Lettre n° 383

Par la grâce de D.ieu;
28 Tamouz 5708,

A mon parent, le bien cher docteur A. Hilman(1),

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre lettre du 7 Iyar, qui m’est parvenue par courrier ordinaire. J’ai été satisfait d’apprendre que vous allez bien, de même que tous les membres de votre famille.

Entre temps, vous avez sûrement reçu la lettre que je vous ai écrite avant Pessa’h, dans laquelle je vous informais que le périodique Sinaï m’est bien parvenu et vous en remerciais(2).

Je formulerai quelques remarques sur votre lettre, en reprenant les points dans l’ordre:

1. Vous constatez que le terme désignant la vision est, d’ordinaire, ‘Hazeï, dans le Babli et ‘Hameï, dans le Yerouchalmi. C’est, en effet, ce que dit le Er’heï Hamidrach, de Bacher et le Arou’h Hachalem, à la fin de la page 48c, qui donne, à ce propos, plusieurs exemples. Mais, à mon humble avis, la différence est beaucoup plus radicale, car ‘Hazeï est de la même étymologie que Ma’hazé, la vision. Le Likouteï Torah évoque ce point, également.

2. Vous notez que le terme Haggada signifie dire, comme dans le verset "et tu diras à ton fils". J’ai précisé, dans mon commentaire de la Haggada, que cette explication est donnée par le Abudarham.

En effet, si Haggada de Pessa’h est pris au sens de Midrach de Pessa’h, seule une partie du texte justifie une telle appellation, depuis "nous étions les esclaves du Pharaon en Egypte", jusqu’à "et nous dirons devant Lui Hallélouka". Ce n’est pas la signification qu’indiquent le Talmud et les premiers Sages.

3. Vous dites que les noms des étapes du Séder forment un acrostiche. Et, semble-t-il, vous trouvez, en cela, un appui pour retenir le mot Ro’htsa(3). Il me semble plus logique, en pareil cas, de retenir Ra’hats, qui permet d’introduire Baré’h et Nirtsa(4) dans l’acrostiche:

Kadech Oure’hats Maror Kore’h
Karpas Ya’hats Choul’han Ore’h
Maguid Ra’hats Tsafoun Baré’h
Motsi Matsa Hallel Nirtsa(5)

4. Vous remarquez que les versets relatifs aux enfants sage et naïf sont exprimés au singulier, alors que celui qui parle de l’impie est au pluriel.

On peut peut-être avancer la raison suivante. Il est possible de ranger, dans la catégorie de l’impie, des personnes aux idées très différentes, un sage, un naïf, quelqu’un qui ne sait pas poser de questions, tous ayant en commun leur caractère impie et posant donc la même question: "Quel est ce labeur que vous vous imposez?".

On peut vérifier concrètement que ceux qui formulent le plus fortement de telles interrogations sont, généralement, des personnes ne sachant pas poser de questions.

Néanmoins, ceci devrait avoir pour conséquence de citer l’impie en dernier lieu et l’on peut s’interroger, à ce propos.

Le Rav ‘Hadakov m’a suggéré la raison de cette différence. En effet, les impies, lorsqu’ils posent une question, troublent l’ordre établi et n’ont pas d’organisation, comme le souligne Rachi, dans son commentaire du verset Devarim 1, 22. Dès lors, chacun se démarque de l’autre, comme le dit Rachi, dans son commentaire du verset Béréchit 46, 27.

* * *

A la fin de votre lettre, vous vous interrogez sur l’explication du Levouch, selon lequel on ne dit pas, dans la prière des fêtes, Beahava Mikra Kodech, une convocation sacrée, avec amour. De fait, les lois de la fête furent transmises lorsque D.ieu "plaça la montagne au dessus de leur tête"(5). En effet, demandez vous:

A) Pourquoi disons-nous, dans la prière de la fête, "Tu nous as donné cette fête, Eternel notre D.ieu, avec amour"?

