israël, dont le contenu s’adresse à chacun et que vous vous efforcerez donc de mettre à la disposition du plus grand nombre, de la manière qui convient le mieux. Je vous en remercie d’avance.

Vous voudrez bien me confirmer avoir reçu cette lettre.

Je salue tous vos proches,

Rav Mena’hem Schneerson,

Vous(6) consulterez le Torat Chalom, à la note de la page 276(7), le Pardes, Atsmout Vekélim, chapitre 9, l’introduction du Chneï Lou’hot Haberit Beth Habe’hira, la conclusion du Tikouneï Zohar ‘Hadach et le Torah ‘Haïm, de même que le développement sur le serviteur juif(8).

Note ultérieure: D’après ce qui vient d’être dit, on ne peut se demander pourquoi celui qui implore D.ieu, quarante jours après la conception d’un enfant(9), qu’il soit un garçon, formule une prière inutile, selon le traité Bera’hot 54a. En effet, D.ieu peut savoir à l’avance que l’homme formulera cette requête et accorder d’emblée que ce soit bien un garçon. Et il n’y a effectivement là aucune difficulté car la connaissance de D.ieu reste extérieure(10) à l’homme et n’agit pas sur lui.

Notes

(1) Le Rav Israël Meïr Altein. Voir les lettres n°331, 442.
(2) Si tous les Egyptiens avaient refusé, comment se serait accomplie la Volonté de D.ieu de réduire les enfants d’Israël en esclavage?
(3) Voir, sur ces sujets, la lettre n°442.
(4) 1900, du Rabbi Rachab.
(5) Sur la nécessité de répartir, dans chaque communauté, les différents traités du Talmud. Voir également les cinq lettres précédentes.
(6) Le Rabbi rajouta ces références, par la suite, sur le manuscrit de cette lettre. On les retrouve également dans la lettre n°442.
(7) A la page 29 de l’édition actuelle.
(8) Qui se trouve dans le Dére’h Mitsvoté’ha, du Tséma’h Tsédek.
(9) C’est alors qu’il est définitivement fixé s’il sera un garçon ou une fille. Une prière ultérieure à cette date n’a donc plus de sens.
(10) Voir, à ce propos, la lettre n°442.