Lettre n° 267

Par la grâce de D.ieu,
1er Adar 5707,

A notre distingué parent, l'honorable docteur A. Hilman(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre du 13 'Hechvan(2).

Je l'ai lue et relue, mais je ne peux accepter la classification que vous faites, car celle-ci s’écarte de notre foi et de la Hala'ha, en général. De plus, elle n ’est pas conforme au contenu du chapitre 32 du Tanya.

La Hala'ha retient comme critère déterminant la motivation de la faute et la manière dont elle est commise, par impossibilité de se contenir, de manière accessoire(3), par défi de D.ieu, de façon systématique. La nature même de la faute, en revanche, importe peu.

Prenons un exemple tiré de l'époque actuelle. Celui qui reconnaît l'unité de D.ieu et met en pratique la Torah et les Mitsvot qu'Il a ordonnées, mais prétend que D.ieu n'est pas premier, qu'il existe une matière antérieure, à partir de laquelle Il créa le monde, est un hérétique, comparable à un idolâtre. Et l'on peut s'interroger sur le Guide des égarés, qui ne l'exprime pas d’une manière aussi tranchée. Pour autant, dans le langage courant, on ne dirait pas d'un tel homme qu'il a abjuré.

Bien plus, celui qui est considéré comme un apostat, se fait donc passer pour un non-Juif, ce qu'à D.ieu ne plaise, parce qu'il est incapable de se maîtriser, puis qui adopte, pour la même raison, un mode de vie immoral, nul ne se préoccupant de le ramener vers le droit chemin, se trouve, concrètement, dans une situation moins grave que le précédent.

Vous trouverez les références de cette affirmation, dans le Rambam, lois de la Techouva, chapitre 3, dans ses commentateurs et dans d'autres textes encore. C'est ce que j'exposais dans ma première lettre.

Je citerai également un autre exemple. Il est permis de prêter à intérêt à celui qui, délaissant un aliment permis, consomme celui qui est interdit. En revanche, il est interdit de prêter à intérêt à celui qui, enfant, fut capturé par des non-Juifs et éduqué sans aucune connaissance de la Torah d'Israël(4). Et ceux qui contestent ce principe le font pour d'autres raisons.

Pour revenir au Tanya et pour le situer en fonction des définitions apparaissant dans votre lettre, on peut adopter la classification suivante en trois groupes:

A) Il y a, tout d'abord, ceux qu'il est une Mitsva d'aimer, qu'il est exclu de haïr. Il s'agit des hommes qui mettent en pratique la Torah et les Mitsvot ou, s'ils ne le font pas, ne peuvent être classés dans la troisième catégorie et ne sont absolument pas proches, de sorte que l'on se trouve dans l'impossibilité de mettre en pratique la Mitsva de leur faire des remontrances.

B) Il y a, ensuite, ceux que l'on doit à la fois haïr et aimer. Ceux-là sont suffisamment proches pour qu'on leur fasse des remontrances, mais, pour autant, ils ne se repentent pas.

C) Il y a, enfin, ceux que l'on ne peut que haïr. Ce sont les impies et les hérétiques, catégories dont le Rambam donne une définition précise.

Comment distinguer les Juifs non religieux de la première et de la troisième catégories? Les premiers ne peuvent se maîtriser, alors que les derniers se révoltent contre D.ieu. Tous ceux qui défient D.ieu, dans la mesure où une telle situation existe, à l'heure actuelle, appartiennent à la troisième catégorie(...).

Le Rambam parle de celui qui rejette l'ensemble de la Torah, en période de persécution religieuse. Mais le Or Saméa'h renvoie à Rachi, qui parle de "celui dont le coeur est attiré par les idoles, après avoir constaté l'affaiblissement de la situation d'Israël". Et, l'on doit encore se demander quelle définition retient le Yoré Déa, lorsqu'il parle des "impies qui se révoltent contre D.ieu".

J'analyserai maintenant les preuves mentionnées dans votre lettre:

A) Le Tanya dit de ceux qui appartiennent au premier groupe: "Ils n'ont pas de part en le D.ieu d'Israël". D'après ce qui vient d'être dit, il est clair que tous ceux qui sont couramment considérés comme des renégats n'entrent pas dans cette catégorie. Le Rambam dit: "Les hérétiques contestent l'antériorité de D.ieu. Les impies contestent la prophétie de Moché. Ceux qui rejettent la Torah disent que celle-ci, ou même un seul de ses versets, n'émane pas de D.ieu". Il est évident que ceux-là ne sont pas des renégats.

B) Le Tanya renvoie au chapitre 16 du traité Chabbat, qui parle de "ceux qui adoptent le comportement des autres nations". Rabbi Tarfon et Rabbi Ichmaël font ainsi allusion aux premiers chrétiens, qui vivaient à leur époque. Le Arou'h Hachalem permet de l'établir, malgré les modifications imposées par la censure.

A l'époque, ces chrétiens ne voulaient pas s'écarter du peuple d'Israël, dont, bien au contraire, ils prononçaient l'éloge. Jusqu'à l'intervention de Saül de Tarse, ils ne voulaient même pas parler aux autres chrétiens(5). Ils se considéraient comme des Juifs à part entière et en avaient tous les comportements. Pour la plupart d'entre eux, ils étudiaient la Torah, pratiquaient les Mitsvot, se moquaient des idoles qui prévalaient à l'époque. Tout cela est bien connu.

