Lettre n° 405

Par la grâce de D.ieu,
Elloul 5708,

A Bélinitski(1),

Je fais réponse aux questions que vous m’avez posées.

1ère question: Y a-t-il contradiction entre l’unité de D.ieu et l’existence des mondes? Peut-on établir une relation entre cette idée et le fait que le Temple avait un endroit précis alors que, parallèlement, il transcendait l’espace, puisque l’arche d’alliance n’y occupait aucune place.

Réponse: Deux notions préalables doivent être introduites:

A) L’arche d’alliance n’avait, certes, pas de dimensions, mais cela ne constitue nullement une explication. C’est uniquement une preuve, une illustration du fait que deux éléments extrêmes peuvent coexister.

B) Bien plus, l’absence de dimension de l’arche d’alliance, en l’occurrence, ne prouve rien, par rapport à votre question. En effet, on pourrait penser qu’existent l’espace, ce qui le dépasse, puis l’un et l’autre, de manière conjointe. En fait, on peut uniquement en tirer un raffermissement de sa foi, la preuve que, pour D.ieu, rien n’est impossible, comme nous le montrerons.

En revanche, prétendre que les mondes existent, malgré l’unité de D.ieu contrevient effectivement à la foi, si l’on ne précise pas que l’existence du monde n’est pas distincte de celle de D.ieu, ce qu’à D.ieu ne plaise ou si l’on affirme pas qu’il en est ainsi, même si l’on ne peut l’expliquer.

Après avoir précisé que les mondes émanent uniquement d’un reflet de la Lumière divine, résultat du Tsimtsoum(2), lequel n’a lui-même aucune existence propre, on peut comprendre qu’il n’y a nullement là deux éléments opposés. Il n’est donc plus nécessaire de dire que l’on a conjointement l’espace et ce qui le transcende.

Le fait que l’arche d’alliance n’occupait pas de place est cité, comme une preuve, par différents textes de la ‘Hassidout. De même, il est dit que D.ieu montra toutes les générations à Adam, le premier homme et ceci établit également que le temps et ce qui le dépasse peuvent se rejoindre.

Pour revenir à votre question, on peut distinguer trois conceptions du Divin, la perception inférieure, la perception supérieure et ce qui transcende l’une et l’autre:

A) Si l’on mesure l’arche d’alliance, on lui trouvera une longueur de deux coudées et demie, avec précision. Ceci correspond à la vérité de la Torah, qui a demandé de la façonner à ces dimensions. On peut le vérifier par ses sens. Pour autant, tout en la mesurant, on aura conscience, sans toutefois pouvoir le vérifier que, si celle-ci était placée dans le Saint des Saints, ce dernier mesurerait bien dix coudées(3).

Cette image démontre qu’une existence est réelle, sans pour autant qu’il faille la prendre en compte. C’est la perception inférieure. Il est plusieurs manières d’en faire la preuve et il n’est donc nul besoin d’avoir recours à l’image de l’arche d’alliance, qui n’a aucune dimension.

B) Si l’on mesure le Saint des Saints, on trouvera, de chaque côté, dix coudées. Et l’on sait que, si l’on mesure, par la suite, l’arche d’alliance, celle-ci aura elle-même deux coudées et demie. Dès lors, on voit ce qui transcende l’espace tout en sachant que l’on se trouve dans l’espace.

On peut en conclure que l’espace n’existe pas réellement. C’est la perception supérieure, brièvement exposée par le second chapitre du Kountrass Ets ‘Haïm(4).

C) Si l’on prend en compte conjointement les deux dimensions, celle de l’arche sainte et celle du Saint des Saints, qui a dix coudées de côté, on prendra la mesure de ces deux valeurs avec autant de force pour l’une que pour l’autre.

Il n’en fut pas ainsi lorsque D.ieu montra toutes les générations à Adam, car celui-ci n’en reçut qu’une image, une représentation, qu’une vision spirituelle. Il est clair que cette vision ne fut nullement comparable pour lui à ce qu’il voyait de ses yeux.