La différence me semble bien simple. Ici, l’expression "avec amour" se rapporte à ce qui est dit auparavant, "Tu nous as donné", Toi Eternel(6). A l’opposé, la convocation sacrée est célébrée, par les enfants d’Israël, avec leur propre amour.

B) Il est dit que D.ieu "plaça la montagne sur leur tête" et nos Sages en concluent, au traité Chabbat 88a, que la Torah fut donnée par la contrainte. Dès lors, comment les enfants d’Israël purent-ils dire "nous ferons et ensuite nous comprendrons"? En effet, le verset "Ils acceptèrent de plein gré Sa Royauté" fait allusion au passage de la Mer Rouge et non à l’acceptation de la Torah et des Mitsvot.

Voici le sens profond de cette explication. Il est envisageable qu’un homme n’accepte pas la Torah et les Mitsvot, tant qu’il n’a pas compris et ressenti qu’elles représentent la forme la plus parfaite du bien, que se soustraire à elles conduit à sombrer dans le mal. Plus l’on prend conscience de tout cela et plus il devient improbable de rejeter la Torah.

Or, lors du don de la Torah, cinquante jours seulement s’étaient écoulés depuis la sortie d’Egypte, abomination de la terre, aux comportements corrompus. Les enfants d’Israël n’étaient donc pas en mesure de modifier leur existence d’une extrême à l’autre, par rapport à la situation qu’ils quittaient et d’intégrer cette prise de conscience.

C’est pour cela que D.ieu "plaça la montagne sur leur tête" et suggéra cette prise de conscience en révélant la vérité, de sorte qu’il perçurent, par leurs sens, la perfection, y compris matérielle, de la Torah et des Mitsvot, sans lesquelles leur vie n’avait plus aucun sens, même dans sa dimension physique. Ils dirent donc, avec la plus grande sincérité, "nous ferons et nous comprendrons".

Néanmoins, ils ne parvinrent pas à cette prise de conscience par leur propre effort et par progrès successifs, mais bien grâce à un don, un éclair du ciel. Il n’en resta donc qu’une trace cachée, après le don de la Torah. Par la suite, ils accomplirent effectivement la Torah par contrainte, car cette pratique leur imposait un intense et âpre effort.

En d’autres termes, la révélation divine fit que, lors du don de la Torah, chaque Juif fut proche de la prophétie, ou même réellement prophète, comme l’expliquent le Zohar, le Guide des égarés, le Abravanel, le Avodat Hakodech, le Ikarim et d’autres textes encore. Ils eurent la vision de D.ieu et dirent donc "nous ferons et nous comprendrons" avec sincérité, de tout leur coeur.

Puis, la prophétie disparut et il fut impossible de leur demander qu’ils tiennent l’engagement pris lorsqu’ils étaient prophètes.

Vous consulterez aussi le Torah Or sur la Meguilat Esther.

Vous saluerez pour moi les membres de votre famille. En vous souhaitant tout le bien,

Rav Mena’hem Schneerson,
Directeur du comité exécutif(7),

Notes

(1) Docteur Acher Hilman. Voir la lettre n°244.
(2) Voir, à ce propos, les lettres n°317 et 350.
(3) Pour désigner le lavage des mains qui précède la consommation de la Matsa. Ce mot rime donc avec Motsi Matsa.
(4) La bénédiction après le repas et l’acceptation du Séder. Les différentes étapes du Séder qui, présentées de cette façon, riment: On fait le Kiddouch, on se lave les mains, on mange un légume, on casse la Matsa, on lit la Haggada, on se lave les mains, on mange de la Matsa, des herbes amères, puis l’une et l’autre ensemble, on mange l’Afikomen, on dit la bénédiction après le repas, on lit le Hallel et le Séder est accepté.
(5) Lors de la révélation du Sinaï. La Torah fut alors donnée par la contrainte et les enfants d’Israël ne la reçurent donc pas "avec amour".
(6) Il s’agit donc de l’amour de D.ieu pour Israël.
(7) Du Merkaz Leïnyaneï ‘Hinou’h.