Lettre n° 360

Par la grâce de D.ieu,
27 Nissan 5708,

Au distingué jeune homme, ‘Hassid qui craint D.ieu,
le Rav C.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à la question que vous m’avez posée. Le discours ‘hassidique intitulé «et D.ieu sentit l’odeur agréable», de 5708, dit: «La forme(2), arrondie, sphérique, carrée ou ayant des extrémités, n’est pas précisée dans les dix Paroles de la création». Or, soulignent nos Sages, rien ne fut créé, à l’origine, en ayant une forme carrée et un discours ‘hassidique de 5663(3) affirme, de fait: «rond, ayant des extrémités ou trois coins (4)».

Il nous faut d’abord vérifier si ce principe est accepté par tous, quelle que soit la situation:

A) Le Babli et le Yerouchalmi, au traité Chevouot, parlent du serment vain de celui qui jure avoir vu un «serpent de la taille d’une poutre de pressoir», mais ne précise pas que cette poutre était carrée. Le Yerouchalmi donne une explication, à ce propos. Pour le Babli, en revanche, on peut considérer que la règle selon laquelle rien ne fut d’emblée créé en ayant une forme carrée n’existe pas. Mais, l’on peut s’interroger sur cette conclusion car, selon différents commentateurs, c'est bien d’une poutre carrée qu’il s’agit, dans ce texte.

B) Rabban Chimeon Ben Gamliel énonce ce principe, dans le traité Maasérot, mais un autre Tana semble le contester. Là encore, cette interprétation est difficile à accepter, car elle mettrait en opposition le Babli et le Yerouchalmi.

C) Le Yerouchalmi conclut que les êtres ne furent pas créés avec une forme carrée. Certains aliments, en revanche, le furent.

D) Les êtres ne furent pas créés avec une forme carrée et des côtés lisses, c'est-à-dire formant un cube. Ils peuvent, en revanche, être carrés d’un côté et arrondis de l’autre ou encore posséder un côté qui ne soit pas totalement lisse.

E) Le Noda Bihouda explique que le principe selon lequel une femme ne peut concevoir lors de sa première relation n’est qu’une règle générale, à laquelle il peut y avoir des exceptions. Il peut donc en être de même pour ce qui fait l’objet de notre propos.

F) Un cube a une arête toujours identique, mais, au sens figuré, on peut appeler cube n’importe quel volume à six faces. Peut-être ce discours ‘hassidique fait-il allusion à cela et la question posée trouve ainsi sa réponse.

On peut encore formuler les remarques suivantes:

A) On sait qu’un cristal de sel est cubique et ses faces sont lisses.

B) Le Midrach Me’hilta, au début de la Parchat Bechala’h, dit: «Ils revinrent et campèrent devant Pi Ha’hirot(5). Les mottes de terre, à cet endroit, n’étaient pas incurvées, mais comme des monticules». Tout le développement qui suit semble difficile à comprendre. Pourquoi ne pas dire simplement qu’il y avait là des mottes de terre en forme de monticules?

On peut donc expliquer que le Midrach justifie, de cette manière, pourquoi les enfants d’Israël étaient alors encerclés. Il n’y avait pas de pentes, qu’ils auraient pu escalader, pour se sauver, s’ils étaient poursuivis par les Egyptiens. Il s’agissait, en fait, de monticules, qui n’étaient pas ouverts, mais pleins. Ceux-ci n’étaient pas arrondis, auquel cas il eut été possible de les traverser, en en cassant uniquement la partie la moins large. En fait, ces monticules étaient cubiques. C'est-à-dire qu’ils se touchaient et, pour les traverser, il fallait les casser tout du long.

Bien plus, ces monticules n’avaient pas été bâtis par des hommes, car, si c’était le cas, on aurait pu les détruire plus facilement. Ils avaient été créés ainsi. Or, on sait que rien de carré ne fut créé pendant les six premiers jours. Le Midrach conclut donc: «Il portait des orifices» et n’étaient donc pas lisses. On peut ainsi comprendre tout le développement de ce passage.

