Lettre n° 295

Par la grâce de D.ieu,
Au jour du jeûne du septième mois(1),
qui sera transformé en allégresse,
Brooklyn, N. Y.,

Au Rav grand et distingué, érudit qui craint D.ieu,
le Rav C. Y.(2),

Je vous salue et vous bénis,

Vous savez sans doute que j’ai passé quelques mois en Europe(3). A mon retour, j’ai trouvé ici différentes tâches, qui se sont accumulées pendant cette période, en plus de mon travail ordinaire et, en particulier de la préparation à l’impression des publications éditées pendant l’été dernier. Il en est résulté un grand retard dans ma réponse aux lettres qui m’ont été adressées, en tout cas pour celles qui ne concernent pas directement l’activité du Merkaz Leïnyaneï ‘Hinou’h, de Ma’hané Israël ou des éditions Kehot. Vous voudrez donc bien m’excuser.

Tout d’abord, je voudrais vous souhaiter d’être définitivement inscrit pour une bonne année, de même que tous les vôtres, avec tout le bien matériel et spirituel.

J’en viens maintenant aux points évoqués dans votre lettre:

A) Vous m’interrogez sur ce que j’écris, dans mon commentaire de la Haggada, à la page 5: «Les Léviim lisaient le Hallel (4)». Vous mettez en cause cette affirmation, à partir du commentaire de Rachi sur les traités Pessa’him 64a et Soukka 54b, selon lequel tous les Juifs lisaient le Hallel.

En fait, j’ai reproduit la description du sacrifice de Pessa’h, telle qu’elle est faite par le Yaabets, sans rien y ajouter de moi-même, si ce n’est une référence à la Tossefta.

Pour ce qui est de votre question, le Rambam établit clairement que les Léviim lisaient le Hallel et, pour l’heure, je n’ai vu aucun Décisionnaire contestant son avis. Nous reviendrons plus loin sur l’avis de Rachi, qui, du reste, est un commentateur et non un Décisionnaire. Dans ses explications, il s’efforce donc de rester proche du sens simple, même s’il s’écarte ainsi de la Hala’ha.

De plus, en rapportant l’avis de Rachi, vous suivez vraisemblablement l’analyse des Tossafot, dans le traité Soukka, à cette référence et du Min’hat ‘Hinou’h, à la Mitsva 394. Néanmoins, si l’on considère que, d’après Rachi, tous les Juifs lisaient le Hallel, on soulève ainsi plusieurs difficultés:

1. Lorsque l’on dit, dans la suite de la description, que «l’on sonne du Choffar(4)», pourquoi ne dit-on pas qui le sonnait?

2. Pourquoi dire «tous les groupes(5)» et non, simplement, «les groupes»?

3. Troisième question, qui est la plus forte, cette conception contredit la Tossefta, comme le soulignent les Tossafot, au traité Soukka, à la référence précédemment citée. Certes, on peut dire que ce Cantique était récité sans tenir un verre de vin à la main et qu’il pouvait donc être dit par un Israël. C’est ce que dit le Min’hat ‘Hinou’h, mais l’on peut s’interroger, à ce propos. Pourquoi Rachi s’oppose-t-il à la Tossefta et sur quoi se base-t-il pour le faire?

Or, nous devons comprendre les paroles des Sages, même lorsqu’elles nous semblent contredire un passage talmudique. Mais, cette obligation nous incombe uniquement lorsque nous sommes certains que tel est l’avis de ce Sage, mais nullement dans le cas contraire.

En l’occurrence, cette conception est une évidente contradiction de la Tossefta et, à mon humble avis, ce n’est nullement celle de Rachi. Car, l’avis de Rachi est, en fait, bien clair. La Michna du traité Pessa’him fait une description exhaustive du sacrifice de Pessa’h offert par le premier groupe et conclut: «Le second et le troisième groupes en font de même. Ils lisaient le Hallel. S’ils le terminaient, ils recommençaient».

Une lecture rapide permet d’aboutir à la conclusion que seuls le second et le troisième groupe lisaient le Hallel. Car, si le premier le faisait également, pourquoi ne pas le dire dans la description du sacrifice de ce premier groupe? Rachi précise donc qu’il s’agit de «tous les groupes» et dit encore, dans le traité Soukka, que «tous les groupes lisent le Hallel». Dans ce passage, il n’importe pas de savoir si cette lecture était faite par les Léviim ou par les Juifs, mais uniquement de déterminer le moment de cette lecture, en l’occurrence également pendant le sacrifice du premier groupe. C’est également de ce point que discute la Michna.

