Lettre n° 328

Par la grâce de D.ieu,
16 Chevat 5708,


Au distingué grand Rav, ‘Hassid érudit qui craint D.ieu,
le Rav A. E. Axelrod(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre.

Le chapitre 20 du Tanya dit que les mots prennent naissance au début de la pensée, lorsque l’homme se demande de quelle manière satisfaire son désir. On retrouve la même affirmation au chapitre 132 du Boné Yerouchalaïm.

Vous faites remarquer que la révélation émanant du cerveau et sa compréhension doivent nécessairement s’exprimer également sous forme de mots(2). Il en résulte que les mots existent bien avant la pensée.

Mais, en fait, le Tanya explique, dans ces chapitres, que la création du monde n’a nullement remis en cause l’unité de D.ieu. De façon générale, il est deux catégories de mondes, le monde caché et le monde révélé, comme l’expliquent différents textes et, en premier lieu, le chapitre 11 de Chaar Hay’houd Vehaémouna.

Le Tanya souligne donc que, dans les sphères célestes, les mots constituant les pensées et les paroles, restent, après avoir été constitués, en union totale avec leur source, précédant leur existence.

En effet, les mondes, avant de prendre forme, sont effectivement partie intégrante de leur source première, dans laquelle D.ieu fixa, potentiellement, ce que serait chacun d’entre eux. A ce stade, ils n’ont pas encore d’existence effective et l’on peut en déduire ce que sont ces mots. A un niveau dépassant la pensée, ils n’existent pas réellement. Seul l’intellect pur ou l’émotion pure(3) sont alors perçus, mais non les mots. Celui qui médite à un concept éprouvera de l’amour, sans l’exprimer par des mots, comme l’expliquent le Likouteï Torah et le Biyoureï Hazohar.

On peut donc décrire ce processus de la manière suivante. En se liant intellectuellement à la perception divine, par exemple, on éveille en soi un désir de connaître. Alors, la force de l’intellect puise dans le potentiel de compréhension pour permettre une perception effective. Ensuite, on s’attache profondément au concept, ce qui a pour effet d’en approfondir la compréhension.

On donne ainsi naissance à l’amour et à la crainte de D.ieu. Et l’on se demande de quelle manière assouvir la soif que l’on éprouve pour Lui, en mettant en pratique la Torah et les Mitsvot, par ses pensées, ses paroles et ses actions. Dès lors, l’apparition des mots devient une nécessité, comme le disent les discours ‘hassidiques.

Bien évidemment, on peut se passer de certaines étapes du processus qui vient d’être décrit. Ainsi, le Sidour du Ari Zal dit de celui qui, soudain, éclate en sanglots pendant les dix jours de Techouva, qu’il est jugé à cet instant précis, bien que, par les forces révélées de sa personnalité, il ne peut nullement en avoir connaissance. Il peut ainsi être conduit à lire des Tehilim ou bien à être saisi par un désir de Techouva, de confesser ses fautes. Pour cela, il fera usage de mots qui seront les révélateurs de l’essence de son âme, sans intermédiaire.

Néanmoins, une telle situation reste exceptionnelle. Bien plus, on peut même considérer qu’en pareil cas, toutes les étapes sont bien franchies, certaines restant, néanmoins, cachées. Ainsi le chapitre 8 de Chaar Hay’houd Vehaémouna dit que «un sentiment est systématiquement présent dans chaque pensée».

Ceci ne contredit pas du tout le fait que, pendant Roch ‘Hodech, l’attribut de Royauté reçoit directement des forces de l’intellect, sans passer par celles du sentiment. On peut le comparer aux mots servant à transmettre une idée. En effet, même en pareil cas, il faut éprouver de l’amour pour l’activité intellectuelle ou la crainte de mal interpréter l’objet de son étude(4). Vous consulterez, à ce propos, le Or Hatorah et le Sidour, qui définissent les «sentiments de l’intellect», lesquels sont à l’origine des mots de la pensée.

En vous souhaitant tout le bien,

Rav Mena’hem Schneerson,

Notes

(1) Le Rav Avraham Elyahou Axelrod. Voir la lettre n°225.
(2) Dès lors, comment dire que ceux-ci prennent naissance dans le coeur, alors qu’ils existent déjà auparavant?
(3) Transcendant les mots.
(4) Il y a donc bien un passage par les attributs de l ’émotion, quoique sous une autre forme.