Il y a là une preuve évidente que rien n’est impossible pour D.ieu, que l’on peut, en même temps, Le saisir et ne pas Le saisir, car aucune règle ne peut être édictée, en la matière, comme l’explique le sixième chapitre de l’introduction du Imreï Bina(5).

Ceci se passa précisément pour l’arche d’alliance et ne peut donc être comparé aux différentes générations que D.ieu montra à Adam.

Voila comment il faut interpréter le fait que l’arche n’avait aucune dimension.

Il est inutile de préciser que la différence entre ces trois conceptions ne dépend pas de ce que l’on souhaite mesurer en premier lieu. En fait, il s’agit d’affirmer que tout dépend de la disposition d’esprit et du niveau de celui qui effectue la mesure, de son hypothèse de départ, de la nature de ses évidences et de ce qui peut encore le surprendre.

Dans certains textes de la ‘Hassidout, deux de ces conceptions sont exposées conjointement, sans que la différence entre elles ne soit précisée. C’est, par exemple, le cas des discours de Chabbat ‘Hol Hamoéd Soukkot et de Sim’hat Torah 5677(6). En effet, ces textes ne font pas une analyse détaillée et ne donnent qu’une présentation générale de ce sujet. Ceci permet de comprendre une affirmation, en apparence contradictoire, que l’on trouve, par ailleurs, sur la juxtaposition de la limite et de l’infini.

2ème question: Le Baal Chem Tov souligne que la divine Providence régit également une feuille morte ou un fétu de paille(7). En est-il ainsi seulement pour le règne végétal et non pour le minéral? Est-ce parce que plusieurs âmes sont emprisonnées dans le végétal, mais non dans le minéral?

Réponse: J’introduirai quelques notions préalables:

A) La réincarnation n’introduit aucune différence entre le végétal et le minéral. Des âmes s’introduisent également dans ce dernier, ce qu’à D.ieu ne plaise, comme l’expliquent longuement le Chaar Haguilgoulim et le Chaar Hamitsvot(8).

D’autre part, l’intervention de la divine Providence dans le végétal ne peut être liée à la présence, dans celui-ci, de ces âmes. Il est bien clair que l’on n’introduit pas une âme dans chaque végétal.

B) Si l’on souhaite établir un lien entre l’action de la divine Providence dans le minéral, le végétal et l’animal, d’une part, la présence, effective ou potentielle, d’âmes dans ces éléments, c'est-à-dire leur relation avec le genre humain, d’autre part, la conception du Baal Chem Tov n’a plus rien de novateur. Les Sages des générations précédentes reconnaissaient, en effet, que la divine Providence pouvait régir un minéral, un végétal ou un animal, dès lors qu’il en découlait une incidence pour l’homme. C’est ce qu’explique, en particulier, le Chomer Emounim.

En fait, le Baal Chem Tov nous a révélé que chaque aspect particulier des minéraux, végétaux et animaux est bien régi par la divine Providence. L’Admour Hazaken cite, à ce propos, une preuve décisive, celle du héron chargé d’exécuter la sentence divine auprès du poisson, au fond de la mer. Au sens le plus littéral, nos Sages disent que le héron et le poisson sont bien jugés, l’un et l’autre.

Ce qui vient d’être dit est une partie d’un concept plus large, qui figure dans l’enseignement du Baal Chem Tov, selon lequel la Parole de D.ieu(9) se trouve en permanence dans le minéral, le végétal, l’animal ou l’humain qu’elle vivifie. A chaque instant, cette Parole crée de nouveau l’objet, comme elle le fit pendant les six jours de la création. Rien n’est donc livré au hasard.

Aucun croyant ne prétendrait que le hasard est intervenu dans la création, même pour un seul détail concernant un minéral, un végétal ou un animal. Or, il en est de même à chaque instant où cette création se perpétue. En effet, le Baal Chem Tov enseigne que la création s’effectue de nouveau, à tout moment, à partir du néant absolu.

Plus profondément, la création et tous les événements constituant ses six millénaires figuraient dans la Pensée première de la création. A ce stade, ils sont tous réduits à un seul point. Ainsi, une modification d’un événement vécu à l’heure actuelle devrait avoir pour conséquence un changement de ce point et de cette pensée, si l’on peut ainsi s’exprimer.