Rachi n’a donc pas pour but d’expliquer qui lit le Hallel, de même qu’il ne dit pas qui sonne le Choffar, car tel n’est pas le propos de la Michna. On peut ainsi répondre à toutes les questions précédemment posées et même à d’autres encore.

De même, on peut considérer que les Tossafot, dans le traité Soukka 54a, entendent uniquement expliquer les propos de Rachi, afin d’écarter une fausse interprétation selon laquelle le Hallel serait lu par l’ensemble des personnes composant le groupe. Ce commentaire des Tossafot n’est, du reste, pas rédigé sous la forme d’une question et d’une réponse. Tel n’est pas l’avis du Min’hat ‘Hinou’h sur l’explication de Rabbi Ovadya de Bartenora.

B) Vous m’interrogez, dans votre lettre, sur ce que j’ai écrit, dans le commentaire de la Haggada, à la page 7: «La Michna et le Yerouchalmi indiquent que l’on prenait également deux plats(6), à l’époque du Temple». Vous affirmez que «la Michna et le Yerouchalmi ne permettent nullement d’aboutir à cette conclusion. Il est impossible de faire une telle déduction et il est clair que ces deux plats furent introduits après la destruction du Temple(7)». Or,

1. Je suis un peu surpris que vous me croyez capable de faire une erreur aussi grossière, de faire imprimer une affirmation que je présente comme une évidence, alors que rien ne permet de faire pareille déduction, que le contraire est une évidence. Bien plus, j’avais, en l’occurrence, indiqué mes références!

2. Je n’imaginais pas que vous puissiez écrire cela avant de consulter, au moins superficiellement, la Michna et le Yerouchalmi, à la référence indiquée.

La Michna du Babli, traité Pessa’him 114a, dit: «On apportait devant lui de la Matsa, des herbes amères et deux plats. Dans le Temple, on apportait, en outre, le sacrifice proprement dit». Et le Yerouchalmi, à cette référence, traité Pessa’him 10, 3, ajoute: «A l’extérieur du Temple, on doit également avoir deux plats».

La parution du Kovets est, pour l’heure, interrompue(8), à cause de la charge de travail nécessaire pour préparer la parution des discours ‘hassidiques de mon beau-père, le Rabbi Chlita.

Je conclurai par un point concernant Roch Hachana. J’ai aperçu votre livre, Moadim Bahala’ha, dans la bibliothèque de mon beau-père, le Rabbi Chlita. En le consultant brièvement, j’ai vu que vous citiez différentes explications sur le fait que l’on ne sonne pas du Choffar, lorsque Roch Hachana est un Chabbat, de peur d’être conduit à le transporter dans le domaine public.

Or, il est dommage que vous n’ayez apparemment pas vu une explication étonnante que donne l’Admour Hazaken, dans son Choul’han Arou’h, à ce propos. Il dit que l’on ne sonne pas du Choffar, en pareil cas, parce qu’une telle pratique contrevient à l’esprit même de la fête. Cette explication permet, en outre, de comprendre un long développement du Rambam, dans ses lois du Choffar 2, 6.

Avec ma bénédiction pour être définitivement inscrit pour une bonne année,

M. Schneerson,

Notes

(1) Tsom Guedalya, lendemain de Roch Hachana.
(2) Le Rav Chlomo Yossef Zevin. Voir également la lettre n°308.
(3) En France, pour y rencontrer sa mère, qui avait alors quitté la Russie.
(4) Dans le Temple, pendant le sacrifice de Pessa’h.
(5) Le sacrifice de Pessa’h était effectué en trois groupes.
(6) Sur le plateau du Séder, l’un évoquant le sacrifice de ‘Haguiga et l’autre, celui de Pessa’h. Ils correspondent, à l’heure actuelle, à l’oeuf et à l’os.
(7) Du fait de l’impossibilité d’offrir ces sacrifices.
(8) Il s’agit du périodique Kovets Loubavitch. Voir, à ce propos, la lettre n°219.