Lettre n° 308

Par la grâce de D.ieu,
8 Mar’Hechvan 5708,

Au grand Rav, ‘Hassid érudit qui craint D.ieu,
le Rav C. Y.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre de la veille de Soukkot(2):

Concernant la lecture du Hallel pendant le sacrifice de Pessa’h

Avant de répondre, à mon humble avis, aux questions soulevées dans votre lettre, je voudrais souligner encore une fois ce que je disais dans mon précédent courrier, peut-être sans insister autant qu’il aurait fallu le faire. Une Tossefta explique clairement que les Léviim étaient ceux qui lisaient le Hallel. Les Tossafot et le Rambam le disent également. Il s’agit donc, en l’occurrence, d’imaginer une controverse nouvelle, en supposant que Rachi s’oppose à ces avis et considère que tous lisaient le Hallel.

J’écrivais donc, à ce propos, que la position de Rachi peut être établie d’après son commentaire des traités Pessa’him et Soukka, de même que selon les Tossafot, dans ce dernier traité. Or, ces références ne permettent absolument pas d’imaginer une telle controverse et de penser qu’il puisse avoir une opinion aussi surprenante. Bien plus, les termes employés par Rachi se prêtent beaucoup mieux à l’interprétation que je développais auparavant.

Vous m’écrivez que Rachi, dans son commentaire du traité Pessa’him, ne voulait effectivement pas dire que les Juifs(3) récitaient également le Hallel. En revanche, vous ne voyez pas comment interpréter d’une autre manière son commentaire du traité Soukka. Que signifie votre affirmation? Le traité Pessa’him est la référence essentielle de cette question. Or, Rachi ne donnerait là aucune précision et il n’apporterait une explication claire qu’au traité Soukka, dans lequel la Michna nous enseigne uniquement le nombre de sonneries du Choffar qui doivent retentir pendant le sacrifice du Pessa’h, alors qu’il suffit, pour le comprendre, de savoir qu’il y avait trois groupes, récitant chacun trois fois le Hallel?

J’ai déjà écrit que l’on pouvait expliquer également les termes des Tossafot, dans le traité Soukka. Et, même si cette explication n’est pas pleinement satisfaisante, elle l’est, en tout état de cause, beaucoup plus que celle qui découvre dans les propos de Rachi, d’une manière seulement allusive et dans le traité Soukka, qui n’est pas sa place, une contradiction de la Tossefta, laquelle est pourtant clairement exprimée, sans même en indiquer la référence. Or, c’est bien cette interprétation que vous proposez!

Vous dites aussi qu’il y a un passage talmudique établissant clairement que les Juifs(3) lisaient le Hallel. Mais, vous devez lui trouver une explication d’après les Tossafot et le Rambam. Or, cette explication, lorsque vous l’aurez trouvée, peut s’appliquer également à Rachi.

Vous citez le traité Pessa’him 95b et 117b: «Peut-on imaginer que les Juifs sacrifient le Pessa’h ou agitent les quatre espèces sans dire le Hallel?». Vous en déduisez que la lecture du Hallel n’est pas un des aspects de ce sacrifice, mais bien un acte du service, à part entière, qui incombe donc aux Juifs(3), au même titre que la bénédiction sur les quatre espèces.

Il semble qu’ici, votre preuve est double:
1. La lecture du Hallel ne fait pas partie du service de D.ieu dans le Temple. Elle ne concerne donc pas uniquement les Léviim.
2. Tous les Juifs agitent les quatre espèces et, en conséquence, doivent aussi lire le Hallel.

Ma réponse est la suivante:

1. Il s’agit bien ici d’un sacrifice et les pratiques qui le concernent engagent donc les Léviim. Du reste, Rachi explique qu’il faut réciter le Hallel, parce que c’est une Mitsva. Il souligne ainsi qu’en plus de la joie qu’inspire ce moment, conduisant à réciter le Hallel, il est également une Mitsva, en l’occurrence celle d’apporter un sacrifice. Mais l’on peut encore s’interroger, sur ce point.

2. S’agissant de la question de savoir qui est concerné, on peut retrouver ici les deux situations extrêmes. Pour les quatre espèces de la fête, il est clair que tous les agitent. Pour le Hallel de Pessa’h, en revanche, la lecture en est faite par les Léviim. Ceci est conforme à la nature même de la Mitsva. Les quatre espèces sont un précepte matériel(4), qui est donc mis en pratique par chacun. La lecture du Hallel est donc également faite par chacun. En revanche, le traité Kiddouchin 41b souligne qu’un seul Cho’het sacrifie le Pessa’h en tant qu’émissaire de tout le groupe. Dès lors, le Hallel peut aussi être dit par les Léviim, émissaires de tous les enfants d’Israël.