Or, cette Pensée et cette Volonté sont le désir de D.ieu, qui doit s’accomplir de la manière la plus précise. Chaque situation, même la plus insignifiante, ne concernant que le minéral, occupe donc bien sa place dans le plan de D.ieu. Un discours ‘hassidique de 5696(10) explique tout cela.

Bien plus, les seules situations pour lesquelles il est parfois difficile d’établir si elles correspondent au désir de D.ieu, sont celles qui concerne les hommes et, en particulier, le plus parfait et le plus protégé d’entre eux, c'est-à-dire le Juif. Lui seul est doté du libre arbitre et peut donc modifier les termes de la mission qui lui est confiée, dans le plan de D.ieu.

Les autres créatures ne peuvent en faire de même. Elles doivent s’en tenir à la mission qui leur est dévolue, laquelle est strictement conforme au Dessein divin. Igueret Hakodech l’explique, au chapitre 25.

3ème question: L’image du plan(11), qui permet de comprendre les différents Attributs de l’émotion, illustre-t-elle également l’agencement des mondes, l’un par rapport à l’autre?

Réponse: Vous ne précisez pas ce que vous voulez déduire de cette comparaison. Chaque image décrit quelques aspects d’une idée. Souvent, ces aspects sont contradictoires, l’un correspondant à une qualité et l’autre, à un défaut. Vous auriez donc dû préciser à quel détail précis vous souhaitez appliquer l’image du plan, puis vérifier s’il s’applique aussi à l’agencement des mondes.

L’image du plan figure au début du Midrach Béréchit Rabba. Ce plan est, en l’occurrence, la Torah. Et le Midrach constate que "l’architecte construit seulement s’il dispose de plans et de cartes". Il figure aussi dans le Zohar. Le Maguid Méréchit l’applique aux Attributs du sentiment, qui correspondent bien à la Torah, par rapport à l’Essence de D.ieu. Pour autant, il ne précise pas le sens de cette image et ce qui la distingue des autres.

Le douzième chapitre de Chaar Hay’houd, par contre, mentionne l’image du plan avec trois autres allégories, pour décrire la trace laissée par le Tsimtsoum(2).

Le discours ‘hassidique de Chemini Atseret 5670(12) définit chacune de ces images. Il conclut que le plan présente l’intégralité des détails, ce qui est une qualité. Il évoque, en ce sens, celui qui délivre son enseignement de manière concise. Pour autant, le plan a une nature différente de ce qu’il décrit. Il n’est donc qu’une allusion, qu’une indication, ce qui constitue une limite.

Pour décrire la relation entre les mondes, on doit choisir le premier aspect du plan, mais non le second. En effet, le monde de Yetsira n’a pas une nature différente de celui de Brya. Et il en est donc de même pour le monde d’Atsilout, par rapport à celui de Brya, mais non pour la lumière qui éclaire chacun d’entre eux.

Un discours ‘hassidique de 5689(13) applique l’image du plan à la relation entre le monde caché et le monde révélé. Il précise, cependant, qu’ici-bas, un plan n’est qu’une représentation. Il n’en est pas de même, spirituellement. De même, le discours précédemment cité de Chemini Atséret indique que l’image du plan décrit plus spécifiquement le monde de Brya. Cela est vrai uniquement par rapport à la trace laissée par le Tsimtsoum(2), mais non par rapport au monde d’Atsilout.

Ce même discours dit que le plan, tout comme une image, est étranger à ce qu’il décrit. Mais, il ne précise pas la différence entre l’un et l’autre. On peut la définir de la manière suivante.

Le plan et l’image apportent, l’un et l’autre, une représentation fidèle. Néanmoins, une image véritable, par exemple celle qui est énoncée par la Torah est directement liée à ce qu’elle décrit. Ainsi, la royauté terrestre est une représentation fidèle de la royauté céleste, les dix forces de l’âme illustrent les dix Sefirot. En revanche, rien de commun n’existe entre le plan et ce qu’il décrit.

