Lettre n° 256

Par la grâce de D.ieu,
2 Kislev 5707,
Brooklyn, N. Y.

Au jeune homme qui craint D.ieu, élève de la Yechiva,
le Rav Y.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je réponds à vos questions:

A) Vous me demandez si la confiance en D.ieu n'exclut pas de faire tout ce qui est naturellement nécessaire, ou bien s'il suffit de prier et de s'en remettre à D.ieu. Vous avez entendu dire que les Justes n'ont nul besoin d'avoir recours aux voies naturelles et vous vous demandez donc pourquoi Avraham dut dire(2): "De grâce, dis que tu es ma soeur"(3).

Voici ma réponse. De façon générale, il faut à la fois placer sa confiance en D.ieu et faire tout ce qui est naturellement nécessaire, c'est bien évident. La Loi Ecrite et les Midrashim de nos Sages en font largement la preuve. Et, le recours au voies naturelles ne contredit nullement la confiance en D.ieu, puisque le Tout Puissant Lui-même, en Qui chacun doit placer sa confiance, affirme qu'Il accorde Sa bénédiction dans la mesure où l'homme introduit son action et non s'il reste apathique, selon le Sifri Devarim 15, 18.

Deux conclusions découlent de ce qui vient d'être dit:
1. Il faut avoir recours aux voies naturelles uniquement parce que D.ieu demande de le faire. En revanche, si l'on considère qu'une telle intervention est, par elle-même, bénéfique ou nocive, on remet en cause sa confiance en D.ieu.
2. Un homme ne peut recevoir l'ordre d'accomplir que ce qui est en son pouvoir, car D.ieu n'agit pas avec malice envers Ses créatures. S'il ne peut emprunter les voies naturelles, c'est la preuve que D.ieu ne lui demande pas de le faire. Et cela n'affaiblit en rien la certitude que D.ieu accédera à Sa requête.

Mais, l'on peut encore se poser deux questions:
1. Pourquoi nous est-il commandé d'emprunter les voies de la nature puisque ce recours, semble-t-il, ne change rien?
2. Et qu'advient-il si l'on n'emprunte pas ces voies naturelles?

La 'Hassidout donne la réponse à la première question. Pour une raison qui nous dépasse, l'influence divine intervient, dans ce monde physique, uniquement en s'introduisant dans un réceptacle matériel. En conséquence, la partie supérieure de la personnalité humaine, qui est à l'image du Très Haut, doit emprunter le même réceptacle, c'est-à-dire agir concrètement pour gagner sa vie(...).

Pour la seconde question, de celui qui n'emprunte pas les voies naturelles alors qu'il pourrait le faire, nos Sages disent qu'ayant compté sur un miracle, il n'y aura pas droit. Dès lors, non seulement sa confiance en D.ieu sera sans effet, mais, bien plus, il sera puni pour s'être lui-même mis en danger. Et, si le miracle survient néanmoins, celui-ci sera déduit de ses mérites et sera même l'objet d'un soucis pour le Créateur.

Les Justes, y compris ceux qui possèdent une âme issue du monde spirituel d'Atsilout, restant partie intégrante de ce monde même lorsqu'elle se trouve dans un corps physique, mais qui peuvent, néanmoins, être troublés par les préoccupations du monde matériel et subissent le voile qui le caractérise, doivent également emprunter les voies naturelles, pour la raison précédemment énoncée.

A l'opposé, les Justes qui ne subissent en aucune façon les tracas du monde, restent parfaitement attachés à D.ieu, exactement comme lorsque leur âme se trouvait là-haut, ne subissent pas les contingences du monde et n'ont donc nul besoin d'emprunter les voies naturelles.

Le Torat 'Haïm explique que les Patriarches appartiennent à la première catégorie. C'est pour cela qu'ils étaient bergers, séparés des préoccupations du monde. Avraham prononça la phrase précédemment citée et Yaakov conçut différentes ruses pour échapper à Esav.

Yossef, à l'opposé, se rattachait à la seconde catégorie. Il n'avait donc pas besoin d'emprunter les voies naturelles et fut même puni lorsqu'il le fit(4).