Il est précisé que ces monticules n’avaient pas été bâtis par les hommes, car:
1. cela signifie qu’ils n’étaient pas interdits, même s’ils étaient servis comme des idoles, car, selon le traité Avoda Zara 45a, «les montagnes ne peuvent être leurs dieux(6),
2. cela justifie que D.ieu ait demandé que les enfants d’Israël campent à cet endroit, bien que l’on ne puisse donner une indication en faisant usage du nom d’une idole. Certes, cette disposition émane de nos Sages, mais l’on sait qu’ils ne peuvent interdire ce que la Torah autorise clairement.

C) Il faut comprendre la référence qui est faite ici aux six jours de la création:
1. Première possibilité, il est des créations célestes qui furent réalisées après ces six jours, comme le Ta’hach(7) ou l’orifice du centre de la terre. A l’opposé, l’action d’Adam, au jour même de sa création, put permettre qu’un objet soit carré, déjà pendant les six jours de la création.
2. Autre hypothèse, les six jours de la création recouvrent tout ce qui fit alors son apparition, de manière naturelle ou par l’intervention d’Adam. En revanche, il put y avoir une créature ultérieure, que rien n’empêchait d’être cubique.
Mais, on peut encore s’interroger, à ce propos.

D) Selon la ‘Hassidout et la Kabbala, un lien est établi entre le premier Tsimtsoum(8) et la forme cubique. Le Meoreï Or indique que cette forme est liée à l’élément féminin.

* * *

Vous m’avez interrogé, il y a quelques temps, sur l’intervention de l’Admour Hazaken, rapportée par le Torat Chalom, pour le sauvetage de Rabbi Pin’has Baal Haaflaa(9): «Selon le Rambam, un agonisant est considéré comme mort. Si, par la suite, il guérit, il peut en conclure que la sentence prononcée contre lui a bien été exécutée. Les élèves du Baal Chem Tov, avec le Maguid de Mézéritch à leur tête, acceptèrent cette décision du Rambam et c’est bien ce qui se passa(10)».

Je notais, à la page 332, que je n’avais pas trouvé la référence de ce principe hala’hique du Rambam, qui semblait plutôt être l’avis de Rachi.

Vous dites que ce que rapporte le Torat Chalom ne concerne pas la discussion entre les Décisionnaires sur la validité des actes d’un mourant, mais porte sur la valeur intrinsèque de cet homme. Or, le Rambam dit bien que celui qui assassine un agonisant n’est pas condamnable(11), car, de façon générale, celui qui est à l’agonie ne s’en remet pas. Ceci répondrait à l’objection qui a été soulevée.

Néanmoins, on ne peut accepter cette interprétation:

A) Le récit indique, en effet, que l’Admour Hazaken chercha une décision hala’hique présentant un caractère novateur, puis demanda l’accord du Maguid et des autres élèves du Baal Chem Tov pour retenir cette décision. C’est seulement après cela que Rabbi Pin’has fut sauvé.

Or, la Hala’ha à laquelle vous faites référence fait l’unanimité. Elle ne requiert donc pas la référence au Rambam ou l’accord du Maguid.

B) Outre la formulation du récit, les faits mêmes indiquent qu’il ne peut en être ainsi. Le tribunal céleste avait condamné à mort Rabbi Pin’has et le Maguid cherchait un moyen de le sauver. Or, selon la Hala’ha, le condamné à la peine capitale n’a plus de valeur intrinsèque, étant considéré comme déjà mort, d’après la décision de la Torah. Il se trouve donc dans une situation inférieure à celle du mourant. Car ce dernier va perdre la vie alors que lui, potentiellement, est déjà mort. Dès lors, quelle était l’utilité que Rabbi Pin’has agonise, alors que, finalement, il n’était pas potentiellement mort(12)? Tout cela serait surprenant.