La relation entre un monde et l’autre est donc illustrée, de la manière la plus précise, par celle qui existe entre une idée et sa représentation, mais non par le plan.

4ème question: Pour montrer à quel point le Créateur transcende la créature, peut-on dire que le monde fut créé par deux lettres(14), alors qu’un ouvrage entier présentant la sagesse issue de ces deux lettres nous reste encore inaccessible?

Réponse: Là encore, vous n’avez pas suffisamment précisé votre question. De quelle manière la grandeur de D.ieu sera-t-elle illustrée par cette image?

Les mondes constituent, à proprement parler, ces lettres, qui sont à l’origine de leur existence. La perception du Divin découle de l’observation de la création et de l’enchaînement des mondes. Le Ets ‘Haïm dit que D.ieu créa le monde "pour que l’on y reconnaisse Sa grandeur".

Cette perception peut être comparée à l’idée exprimée par les lettres qui servirent à créer le monde. A ce stade, la compréhension est possible et donc nécessaire.

La grandeur intrinsèque de D.ieu, en revanche, est déjà décrite, de manière plus profonde, par le vingtième chapitre du Tanya, par référence à une seule parole, comparée à la force de s’exprimer ou même de comprendre.

Si la grandeur de D.ieu consiste à bâtir des mondes, le Tanya donne, à ce propos, une image de ce qui transcende la parole tout en restant lié à elle. C’est la "source de la source" des mondes, dans la Volonté de D.ieu. La ‘Hassidout, en particulier le Likouteï Torah, définit la grandeur de D.ieu qui est décrite par ses deux lettres.

De fait, il est trois manières de percevoir la grandeur de D.ieu:

A) Le Tanya décrit la soumission de la création et de la force qui la réalise par rapport à leur source première, comme on l’a dit. Il est nécessaire d’en avoir connaissance pour comprendre que l’unité de D.ieu n’est nullement remise en cause par cette création.

B) Le Likouteï Torah explique que la création des mondes n’a rien de commun avec les autres caractères de la Divinité, pas même les lettres, y compris dans leur stade le plus inférieur. Il est dit, en effet, que "la création des mondes n’est pas l’aspect le plus déterminant de la Divinité".

La même distance existe entre les mondes et la Torah qui est "plus longue que la terre". C’est là que trouve l’image que vous avez citée.

C) La grandeur de D.ieu est perçue également par rapport à l’essence de l’âme, non pas en tant que source de la parole ou encore de révélations plus hautes, qui ne peuvent s’exprimer par les mots, mais bien en prenant pour référence la quintessence de cette âme. Il en est de même là-haut.

Vous rattachez la majesté de D.ieu par rapport à la Torah à la seconde catégorie. Mais, il s’agit là uniquement de l’aspect superficiel de la Torah. Sa dimension profonde, en revanche, est liée à l’aspect profond de la Divinité et ne peut donc pas faire l’objet d’une représentation sous forme de lettres, comme le comprend celui qui est familiarisé avec l’étude des discours ‘hassidiques.

On retrouve, dans la catégorie la plus inférieure, les trois manières de se soumettre à D.ieu et de percevoir Sa grandeur. Ce sont la Lumière de D.ieu Qui pénètre les mondes, celle qui les entoure et le stade de perception dans lequel tout ce qui est lié à la création devient négligeable. Tout cela ne sera pas développé ici.

Notes

(1) Le Rav Israël Noa’h Bélinitski, de Brunoy.
(2) La contraction de la Lumière divine qui est à l’origine du processus créatif.
(3) De sorte que l’arche n’y occuperait aucune place.
(4) Du Rabbi Rachab.
(5) De l’Admour Haémtsahi.
(6) 1916, du Rabbi Rachab.
(7) Voir, à ce propos, la lettre n°94.
(8) Qui sont les écrits du Ari Zal.
(9) Prononcée pendant les six jours de la création.
(10) 1936, du précédent Rabbi.
(11) Qui sera précisé plus loin.
(12) 1910, du Rabbi Rachab.
(13) 1929, du précédent Rabbi.
(14) De Son Nom, qui compte quatre lettres.