Mais, on peut s'interroger sur ce qui vient d'être dit. Car, le Torat 'Haïm se demande pourquoi Yossef fut-il puni parce qu'il avait eu recours à la ruse pour essayer d'être libéré. Yaakov n'en fit-il pas de même sans recevoir aucune punition? Le Torat 'Haïm explique donc que Yossef transcendait l'enchaînement des mondes, mais il ne donne pas l'explication qui a été reproduite dans cette lettre.

Néanmoins, cette question ne se pose nullement, car le Torat 'Haïm explique aussi pourquoi Yossef ne craignit pas que la faute(5) soit responsable(6), comme le fit Yaakov. Il introduit donc une explication nouvelle, s'ajoutant à celle qu'il a développée dans les chapitres précédents en disant que Yossef ne subissait pas les tracas du monde. Il précise, en outre, que Yossef transcendait toutes les oppositions.

Un discours 'hassidique prononcé en 5654(7) précise que: "L'un de nos grands Sages dit que celui qui subit une épreuve doit placer sa confiance en D.ieu, ne pas prier pour en être délivré, ne rien faire de particulier, ne pas se tremper au bain rituel pour cela, mais uniquement s'en remettre à D.ieu. Ceci est comparable au silence, qui est une marque de soumission profonde". Tout cela est très surprenant.

Autre remarque, on peut gagner sa vie pour obtenir "le pain de la terre"(8). Mais, l'on peut aussi recevoir le pain du ciel(9). Toutefois cette distinction ne concerne notre propos que de manière indirecte(...).

* * *

B) Commentant le verset, "dis, de grâce, que tu es ma soeur", le Midrach en déduit que l'on peut pratiquer l'abattage rituel d'une bête, pendant le Chabbat, pour donner de la viande à un malade. Les livres sacrés expliquent qu'Avraham eut recours à la ruse et ne se contenta pas de placer sa confiance en D.ieu. Ils en concluent qu'il ne faut pas s'en remettre au miracle qui pourrait arriver au malade. Vous me demandez quelle est l'explication de tout cela.

Vous n'indiquez pas la référence de ce Midrach et des livres sacrés qui le commentent et dont les mots confèrent la sagesse(10). En effet, cette affirmation est difficile à justifier. Pourquoi le Midrach ne déduit-il pas, tout simplement, de ce verset que l'on ne s'en remet pas au miracle?

Le Zohar, tome 1, page 82a, affirme que, bien au contraire, Avraham s'en remit au miracle et c'est pour cela qu'il se rendit en Egypte. Et le Zohar, tome 3, page 52a, précise qu'il vit un ange marcher devant Sarah, mais non devant lui-même. Il se dit alors: "Serait-elle protégée alors que je ne le serais pas?". C'est donc pour cela qu'il lui demanda: "Dis, de grâce que tu es ma soeur"(11).

On peut donc comprendre ce Midrach de la manière suivante. Avraham demanda à Sarah de se faire passer pour sa soeur afin de sauver sa propre vie et l'on peut en conclure qu'il est permis de transgresser un Interdit pour sauver son prochain.

Mais, cette explication elle-même n'est pas pleinement satisfaisante. Car, pourquoi ne pas dire simplement que l'on peut transgresser le Chabbat pour les besoins d'un malade? Pourquoi parler précisément de Che'hita?

Pour répondre à tout cela, on connaît la question qui se pose, lorsque l'on entend approfondir les choses(12). Pourquoi Avraham imagina-t-il que les Egyptiens allaient le tuer et commettre un crime uniquement pour ne pas avoir commerce avec une femme mariée? Car c'est bien pour cela qu'il lui demanda de se faire passer pour sa soeur.

L'une des réponses est la suivante. En le tuant, ils n'auraient commis une faute qu'une seule fois, alors qu'en prenant Sarah du vivant d'Avraham, ils auraient transgressé à chaque relation qu'ils auraient eu avec elle. Le Midrach en déduit donc que l'on peut faire la Che'hita pour un malade pendant le Chabbat et qu'on ne lui présente pas de la viande Taref, pour la même raison. Ce malade commettrait une faute chaque fois qu'il consomme la taille d'une olive de cette viande, alors que la Che'hita n'est, en tout et pour tout, qu'une seule interdiction(13).