On peut consulter, à ce propos, le Maassé Nissim, de Rabbi A. Maïmon, chapitre 1, cité par le Sefer Hamitsvot de Rabbi Saadya Gaon, du Rav Perl, aux Injonctions 59 et 60. Bien évidemment, je n’introduirai pas ici la question de savoir si les Cohanim agissent, quant à eux, en tant qu’émissaires de D.ieu ou non.

Du reste, un autre point peut être souligné. D’après l’avis qui vient d’être cité, se demandant si le Cho’het peut être un Israël, on peut comprendre que celui qui n’a pu disposé des quatre espèces jusqu’à la fin de la prière(5), doit lire une seconde fois le Hallel.

Je ne dispose pas des responsa Tsafnat Paanéa’h, tome 2 et du ‘Houkat Hapessa’h.

Vous consulterez la description du sacrifice de Pessa’h fait par le Séder Hadorot, de l’année 2935(6), selon laquelle les Cohanim lisaient le Hallel. Ce même récit, figurant dans le Sidour du Yaabets, ajoute que le propriétaire du sacrifice le lisait également. Je ne dispose pas du Chevet Yehouda, référence de cette description et je ne peux donc pas en comparer les versions.

Concernant les deux plats(7) à l’époque du Temple

Vous n’avez pas apprécié que je vous ai soupçonné de ne pas avoir consulté la Michna et le Yerouchalmi. Que puis-je faire, si ce n’est vous rappeler les termes de votre propre lettre: «Il est évident que ces deux plats furent introduits après la destruction du Temple. Rien n’indique, dans le Yerouchalmi, qu’à l’époque du Temple, déjà, on prenait ces deux plats. Il est impossible d’aboutir à une telle conclusion.» Or, dans votre seconde lettre, vous écrivez vous-même: «Le Yerouchalmi dit que, à l’époque du Temple, on prenait déjà ces deux plats»!

Bien plus, je ne sais que penser de votre seconde lettre. A l’issue de votre analyse, dans laquelle vous citez la Boraïta, que rapporte le Yerouchalmi, selon laquelle «à l’extérieur de l’enceinte du Temple, on prenait ces deux plats», vous concluez: «Il semble qu’il s’agisse là d’un ajout du Yerouchalmi par rapport à la Michna, laquelle statue uniquement sur la période de l’exil. C’est pour cela qu’est ici précisée la pratique en vigueur à l’extérieur de l’enceinte du Temple».

Or, la Boraïta que cite le Yerouchalmi est claire pour quiconque prend connaissance de la Michna. Dans la version qu’en donne le Yerouchalmi, en effet, il n’est pas question de ces deux plats. C’est pour cela que cette précision est donnée par la Boraïta, laquelle, en revanche, n’a pas sa place dans le Babli.

On ne peut donc penser que, selon la Boraïta, on prend ces deux plats non seulement pendant la période de l’exil, mais aussi à l’extérieur de l’enceinte du Temple, puisque la pratique consistant à prendre ces deux plats n’a pas encore été définie.

A ce propos, vous consulterez les Tossafot, au traité Be’horot 22b et les différentes versions de la Michna, entre le Babli et le Yerouchalmi.

Voici donc la seule preuve que l’on puisse tirer de la Boraïta, pour l’époque à laquelle fut dite la Michna. L’une et l’autre concernent bien la période du Temple, puisque l’on y indique la pratique en vigueur à l’extérieur de son enceinte, sans ajouter: «à l’époque actuelle et dans les autres endroits». Il ne s’agit pas d’une preuve irréfutable, car on peut déduire la pratique, à l’époque actuelle, de celle qui était en application à l’extérieur du Temple, c’est bien évident.

Pour revenir à notre propos:

1. Il est clair qu’à l’extérieur de Jérusalem, on ne disposait pas du sacrifice de Pessa’h. Lorsque la Michna dit qu’on l’offrait dans le Temple, elle parle donc de Jérusalem, lorsque celui-ci était bâti.

2. Il est clair que, en tout endroit, pendant la période de l’exil et à l’extérieur de l’enceinte du Temple, lorsque celui-ci existait, on apportait deux plats. Le Yerouchalmi l’établit clairement et le Babli ne le conteste pas.