A la conclusion de ce passage, le traité Chabbat leur prêtent ces mots: "Nous ne sommes pas venus retrancher quoi que ce soit à la Torah de Moché". Pour autant, ils adoptèrent des pratiques idolâtres, quoique l'on peut encore s'interroger, à ce propos. Ils se moquaient de l'unité de D.ieu. Pour autant, ils n'étaient pas des apostats, selon le sens que l'on donne, à l'heure actuelle, à ce mot. Ils étaient des Juifs non religieux, commettant des fautes, des impies.

C) Le traité Chabbat, lorsqu'il désigne les impies, fait allusion aux chrétiens, c'est un fait. Néanmoins,
1. les chrétiens de l'époque ne sont pas les apostats de notre époque, comme on l'a dit,
2. si l'Admour Hazaken interprétait ainsi le traité Chabbat, il aurait écrit, dans le Tanya, renégats, apostats ou adeptes de la foi d'Ichmaël, termes qui étaient couramment utilisés pour les désigner, à cause de la censure, mais non d'un mot qui, dans la littérature rabbinique, a un sens précis, comme on l'a vu,
3. l'Admour Hazaken parle également, dans le Tanya, des hérétiques et il fait donc allusion à au moins deux catégories de personnes.

D) Le 'Hochen Michpat dit: "Les hérétiques juifs sont des apostats" et non des idolâtres. Je ne sais pas quelle preuve vous tirez de cette affirmation et ce qu'il en découle pour notre propos. Le 'Hochen Michpat poursuit, en effet: "C'est aussi le cas de celui qui commet des fautes pour défier D.ieu, mange, dans ce but, de la viande Taref ou porte des vêtements dans lesquels sont mélangés la laine et le lin.

Il est tout aussi clair que, dans le Talmud et dans les écrits des premiers Sages, un renégat, au sens strict, est celui qui adopte des pratiques idolâtres, même si, par ailleurs, il ne s'écarte pas des pratiques juives. Toutefois, la situation fut modifiée par la suite et l'on établit qu'il n'était pas suffisant de servir les idoles. Il fallait, en outre, épouser la foi courante et s'intégrer aux autres nations. Dès lors, le terme renégat prit un sens un peu différent, ou garda uniquement son aspect le plus voyant, le fait de s'écarter du peuple d'Israël, de vivre dans un contexte non-Juif, de ne plus partager les souffrances des Juifs. Mais, certains remettent également en cause ce dernier point.

Le Beér Hagola, commentant le 'Hochen Michpat, dit au paragraphe 80(6): "La référence du Rambam est la Boraïta et la Guemara du traité Avoda Zara. Mais, il en existe une autre version, que j'ai rapporté par ailleurs".

E) Le Choul'han Arou'h de l'Admour Hazaken dit: "Les hérétiques rejettent la Torah" et "Les Juifs impies rejettent la Torah". Vous semblez en déduire que ces deux termes sont synonymes. En fait, il y a là une faute d'imprimerie et il faut parler d'hérétiques, dans les deux cas. Le contexte permet de l'établir, qui dit: "Celui qui consomme un aliment interdit est un impie et les impies restent des Juifs". Comment comprendre cette répétition? En y intégrant également les hérétiques. Le Kountrass A'haron permet de faire la même déduction, en le replaçant dans son contexte.

F) Concernant le terme d'apostat, cité par le Talmud et la manière de l'interpréter, vous consulterez le Arou'h Hachalem.

G) Concernant le livre en anglais sur Béréchit(7), on y trouve de bonnes choses et des erreurs. Certaines explications nouvelles que l'on y trouve sont surprenantes par leur intérêt. D'autres passages ne sont pas justes et l'auteur n'a pas accepté de les modifier.

Néanmoins, la partie positive de ce livre est la plus importante. Dans la situation actuelle et dans le cadre de la lutte contre les missionnaires, qui sont un fléau dans ce pays, cet ouvrage est un outil efficace et il a donc été décidé de le publier. Durant ces dernières années, ce livre a conduit de nombreuses personnes à aimer la Torah et le Judaïsme, à approfondir le désir d'étudier la Torah. Il est diffusé par son auteur, qui le vend au prix de sept dollars. Si vous souhaitez l'acquérir, faites le moi savoir. Je lui demanderai de vous l'envoyer.

Je vous souhaite tout le bien et vous charge de saluer tous les membres de votre famille,

Rav Mena'hem Schneerson,
Directeur du comité exécutif(8)

Notes

(1) Docteur Acher Hilman. Voir la lettre n°244.
(2) Qui était une réponse à la lettre n°244. Le docteur Hilman avançait que les trois catégories que définit le chapitre 32 du Tanya sont, les Juifs pieux, les Juifs non religieux et les Juifs qui ont abjuré.
(3) Sans motivation profonde et préméditée.
(4) Bien que celui-ci consomme également des aliments interdits.
(5) Qui étaient d'origine payenne.
(6) Le docteur Hilman écrivait: "Il faut noter que le paragraphe 80 n’apparaît pas dans les éditions dont nous disposons".
(7) Il s'agit de "the Bible unauthorized", un livre d'exégèse biblique se proposant, en particulier, de contrer l'argumentation des missionnaires.
(8) Peu après la rédaction de cette lettre, le Rabbi se rendit à Paris, pour y rencontrer sa mère, la Rabbanit 'Hanna, qui venait d'arriver dans cette ville, après avoir été sauvée de Russie. De là, elle accompagna le Rabbi aux Etats Unis. Le Rabbi resta à Paris jusqu'à la fin de Sivan, puis rentra à New York avec sa mère. Nous ne possédons qu'une seule lettre, la suivante, écrite durant cette période de plus de trois mois.