On peut, toutefois, encore se demander comment le Midrach déduit que l'on peut faire la Che'hita pour un malade, pendant le Chabbat, alors qu'un tel acte, commis une fois, entraîne une condamnation à mort. En revanche, consommer de la viande Taref est uniquement la transgression, répétée de nombreuses fois, d'un Interdit(14). Dans le récit d'Avraham, par contre, à partir duquel cette déduction est faite, le crime et la relation avec une femme mariée entraînent, l'un et l'autre, une condamnation à mort.

La preuve tirée par le Midrach est, en fait, la suivante. Comment peut-on établir que l'on aurait tué Avraham et commis un crime, c'est-à-dire encouru une condamnation à mort une fois pour se préserver de celle qui aurait découlé d'une relation avec elle? Les Egyptiens auraient pu avoir, avec elle, une relation détournée, procurant du plaisir, mais n'entraînant aucune condamnation à mort. Néanmoins, une telle pratique est également condamnable et les autres nations, qui ont accepté les principes de la moralité après le déluge, la condamnent donc également. Il est donc évident qu'ils l'auraient tué, préférant une faute grave commise une fois à des fautes moins graves, mais répétées. C'est pour cela qu'Avraham demanda à Sarah de se faire passer pour sa soeur et l'on peut effectivement en déduire que l'on fait la Che'hita, pendant le Chabbat, pour donner de la viande à un malade.

On peut également avancer une autre explication. Si les Egyptiens avaient pris Sarah de force, sans qu'Avraham n'ait pu les en empêcher, celui-ci aurait été considéré comme renonçant à Sarah, comme c'est le cas lorsqu'il y a des voleurs(15), selon le traité Baba Kama 114a. Dès lors, elle pouvait être tenue pour divorcée. En effet, les descendants de Noa'h n'étaient pas tenus d'établir un acte de divorce écrit et il leur suffisait de se séparer. Dès lors, elle n'aurait plus été considérée comme une femme mariée. Néanmoins, une telle pratique est, encore une fois condamnable.

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

Rav Mena'hem Schneerson,
Directeur du comité exécutif

Je viens de m'apercevoir que la Torah Chléma, Parchat Le'h Le'ha, paragraphe 145, cite ce Midrach, en faisant référence au Midrach Plya et développe l'explication précédemment donnée. Néanmoins, il ne soulève pas l'objection, concernant Avraham, découlant du fait que les deux interdictions(16) ont la même punition(17), ce qui n'est pas le cas pour la consommation de viande Taref et la Che'hita(18).

Notes

(1) Partovitch.
(2) A Sarah.
(3) Pour ne pas être tué par les Egyptiens afin qu'on puisse lui prendre Sarah.
(4) Lorsqu'il intervint auprès de l'échanson du roi pour être libéré de prison.
(5) Qu'il aurait commise.
(6) Du fait qu'il ne soit pas libéré.
(7) 1894, par le Rabbi Maharach.
(8) C'est-à-dire au prix de l'effort.
(9) Par un don du ciel.
(10) C'est-à-dire que l'on comprend beaucoup plus clairement lorsque l'on consulte le texte original.
(11) Le Rabbi note, en bas de page: "Le Chem Michemouel, du Rabbi de So'hatchov, traite cette question".
(12) Le Rabbi note, en bas de page: "Car, au sens simple, voici comment il faut interpréter ce verset: S'ils se disent que tu es mon épouse, ils me tueront, car ils n'imagineront pas que je puisse te livrer à eux. C'est l'explication du Sforno."
(13) Voir, à ce propos, la lettre n°221.
(14) Punie de flagellation.
(15) Celui qui voit les voleurs emporter un objet lui appartenant y renonce, sachant qu'il n'a aucune chance de le retrouver.
(16) Le crime et la relation avec une femme mariée.
(17) La condamnation à mort.
(18) La première entraînant uniquement la flagellation et la seconde, une condamnation à mort.