Je considère, néanmoins, que cette Michna, ne donnant aucune précision, s’applique, en fait, à toutes les époques, à tous les lieux et à toutes les personnes. Elle dit donc que, dans tous ces cas, on apporte deux plats, à l’exception de la dernière situation évoquée, c'est-à-dire lorsque l’on se trouve à l’intérieur du Temple.

C’est sur ce point que vous n’êtes pas d’accord. Selon vous, la Michna s’applique à Jérusalem, pendant le temps de l’exil et en tout autre endroit, durant l’exil. En revanche, elle ne dit pas ce qui se passait, à l’époque du Temple, à l’extérieur de Jérusalem, en Erets Israël et dans le reste du monde, là où se trouvait la majorité numérique du peuple juif, alors que la pratique était la même que celle de la période actuelle!

J’en viens maintenant aux questions que vous vous posez sur mon interprétation:

A) «La Michna peut-elle envisager un cas exceptionnel et accessoire, par exemple un malade ou quelqu’un qui se trouvait à l’extérieur d’Erets Israël et, ensuite seulement, préciser la pratique dans le Temple?»

Je ne comprends pas cette objection. Car, bien au contraire, si l’on adopte votre lecture de la Michna, son début parle de toutes les époques, de tous les lieux et de toutes les personnes, à l’exception de ceux qui sont purs, en bonne santé, se trouvent à Jérusalem, à l’époque du Temple et sont inscrits dans un groupe pour offrir le Pessa’h.

A ce stade de l’analyse, on peut se demander si ceux qui sont à Jérusalem et n’ont pas la possibilité de disposer du sacrifice de Pessa’h doivent adopter une quelconque pratique pour le remplacer. La Michna propose donc deux situations: ou bien l’on apporte ces deux plats, ou bien l’on dispose du Pessa’h.

Même si l’on considère que l’application de cette Michna est limitée à l’époque du Temple, ce qui, à mon humble avis, n’est pas le cas, on ne peut s’interroger sur sa formulation, puisque la majorité numérique du peuple juif se trouvait alors à l’extérieur d’Erets Israël, comme l’établit la fin du troisième chapitre du traité Chekalim.

B) «Pourquoi le Temple désignerait-il uniquement la ville de Jérusalem, à l’extérieur de son enceinte?»

C’est ce que dit le traité Chekalim 1, 3: «Le 15, on disposait les tables (près desquelles prenaient place les changeurs(8) de monnaie). Le 25, ils prenaient place dans le Temple». Le Yerouchalmi Pessa’him précise qu’ils étaient réellement assis, ce qui est interdit dans l’enceinte du Temple. Ils se trouvaient donc sur le mont du Temple ou bien à Jérusalem(9).

Le Babli, au traité Sotta 40b, dit que «l’esplanade des femmes n’a pas été consacrée, au même titre que le reste du mont du Temple» et le traité Kelim 1, 8, n’expose qu’une précaution introduite par nos Sages. Il en est donc de même, pour ce qui fait l’objet de notre propos.

Je n’oublie pas le commentaire de Rabbi Ovadya de Bartenora. Mais, il faut dire que le mont du Temple, correspondant au campement des Léviim, est bien qualifié de «Temple», dans le commentaire de Rachi. Ou bien il faut dire qu’ils s’asseyaient à même la table, ce qui ne figure pas dans les propos de Rachi. En tout état de cause, je ne peux instaurer l’unanimité parmi tous les commentateurs.

Le commentaire de la Michna(10), traité Roch Hachana, début du quatrième chapitre, dit: «L’ensemble de Jérusalem est considéré comme partie intégrante du Temple». Ces propos doivent être interprétés au sens littéral et non comme définissant uniquement une identité de statut. On consultera également le Tiféret Israël, à la même référence.

Vous désirez retrouver ici la controverse qui oppose Rachi et le Rambam, au début du quatrième chapitre de Roch Hachana, sur la définition du Temple. Mais, à mon humble avis, il faut considérer les questions que posent les commentateurs sur ces deux avis. D’après ce qu’ils disent, leur controverse ne peut porter que sur ce qui n’est pas clairement précisé par la Michna. Ainsi, les traités Maasser Cheni 3, 4 et Erouvin, fin du chapitre 10, doivent en être écartés. Ceci permet de résoudre de nombreuses objections.