Si l’on considère qu’il s’agit d’une punition ou d’un moyen de racheter sa faute, l’agonie ne se justifie plus, car il est d’autres moyens d’obtenir ce rachat. Il aurait pu, par exemple, devenir aveugle puis retrouver la vue, car l’aveugle est considéré comme mort, selon le traité Nedarim 64b. Et il en est ainsi selon l’unanimité des avis(13).

De plus, on ne peut faire de distinction entre la condamnation du tribunal céleste et celle des hommes, en considérant que l’on est potentiellement mort seulement dans ce dernier cas, qui est irréversible, alors que le tribunal céleste prend en compte la Techouva et le Roi du monde abroge alors la sentence. Car, si la Techouva suffisait à sauver Rabbi Pin’has, pourquoi fallait-il lui imposer l’agonie? C’est une évidence.

* * *

Dans votre première lettre, vous me donnez différentes explications sur le Rambam, qui pourraient établir que celui-ci pense, comme Rachi, que l’agonisant est tenu pour mort, bien que le texte semble indiquer le contraire, bien que les Hagaot Maïmonyot établissent clairement que tel n’est pas l’avis du Rambam. Néanmoins, ceci permettrait de répondre à cette question et de confirmer une interprétation du Lé’hem Michné.

Je ne sais pas pourquoi vous voulez bâtir un raisonnement aussi peu défendable. En tout état de cause, tous les développements sont possibles. Pour autant, même si ce que vous écrivez est exact, il reste nécessaire, à mon humble avis, de revoir la formulation du Torat Chalom.

Pensez donc! L’Admour Hazaken aurait pu s’appuyer sur Rachi, qui adopte clairement cet avis. Or, il préfère mentionner le Rambam, dont l’opinion n’est pas aussi tranchée et accepter de nombreuses difficultés pour parvenir à la conclusion que le Rambam est en accord avec Rachi! Peut-on imaginer une affirmation plus surprenante que celle-ci?

Je conclus en vous souhaitant tout le bien et en transmettant mon salut à vos parents,

Rav Mena’hem Schneerson,

Notes

(1) Le Rav Chalom Rivkin. Voir la lettre n°165 et la suivante.
(2) De chaque créature.
(3) 1903, du Rabbi Rachab.
(4) Le Rabbi note, en bas de page: «Ajout ultérieur: Une autre référence indique: Les êtres furent d’emblée créés avec une forme ronde ou carrée.»
(5) Avant de quitter l’Egypte. Le Pharaon constata alors qu’ils étaient encerclés et qu’il serait aisé de les vaincre.
(6) Le Rabbi note, en bas de page: «Ajout ultérieur: On consultera le Tsafnat Paanéa’h sur la Torah, à cette référence».
(7) Animal qui fut créé pour que sa peau constitue les tentures du Sanctuaire, dans le désert.
(8) La contraction de la Lumière céleste qui est à l’origine du processus créatif.
(9) L’un des élèves du Baal Chem Tov, qui avait été condamné à mort par le tribunal céleste. Pour le sauver, l’Admour Hazaken put obtenir qu’il se trouve à l’agonie, puis guérisse.
(10) Rabbi Pin’has guérit et la sentence fut ainsi rapportée.
(11) Bien que son acte soit interdit.
(12) le Rabbi note, en bas de page: «Ajout ultérieur: Il est difficile de faire une distinction entre la mort potentielle du corps et celle de l’âme, en avançant qu’il avait l’une et pas l’autre».
(13) Le Rabbi note, en bas de page: «On peut le déduire de ce que le Baal Chem Tov écrivit à son beau-frère, à propos d’un cas similaire. Pourquoi le salut de Rabbi Guerchon de Kitov fut-il obtenu lorsqu’il devint aveugle, alors que Rabbi Pin’has fut à l’agonie? C’est parce que le premier manqua de respect aux Sages, qui sont «les yeux de la communauté» et le second, à la Torah, qui vivifie les membres du corps».