Il en est de même pour notre Michna, dont l’auteur précise le sens. Il indique donc que, dans le Temple, on apportait le sacrifice de Pessa’h, là où on pouvait le faire, de même que l’on prenait place, dès le 25, auprès des tables, là où on pouvait le faire. On peut en déduire ce que recouvre le terme de Temple.

Vous m’écrivez que «l’on consommait le sacrifice de Pessa’h dans toute la ville de Jérusalem et non dans le Temple». On peut s’interroger, à ce sujet. Etait-il interdit de consommer ce sacrifice dans le Temple? Il est dit, certes, qu’ils le quittaient pour en griller la viande. Mais, c’est parce que, pour la plupart, ils emportaient ce sacrifice chez eux. Néanmoins, il eut été permis de le manger dans le Temple, car il s’agit bien d’un sacrifice et non d’une nourriture profane.

Un verset aurait été nécessaire pour faire la preuve que ce sacrifice peut être consommé à l’intérieur du Sanctuaire, car, d’ordinaire, on ne mange pas, dans cet endroit, sauf s’il est dit que «vous le consommerez dans l’endroit le plus sacré», car, selon le traité Zeva’him 63a, «on ne peut manger en présence de son Maître».

On peut aussi se demander si ceux qui consommaient le Pessa’h dans l’esplanade du Temple avaient, devant eux, uniquement le sacrifice ou également des herbes amères. Peut-être faut-il appliquer ici la controverse qui oppose Rachi aux Tossafot, dans le traité Mena’hot 21b, ou bien considérer que, d’après tous les avis, on apportait ces herbes amères, ou encore, on ne les apportait pas.

Ce qui vient d’être dit nous permettra de comprendre pourquoi, selon la version que le Yerouchalmi donne de notre Michna, on ne dit pas que, dans le Temple, on apportait «également(11)» le sacrifice de Pessa’h proprement dit, mais nous n’entrerons pas ici dans cette analyse.

Concernant la sonnerie du Choffar, lorsque Roch Hachana est un Chabbat

Vous me dites ne pas avoir trouvé, dans le Choul’han Arou’h de L’Admour Hazaken, que l’on ne sonne pas du Choffar, lorsque Roch Hachana est un Chabbat, car il y a là une action profane. Voici donc les termes de l’Admour Hazaken, chapitre 588, paragraphe 4: «Lorsque Roch Hachana est un Chabbat, on ne sonne pas du Choffar, car le faire serait un acte profane».

Cette explication est surprenante, car un acte profane est ainsi interdit et renforcé par le décret de Rabba(12). Tel n’est pas l’avis des Tossafot. Selon le Maguen Avraham et le Ma’hatsit Hachékel, on transgresserait deux Interdits de nos Sages en le sonnant. On peut en déduire que, selon eux, le décret de Rabba est la raison essentielle de cette interdiction.

C’est ce qu’indique une consultation rapide du Talmud et de ses commentaires.

J’espère que vous ne m’en voudrez pas pour mes remarques et je vous souhaite tout le bien,

M. Schneerson,

J’ai entendu dire que, vous éditiez parfois, dans les revues paraissant en Erets Israël, une critique des ouvrages dernièrement publiés. Or, peu nombreux sont les Juifs ayant la crainte de D.ieu qui possèdent à la fois la plume facile et de bonnes connaissances de la ‘Hassidout et de ses écrits, en particulier de l’enseignement de ‘Habad.

Dernièrement, se multiplient ceux qui désirent savoir ce que sont la ‘Hassidout et ses pratiques. A mon humble avis, il serait bon que vous consacriez au moins une partie de vos articles, aux parutions d’Otsar Ha’hassidim(13), aux anciens livres comme aux nouveaux.

Notes

(1) Le Rav Chlomo Yossef Zevin, de Jérusalem.
(2) Qui était une réponse à la lettre n°295.
(3) Qui n’étaient pas des Léviim.
(4) Impliquant une action concrète.
(5) Dans laquelle il a donc récité le Hallel sans tenir les quatre espèces.
(6) 825 avant l’ère vulgaire.
(7) Figurant sur le plateau du Séder.
(8) Permettant à chacun de verser le demi-Shekel au Temple.
(9) Et la Michna dit, néanmoins, qu’ils prenaient place dans le Temple.
(10) Du Rambam.
(11) C'est-à-dire avec les herbes amères.
(12) Qui interdit de sonner le Choffar, lorsque Roch Hachana est un Chabbat, de peur que celui qui ne sait comment sonner se rende chez un érudit et le transporte ainsi dans le domaine public.
(13) Des éditions Kehot.